L’accusé de réception d’une requête en référé par l’acheteur est sans incidence

partager :

L’acheteur doit-il recevoir l’accusé de réception du dépôt de la requête en référé précontractuel pour que le recours soit recevable ? La réponse affirmative du tribunal administratif (TA) de Toulon, dans l’affaire Société hospitalière d’assurance mutuelle, avait secoué les professions juridiques. Le Conseil d’Etat, saisi de la problématique, est revenu à un procédé plus habituel. En parallèle, la haute juridiction a dû préciser à quel moment l’acheteur, lorsque la requête est communiquée par télérecours, ne peut plus signer le marché.

L’affaire société hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM) avait fait grand bruit, en janvier dernier, dans nos colonnes (lien en bas de page). Le tribunal administratif (TA) de Toulon avait rejeté une requête en référé précontractuel d’un candidat évincé car le recours était irrégulièrement notifié en raison du défaut de transmission, à l’acheteur, de l’accusé de réception du dépôt de celle-ci. La société requérante avait immédiatement porté le litige en cassation. Pour mémoire, l’entreprise avait envoyé un courrier au centre hospitalier intercommunal de Fréjus Saint-Raphaël (l’auteur du marché) l’informant de sa prise de contact auprès du juge. Si cette pratique était consacrée, elle bouleverserait les habitudes des avocats.

Le recours en référé est recevable sans l’envoi à l’acheteur de l’accusé de réception par le tribunal


L’envoi de l’accusé serait un moyen, pour la personne publique, d’être sûre qu’une action en justice sera engagée. Comme le soulignait l’avocat du cabinet Avoxa, Julien Bonnat : « A bien y réfléchir qu’est-ce qui prouve au pouvoir adjudicateur que le référé est enregistré devant le TA et que donc, la signature du marché est suspendu, si l’AR de télérecours (ou du fax au tribunal avant) n’est pas communiqué en même temps que la requête ? Rien ». Mais le rapporteur public, lors de l’audience devant le Conseil d’Etat, est resté pragmatique. D’une part, ce procédé n’a jamais été retenu par les juridictions. D’autre part, il alourdirait les démarches. Les sages du Palais Royal ont rendu leur décision le 25 juin 2018. « Aucune règle ou disposition ne subordonnent l’effet suspensif de la communication du recours au pouvoir adjudicateur à la transmission, par le demandeur, de documents attestant de la réception effective du recours par le tribunal », ont déclaré ces derniers, tout en poursuivant : « qu’en exigeant ainsi que le demandeur apporte au pouvoir adjudicateur la preuve de la saisine du tribunal…, en en déduisant qu’en l’absence d’une telle production, le centre hospitalier intercommunal n’avait pas méconnu l’obligation qui pesait sur lui de suspendre la signature du marché…, le juge des référés a entaché son ordonnance d’erreur de droit ». Le soufflé est donc retombé. L’affaire a été renvoyée.

« l’article 551-1 du code de justice administrative n’imposent pas que la transmission… soit accompagnée de l’accusé de réception du dépôt et de l’enregistrement de [la] requête au [TA] délivré par l’application télérecours »


Dans un contentieux similaire, le TA de Rouen n’a pas attendu le verdict de la haute juridiction, dans son ordonnance du 24 mai 2018, pour statuer dans ce sens. Le magistrat était certain que  « l’article 551-1 du code de justice administrative [CJA] n’impose pas que la transmission… soit accompagnée de l’accusé de réception du dépôt et de l’enregistrement de [la] requête au [TA] délivré par l’application télérecours ». De surcroît, cette omission « n’a pas non plus pour conséquence, ainsi qu’il est soutenu en défense, de paralyser pour une durée importante la signature du marché dès lors que la requête en référé précontractuel est nécessairement transmise rapidement par le greffe », a renchéri le juge.

L’acheteur ne peut plus signer le marché dès la réception de la notification


Conformément à l’article L. 551-4 du CJA, « le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ». Cependant, cette disposition a été sujette à interprétation dans le cadre de la communication de la requête par Télérecours. Des interrogations ont surgi, dans le cadre d’un autre différend, sur le moment où la conclusion du marché n’est plus possible. Une partie défendait la thèse suivante : l’envoi de la requête par l’application Télérecours engendrerait les effets prévus par l'article précité. De l’autre côté, il était mis en avant que l’évènement déclencheur serait la prise de connaissance par l’acheteur. Le Conseil d’Etat a tranché dans une décision du 20 juin 2018. En l’espèce, la ville de Paris avait lancé une procédure d’appel d’offres pour des prestations de nettoyage. Le 8 décembre 2017, elle avait informé les participants non retenus de leur éviction par courrier électronique. Le délai de standstill était fixé à onze jours. Le 18 décembre, un des candidats concernés a fait part au juge de ses remontrances. L’application Télérecours a communiqué au futur défendeur la requête le lendemain à 15h09. Mais la commune en a pris connaissance seulement à 17h37. Or, entre-temps, elle avait signé le marché. La collectivité a fait valoir l’irrecevabilité de la demande à la fois devant le juge du référé précontractuel et contractuel. Les sages du Palais Royal n’ont pourtant pas suivi le défendeur (et le juge du premier degré) car

le délai de suspension court à compter non de la prise de connaissance effective du recours…, mais de la réception de la notification qui lui a été faite

« s’agissant d’un recours envoyé au service compétent du pouvoir adjudicateur par des moyens de communication permettant d’assurer la transmission d’un document en temps réel, le délai de suspension court à compter non de la prise de connaissance effective du recours…, mais de la réception de la notification qui lui a été faite ». Par conséquent, « lorsque l’auteur d’un référé précontractuel établit l’avoir notifié au pouvoir adjudicateur dans les conditions prévues par cet article, le pouvoir adjudicateur qui signe le contrat postérieurement à la réception du recours doit être regardé comme ayant méconnu les dispositions de l’article L. 551-4 du même code », a conclu le Conseil d’Etat.