Vademecum du référé contractuel : l'introduction du recours (I)

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Yann Simonnet, avocat au cabinet Cheysson Marchadier, vous donne le mode d’emploi pour réussir un référé contractuel, procédure d’urgence qui vise à sanctionner après la signature du contrat le manquement d’une personne publique à certaines de ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Quand peut-on introduire un référé contractuel ?

Un référé contractuel ne peut être introduit qu’à l’encontre d’un contrat qui a été signé.
A compter de la signature du contrat, le délai ouvert à une entreprise pour introduire un référé contractuel devant le juge administratif va dépendre des mesures effectuées par l’administration pour rendre publique la conclusion de ce contrat. Si la personne publique publie un avis d’attribution du contrat au Journal Officiel de l’Union européenne (JOUE), un référé contractuel peut être introduit dans un délai de 31 jours suivant cette publication. Concernant les contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique, ce délai de 31 jours court à compter de la notification aux entreprises non retenues de la signature du marché. Si la personne publique n’a procédé à aucune de ces diligences, une entreprise peut introduire un référé contractuel dans un délai de 6 mois courant à compter du lendemain du jour de la signature du contrat. Lorsqu’une entreprise a répondu à une consultation, et si, au regard des éléments en sa possession (notamment de la date prévisionnelle de début des prestations figurant dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans le règlement de la consultation), elle estime qu’il est anormal que l’administration n’ait pas encore informé les candidats de l’offre sur lequel son choix s’est porté, il est impératif qu’elle surveille les publications au JOUE et, le cas échéant, qu’elle adresse un courrier à la personne publique afin de s’enquérir de l’avancement de la procédure d’attribution.

Tous les marchés publics peuvent-ils faire l’objet d’un référé contractuel ?

Dans le cadre de la passation de certains marchés publics, les personnes publiques ont la possibilité de faire obstacle à l’introduction de tout référé contractuel. En effet, lorsqu’une personne publique passe un marché à procédure adaptée ou un marché négocié sans publicité préalable et sans mise en concurrence, si celle-ci publie un avis relatif à son « intention de conclure » ce marché au JOUE, puis observe un délai de 11 jours avant de signer ce dernier, le référé contractuel qui serait introduit à l’encontre de ce marché ne sera pas recevable. Pour les contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique, c’est la notification aux entreprises non retenues du rejet de leurs offres et le respect d’un délai de 11 ou 16 jours (selon le mode de transmission voie électronique ou voie papier) à compter de cette notification avant la signature du marché qui permet de faire obstacle à l’introduction d’un référé contractuel.

Qui peut introduire un référé contractuel ?

Les personnes qui peuvent introduire un référé contractuel sont le préfet et les « personnes qui ont intérêt à conclure le contrat ». Concrètement, il s’agit tout d’abord des entreprises dont l’offre n’a pas été retenue. Mais, il peut également s’agir d’entreprises qui, de par leurs activités, avaient vocation à répondre à une consultation mais qui en ont été empêchés en raison d’un comportement fautif de l’administration ; c’est le cas, par exemple, lorsqu’une entreprise découvre qu’un marché a été conclu de gré à gré (sans publicité ni mise en concurrence préalable) avec l’un de ses concurrents.
En revanche, les sous-traitants, les organisations et ordres professionnels, les contribuables locaux ou les usagers du service public ne peuvent pas introduire un référé contractuel. Il en est de même de l’entreprise à qui le marché a été attribué.

Peut-on introduire un référé contractuel après avoir introduit un référé précontractuel ?
En principe, une entreprise qui a introduit un référé précontractuel à l’encontre d’une procédure de passation d’un marché ne peut pas ensuite introduire un référé contractuel à l’encontre de ce même marché une fois signé. Toutefois, cette règle de non-cumul des référés précontractuels et contractuels connaît des exceptions.

1) c’est tout d’abord le cas lorsqu’une personne publique ne se conforme pas à une décision rendue par le juge du référé précontractuel. Par exemple, alors que le juge impose à la personne publique de reprendre la procédure en raison des irrégularités qui l’entachent, la personne publique décide d’ignorer cette injonction et de signer le marché avec l’entreprise qu’elle avait retenu au terme de cette procédure irrégulière.

