Coup de théâtre : la clause d'interprétariat validée

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Une fois n’est pas coutume, le Conseil d’Etat n’a pas suivi les conclusions du rapporteur public qui estimait que la clause d’interprétariat, variante de la clause Molière, imaginée par la région Pays de Loire allait à l’encontre de la libre circulation au sein de l’Union. Comme le TA de Nantes, les sages du Palais Royal ont donc admis qu’un pouvoir adjudicateur puisse obliger le titulaire d’un marché à recourir à un interprète qualifié si les travailleurs d’un chantier ne disposent pas d’une maîtrise suffisante de la langue française pour leur permettre de comprendre la réglementation sociale en application du Code du travail.

C’est une victoire pour la région Pays de Loire et sa clause d’interprétariat que les sages du Palais Royal viennent de valider. Dans la guerre qui oppose l’Etat à certains pouvoirs adjudicateurs au sujet de la fameuse clause Molière, la collectivité de l’Ouest aurait trouvé la bonne formule, en substituant l’obligation de la maitrise de la langue française par celle d’un recours à un interprète. En l’espèce, la collectivité a introduit dans un marché de travaux, la stipulation suivante : « afin de permettre au maître d’ouvrage d’exercer son obligation de prévention et de vigilance, (…) le titulaire est tenu de recourir, à ses frais, à un interprète qualifié dans les langues concernées, si les personnels présents sur le chantier, quelle que soit leur nationalité, ne disposent pas d’une maîtrise suffisante de la langue française pour leur permettre de comprendre la réglementation sociale en application du Code du travail. En cas de carence constatée (…) la Région désignera un ou des interprètes de son choix. Les frais consécutifs seront comptabilisés comme pénalités. (…) De plus, après mise en demeure restée sans effet, la résiliation du marché pourrait être prononcée aux frais et risques du titulaire ». La préfecture de la région et du département de la Loire-Atlantique avait logiquement saisi le juge du référé précontractuel puisque le gouvernement avait, dans une circulaire, interdit la prolifération de ce type de dispositif (instruction interministériel du 27 avril 2017, ARCB1710251) estimé contraire aux fondements, à la fois, de la commande publique et de l’Union européenne. Après le tribunal administratif de Nantes (ordonnance du 7 juillet 2017), le Conseil d’Etat n’a pas donné raison aux représentants de l’Etat. Pourtant, les conclusions du rapporteur public abondaient dans leurs sens. Gilles Pélissier estimait que cette clause était doublement contraire à la libre circulation au sein de l’Union. D’une part, les entreprises françaises seraient réticentes à embaucher des travailleurs détachés. D’autre part,  les implantations de prestataires étrangers sur le territoire seraient plus difficiles.


Une clause non discriminatoire


Le Conseil d’Etat est resté de marbre à cette argumentation. Primo, les travailleurs détachés sont soumis à la règlementation nationale notamment en matière de santé et de sécurité au travail et de protection sociale, rappelle la juridiction de cassation. Deuzio, une entreprise, quelle que soit sa nationalité, ne serait pas lésée ou privilégiée. Cette stipulation ne porterait aucune atteinte au principe européen. Par ailleurs, une mesure nationale restreignant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne peut être admise, rappelle la haute juridiction. La mesure doit à la fois poursuivre un objectif d’intérêt général et permettre de garantir la réalisation de celui-ci sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. La clause d’interprétariat, mise en cause, respecte ces conditions selon les sages du Palais Royal : « elle vise à permettre au maître d’ouvrage de s’assurer, en vertu notamment de l’article L. 4531-1 du code du travail, que chaque travailleur directement concerné par l’exécution de tâches risquées sur le chantier est en mesure de réaliser celles-ci dans des conditions de sécurité suffisantes ». Toutefois, cette ambition de compréhension des consignes de sécurité est-elle compatible avec l’article 38 de l’ordonnance relative aux marchés publics ? Le texte encourage la prise en compte de considérations relatives au domaine sociale et à l’emploi. Gilles Pellissier écartait cette clause pour deux raisons : cet objectif est déjà encadré par le code du travail et cette législation est applicable à l’ensemble des chantiers. Pour le Conseil d’Etat, un tel dispositif n’est visiblement pas antinomique. Les Sages ont également écarté un dernier argument du rapporteur public qui avançait  que des résultats similaires pouvaient être produits avec un coût moindre pour le prestataire. L’application de ces clauses doivent être appliquées sans occasionner de coûts excessifs, insiste le Conseil d’Etat.