Marché d’assurances : droit spécial ou droit général ?

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Le contentieux opposant le syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes (SITURV) et son assureur est un parfait exemple de la difficile articulation entre les principes généraux du droit administratif et le code des assurances. Le vice de consentement doit-il être apprécié selon la jurisprudence « Béziers I » ou selon l’article L.113-8 du code précité ? Si les juridictions administratives ont tranché en faveur du premier dogme, le rapporteur public devant le Conseil d’Etat prône l’applicabilité des règles spéciales, sous certaines conditions.

Le cinquième (et ultime) acte du contentieux, opposant le syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes (SITURV) à son assureur Axa, s’est déroulé ce mercredi 22 novembre 2017 devant le Conseil d’Etat. Une vraie saga qui a commencé lorsque l’établissement public a demandé à Axa la prise en charge d’un sinistre (de l’ordre de 1,3 millions d’euros) survenu lors d’une opération de construction. Le SITURV avait souscrit une assurance tous risques pour ces travaux. La société lui a alors opposé l’illégalité du contrat : le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre avaient modifié le programme des travaux sans l’avertir et avant la signature du marché. L’affaire est portée devant le juge. Axa se pourvoit en cassation pour la seconde fois après le verdict de la cour administrative d’appel de Douai (CAA, 15 décembre 2015, n° 11DA00802) qui n’a pas suivi la décision du Conseil d’Etat (CE, 22 mai 2015, n°383596).

Contrat écarté en cas de vice d’une particulière gravité


Le juge écarte le contrat pour régler le litige entre les parties lorsqu’il existe un vice d’une particulière gravité (CE, Assemblée, 28 décembre 2009, Commune de Béziers). La haute juridiction, ainsi que la CAA de Douai lors du renvoi, ont établi leur raisonnement en se fondant sur cette règle. Pour les sages du Palais Royal, l’oubli du SITURV d’informer son assureur de la modification des travaux, qui plus est avant la conclusion de la convention, est de nature à annihiler le consentement et par conséquent à écarter le contrat. Quant à la juridiction d’appel, l’absence de communication des documents de la méthode de substitution n’entacherait pas le consentement de la société car, en référence au cahier des charges, ils n’ont pas de valeur contractuelle. Néanmoins, elle reconnaît un vice de consentement dû au défaut de signature. Toutefois, elle va s’interroger sur la gravité de cette carence. La nouvelle méthode d’une part ne modifie pas l’assiette et la circonstance globale du projet et d’autre part diminue le montant des opérations seulement d’1 %. La cour conclut donc au maintien du contrat. Mais, la société reproche au juge d’appel d’avoir apprécié ce manquement uniquement sur la base du marché et des principes généraux du droit administratif, sans répondre à ses moyens tirés de l’application du code des assurances sur les obligations de l’assuré. Gilles Pellissier n’est pas resté insensible à l’argumentation de la requérante. Le Conseil d’Etat ne se s’est pas prononcé, précédemment, sur cette question soulève le rapporteur public.

Ce dernier rappelle la cacophonie créée par la loi Murcef du 11 décembre 2001 en intégrant certaines conventions - disposant d’un régime particulier - dans le champ des contrats administratifs, au demeurant exclues en raison de leur objet et de leurs rapports suscités entre les parties. Le cas des assurances est un bon exemple.  En l’espèce, deux réglementations seraient susceptibles de cadrer ce contentieux. L’une est issue de la décision « Béziers I » mentionnée ci-dessus. L’autre est prévue à l’article L.113-8 du code des assurances : « le contrat est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l’assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l’objet du risque ou en diminue l’opinion pour l’assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré a été sans influence sur le sinistre ». L’article L.113-9 rajoute la possibilité pour l’assureur de résilier unilatéralement le contrat. Gilles Pellissier émet trois hypothèses. La première consisterait à écarter la législation des assurances en raison d’une inapplicabilité générale aux contrats publics. Mais cette solution ne serait pas justifiée par les principes fondant l’autonomie du droit administratif. A noter qu’auparavant, l’action des services publics n’était pas entravée par le recours au code des assurances par l’administration. La seconde serait d’écarter cette législation en cas d’incompatibilité avec les dispositions de la commande publique. Aujourd’hui, ce scénario devient difficilement réaliste depuis l’entrée des polices dans le giron des marchés. Il est nécessaire de faire du cas par cas. C’est pourquoi Gilles Pellissier recommande donc un troisième scénario.

La gravité du vice appréciée à l’aide du code des assurances


Il prône la prévalence des normes spéciales sur les normes générales du droit administratif. Le code des assurances couvre la règlementation relative à la nature d’un risque. Laquelle est conçue au regard de la spécificité de cet objet sans distinguer la nature de l’assurée. Néanmoins, le rapporteur public pose une limite. Elle est  écartée si elle compromet un principe supérieur de droit public (l’intérêt général prime sur la logique contractuelle). Concernant cette affaire, d’une part « La jurisprudence "Béziers" ne semble pas garantir des finalités supérieures qui semble compromis par l’application de cette législation » déclare le rapporteur. D’autre part, les articles L.113-8 et L.113-9 n’altèrent aucun de ces principes. Une clause contractuelle peut prévoir la possibilité pour un titulaire d’un marché de le résilier unilatéralement à deux conditions. Le contrat ne peut avoir pour objet l’exécution d’un service public et la personne publique doit pouvoir s’opposer à la résiliation pour un motif d’intérêt général. La CAA de Douai devait donc apprécier la validité du contrat au regard de la jurisprudence Béziers I et aussi en lien avec les deux articles précités, estime Gilles Pelissier. Bien qu’elle n’ait pas expressément exercé ce contrôle par rapport au code des assurances, la cour en se penchant sur la gravité de la modification des travaux, a recherché si l’objet du risque avait changé conformément à l’article L.113-8. Au vu des circonstances de l’espèce, Gilles Pellissier ne retient donc pas l’erreur de droit mais demande aux sages du Palais Royal d’expliquer l’application de ces dispositions.