2) c’est également le cas lorsqu’une personne publique signe un marché alors même qu’un référé précontractuel est en cours d’instruction. Pour rappel, l’introduction d’un référé précontractuel (qui suppose que le marché dont la procédure est attaquée n’a pas encore été signé) emporte interdiction à la personne publique de signer ce marché jusqu’à ce que le juge rende sa décision.

3) il s’agit enfin des cas où une entreprise qui, dans l’ignorance de la signature d’un marché, introduit un référé précontractuel puis, au cours de l’instruction (le plus souvent lors de la lecture du mémoire en défense et des pièces produits par la personne publique), découvre que le marché a en fait déjà été signé. Une telle situation peut être la conséquence de deux comportements fautifs de la part d’une personne publique : soit elle n’a pas informé les candidats non retenus de l’attribution du marché ; soit elle a procédé à cette information mais n’a pas observé un certain délai entre cette notification et la signature du marché ( un délai de 11 ou 16 jours – selon le mode de transmission du courrier de notification – pour les marchés passés selon une procédure formalisée / un délai « raisonnable » pour les marchés passés selon une procédure adaptée).
Dans ces trois hypothèses, l’entreprise qui a introduit un référé précontractuel peut, après la signature du marché en cause, introduire un référé contractuel. Cette solution est justifiée par le fait que le comportement fautif de la personne publique a fait obstacle à ce que le référé précontractuel introduit par l’entreprise ait pu aboutir ; en effet, la signature d’un marché empêche le juge du référé précontractuel de se prononcer sur les demandes qui lui ont été soumises.

Quelles sont les modalités matérielles d’introduction d’un référé contractuel ?

L’entreprise qui souhaite introduire un référé contractuel doit rédiger (ou faire rédiger par un avocat spécialisé) une requête qui va contenir les éléments de fait (rappel du contexte du déroulement de la procédure d’attribution du marché attaqué) et de droit (ou « moyens » : il s’agit de démontrer que la personne publique n’a pas respecté certaines de ses obligations), ainsi que les demandes de l’entreprise (en principe, l’annulation du marché). La requête doit être suffisamment claire afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté quant à l’identification du marché attaqué. Cette requête sera accompagnée de l’ensemble des pièces qui doivent permettre au juge de constater les manquements dénoncés. Elle doit également être accompagnée d’un timbre fiscal d’un montant de 35 euros.

La requête doit être adressée au greffe du tribunal administratif territorialement compétent (c’est l’adresse du siège de la personne publique signataire du marché qui doit être prise en compte : mairie, hôtel de département ou de région etc.). En principe, le tribunal compétent est désigné dans l’avis d’appel public à la concurrence. Si ce n’est pas le cas, la rubrique « tribunaux et cours » du site Internet du Conseil d’Etat (voir en lien) permet d’identifier le tribunal compétent. Cette transmission peut se faire par courrier (en RAR) ou par télécopie. Toutefois, si la requête est envoyée par télécopie, il est nécessaire de « régulariser » (c’est-à-dire doubler) cet envoi par un envoi courrier (toujours en RAR).

Peut-on « transformer » un référé précontractuel en référé contractuel ?

Nous avons vu ci-dessus que lorsqu’une entreprise découvre au cours de l’instruction d’un référé précontractuel que le marché dont la procédure de passation est attaquée a déjà été signé (ce qui rend le référé précontractuel sans objet), celle-ci peut introduire un référé contractuel. Afin que cette entreprise ne soit pas contrainte d’introduire une nouvelle instance, il est admis que, dans un mémoire complémentaire, l’entreprise informe le juge qu’elle « transforme » son référé précontractuel en référé contractuel : il s’agit alors de viser les textes régissant le référé contractuel et d’adapter les demandes aux pouvoirs du juge du référé contractuel.

L’introduction d’un référé contractuel suspend-elle automatiquement l’exécution du marché attaqué ?

Non, l’introduction d’un référé contractuel n’emporte pas automatiquement suspension de l’exécution du marché attaqué. En effet, les textes prévoient que le juge des référés « peut » suspendre l’exécution ; il s’agit donc d’une faculté, et non d’une obligation.Il est donc conseillé aux entreprises de demander dans leurs requêtes la suspension du marché attaqué.