Précontractuel : la requête doit-elle être introduite dans un délai raisonnable ?

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Le Conseil d'Etat va trancher la question de savoir si, en référé précontractuel, le candidat est tenu par un délai raisonnable pour introduire son recours. Le juge du TA de La Réunion a considéré comme tardif, et bien que le contrat n’ait pas été signé, un recours déposé plus de trois mois après le rejet d’une candidature. Le rapporteur public, Olivier Henrard, a proposé de sanctionner le juge en raison de l’absence de délai raisonnable de saisine du magistrat.

Le contentieux opposant la société Etudes créations et informatique (ECI) au syndicat mixte de transports de la Réunion (SMTR) va être l’occasion pour le conseil d’Etat de régler la question de savoir si le juge du référé précontractuel doit être saisi dans un délai raisonnable. Candidate à l’attribution d’un marché public pour le « système de transport intelligent pour La Réunion », la société a déposé un dossier de candidatures pour les lots 1,2 et 3. Le 14 septembre 2016, elle a été informée du rejet de candidature pour le lot 3. S’agissant des lots 1 et 2, elle a renoncé à remettre une offre, estimant que le CCTP privilégiait abusivement des technologies autres que celles qu’elle proposait. Cette renonciation a été constatée par le SMTR le 15 novembre. Elle a attendu le 8 avril 2017 pour saisir le juge du référé précontractuel. S’appuyant sur l’arrêt du Conseil d’Etat de 2016 Czabaj, aux termes duquel si l’administration oublie de mentionner dans une décision administrative individuelle les voies et délais de recours, le destinataire doit exercer son recours juridictionnel dans un délai raisonnable, qui ne peut excéder un an, le juge de La Réunion a rejeté la demande d’annulation de la procédure.

Selon lui, « en ce qui concerne le référé précontractuel […], il y a lieu de constater qu’en règle général et sous réserve de circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, le délai raisonnable de saisine du juge ne saurait excéder trois mois à compter de la date à laquelle il a eu pleinement connaissance de la décision d’éviction ou, en l’absence d’une telle décision, du manquement allégué aux obligations de publicité et de mise en concurrence. » En saisissant le juge le 8 avril 2017, la société doit se voir imputer, outre un comportement inapproprié au regard du principe de sécurité juridique, une méconnaissance caractérisée du délai raisonnable qui lui était applicable en l’absence de circonstances particulières. Ainsi, « alors même que le juge des référés a été en l’espèce saisi avant la conclusion du contrat, les dispositions du dernier alinéa de l’article L.551-1 du CJA n’étant pas méconnues, il y a lieu de constater la tardiveté de la requête. » Cette solution, le magistrat l’avait déjà adoptée, quelques mois plus tôt, lors d’un précédent contentieux (TA de La Réunion, 19 octobre 2016, SRB).

Pas de délai raisonnable en référé précontractuel

Devant le CE, le rapporteur public, Olivier Henrard, propose d’annuler l’ordonnance. Le fondement de la décision de 2016 est la sécurité juridique. Le principe est de faire obstacle à ce qu’une décision individuelle puisse être contestée au-delà d’un délai raisonnable. Ce délai est d'un an, sauf circonstances particulières. Selon lui, et contrairement à ce que soutient la société, la solution n’est pas contraire au droit de l’Union européenne. L’existence d’un délai raisonnable n’est pas non plus exclue par le code de justice administrative. « L’alinéa 3 de l’article L.551-1 du CJA dispose que le juge doit être saisi avant la conclusion du contrat. Cette disposition ne fixe pas un délai de recours, mais un butoir qui détermine l’office du juge des référés », indique le rapporteur public. Le Conseil d’Etat a déduit de l’article L.551-1 du CJA, la possibilité de saisir le juge jusqu’à la signature du contrat (CE, 14 décembre 2009, commune de La Roche-sur-Yon). Mais, il n’a posé aucun délai. Olivier Henrard propose de censurer l’erreur de droit commise par le juge. Il rappelle que la jurisprudence de 2016 vise à apporter une réponse aux préoccupations liées à la sécurité juridique.

L’objectif est d’éviter qu’une décision puisse être contestée indéfiniment. « Il n’y a pas de considération comparable ici », relève-t-il. En précontractuel, « la séquence procédurale ne dure que quelques semaines voire quelques mois. Le référé ne peut plus être exercé après la signature du marché », indique le rapporteur public. Le seul obstacle à la mise en oeuvre de la décision de 2016 en référé précontractuel est l’absence de décision administrative. Les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence peuvent prendre la forme d’une décision. Tel sera le cas par exemple des lettres de rejet des candidatures et des offres. Mais, les manquements peuvent, comme en l’espèce, tenir à la conception même du CCTP. Le maniement d’un délai raisonnable sera, à ses yeux,  malaisé. « Les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence ou la connaissance de ces manquements ne font pas naître un délai raisonnable dans lequel le candidat doit saisir le juge du référé précontractuel », estime Olivier Henrard.

Un renvoi de l’affaire devant le juge des référés

Il invite le Conseil d’Etat d’annuler l’ordonnance et, pour une fois, de renvoyer l’affaire devant le juge du référé de La Réunion. La pratique du CE est, en la matière, de régler lui-même définitivement la procédure et ce dans un souci de célérité correspondant aux enjeux du référé précontractuel. En l’espèce, le rapporteur public a pointé du doigt deux éléments qui ont fait pencher la balance. Le premier tient au fait que le rejet pour tardiveté de la requête a abouti à ce que le juge des référés n’examine nullement les questions de fond du dossier. De plus, le dossier pose des questions relativement complexes, que le dossier soumis au CE ne permettrait pas de régler. Il estime plus opportun dans les circonstances particulières de l’espèce, de permettre aux parties de reprendre le débat substantiel sur les éventuels manquements aux règles de la commande publique devant le premier juge.