Indemnisation du titulaire et annulation par le juge du référé contractuel

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Le titulaire d’un marché annulé par le juge du référé contractuel peut-il obtenir une indemnisation ? Pour le rapporteur public, Olivier Henrard, les manquements du pouvoir adjudicateur ayant conduit à cette annulation ont retiré à l’entreprise un avantage qu’elle croyait acquis. Elle peut donc prétendre à réparation de son préjudice.

Le CE va prochainement préciser les conditions d’indemnisation du titulaire d’un marché public annulé par le juge du référé contractuel. En 2011, le CH de Narbonne a lancé une consultation pour la construction d’un centre de gérontologie. Le lot n°8 a été attribué à la société Cegelec Sud-ouest. Par une ordonnance rendue le 7 juillet 2011, le juge du référé contractuel, saisi par un candidat évincé, a annulé le marché en raison de divers manquements du pouvoir adjudicateur sur les critères de sélection des offres. L'hôpital a relancé sa consultation et la société Cegelec Sud-ouest a, cette fois, été écartée. S’estimant lésée, elle a saisi le juge administratif d’une demande d’indemnisation. Le TA a jugé que la société ne peut prétendre à une indemnisation sur le terrain quasi-contractuel. La société n’a pas utilement exposé des dépenses au profit du CH. En revanche, la juridiction lui accorde une indemnité de plus de 132.000 € sur le terrain quasi-délictuel, au titre du bénéfice escompté. En appel, la cour administrative de Marseille a ramené le montant à un peu plus de 12.000 €. Selon la CAA, « la société Cegelec Sud-ouest ne peut se prévaloir d'aucun droit à la conclusion du contrat, dès lors que la procédure engagée était, comme l'a jugé le juge des référés contractuels, suffisamment irrégulière pour qu'il prononce la nullité dudit contrat ; qu'ainsi, elle n'a pas droit à la rémunération des bénéfices qu'elle attendait du contrat, lequel n'a connu aucun commencement d'exécution ; qu'en revanche, la faute commise par le centre hospitalier de Narbonne à avoir conduit une procédure irrégulière qui a abouti à l'annulation du contrat est directement à l'origine du préjudice subi par la société qui a inutilement engagé des frais pour répondre à l'appel d'offres. »

Une indemnisation fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle

Devant le Conseil d’Etat, la société demande l’application de la jurisprudence Decaux (CE, 10 avril 2008), à l’hypothèse d’une annulation du marché par le juge du référé contractuel. Ainsi, le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagée. Dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, il peut en outre prétendre à la réparation du dommage imputable à cette erreur. Il peut ainsi demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l'exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé par sa nullité (CE, 20 octobre 2000, Société Citécable Est). Le CE, par son arrêt de 2008, complète cette construction : « si le co-contractant a lui-même commis une faute grave en se prêtant à la conclusion d'un marché dont, compte-tenu de son expérience, il ne pouvait ignorer l'illégalité, et que cette faute constitue la cause directe de la perte du bénéfice attendu du contrat, il n'est pas fondé à demander l'indemnisation de ce préjudice. »

Il n’a jamais été établi de différence de traitement selon la procédure ayant conduit à l’annulation du contrat

La société soutient, en l’espèce, qu’elle se situe dans le cadre juridique de cette jurisprudence. Elle est bien titulaire du marché et l’absence d’exécution du contrat est sans incidence sur la demande de réparation du préjudice. « Il n’a jamais été établi de différence de traitement selon la procédure ayant conduit à l’annulation du contrat », observe le rapporteur public, Olivier Henrard. En référé précontractuel, le contrat ne peut être regardé comme acquis tant que le recours n’a pas été purgé. Mais le référé contractuel est un recours formé contre un contrat déjà signé. Il semble donc possible de rechercher une ou des éventuelles fautes de l’administration. En cas de faute de l’administration ayant conduit le juge du référé contractuel à annuler le contrat, le titulaire pourrait demander réparation sur le terrain quasi-délictuel et non au titre de l’enrichissement sans cause. « En l’espèce, les irrégularités commises par le CH ont porté préjudice à la société titulaire car elle a perdu un avantage qu’elle croyait déjà acquis », estime Olivier Henrard. Selon lui, la CAA a donc commis une erreur de droit. Il invite le CE à annuler l’arrêt et à renvoyer l’affaire devant la cour.