Qui pour mesurer la performance achat ?

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"S'inquiéter ne vous mène nulle part. Si vous vous inquiétez de votre performance, vous avez déjà perdu." Usain Bolt


En épluchant très régulièrement les rapports d’observations des chambres régionales des comptes, on constate que le juge financier se montre de plus en plus.... "indicatif". Il ne se contente plus de dresser un bilan et d’adresser quelques recommandations. Ne serait-il pas en train de s’ériger progressivement en tant que juge de la performance achat (lire "Les chambres régionales des comptes, nouvelles gardiennes de la performance achat") ?

Nous avions, il y a quelques mois, exposé une théorie : l’achat public se déploie désormais sous trois contrôles. Le juge administratif, c’est le juge du respect des procédures, garant principalement de l’égalité des chances d’accès à la commande publique et de la transparence. Le juge pénal pourfend les atteintes aux règles élémentaires de probité. Le juge financier, lui, est le gardien de la performance, le censeur de l’efficacité (relire "Le cerbère de l’Achat public").
 

De la régularité à la performance

Cette semaine, nous sommes allez plus loin que le constat et la construction théorique. Nous avons directement demandé au juge financier quelle place il entend prendre dans l’achat public.

Au préalable, nous avons voulu vérifier la permanence de l’implication du juge financier dans l’achat public. Et c’est vérifié : les chambres régionales des comptes n’hésitent pas à faire des recommandations aux collectivités contrôlées lorsqu’elles considèrent que celui-ci est insuffisant pour stimuler la concurrence. Par ailleurs, invoquer l’achat d’une fourniture à des fins de recherche, pour expliquer a posteriori une absence de publicité, est une justification qui ne passe pas. Tout comme déclarer systématiquement la procédure sans suite, au motif d’une redéfinition du besoin (lire "Mise en concurrence, délai de remise des offres, déclaration sans suite : les CRC veillent !").

Ensuite, nous sommes directement allés interroger un juge. Plus précisément, Bernard Lejeune, président de la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes. Il assume parfaitement l’étendue de son contrôle dans l’achat public : « La bonne application de la règle est une condition nécessaire. Pour autant, elle n’est pas suffisante » (lire "[Interview] Performance achat : respecter le code de la commande publique n'est pas suffisant"). Il justifie en creux la légitimité du contrôle des CRC par rapport à celui du juge administratif, adaptant la formule de Churchill « le cadre juridique des marchés publics est le moins mauvais de tous les systèmes pour assurer la performance. »

Ce que la CRC vérifie, donc, c’est la mise en œuvre des "bonnes pratiques" (tant que leur mise ne œuvre n’est pas érigée en obligation dans le code de la commande publique ?) : rédaction de guides internes, l’établissement d’une cartographie achat, programmation des achats. Autant de bonnes pratiques que les Trophées de la commande publique, réalisés en partenariat avec le ministère de la Transition écologique, mettent régulièrement en avant. Avec, pour l’édition 2021, une évidence révélée : « Performance de l’achat et achat responsable : l’un ne va plus sans l’autre… » (lire "Trophées de la commande publique 2021 : 7 lauréats pour une commande publique en mouvement").
 

Le contrôle citoyen : vers une commande publique "participative"?

La mesure de la performance achat ressortira-elle un jour directement de l’administré ? C’est aussi une question qui surgit. Et que révèle cette "affaire locale" à Belfort, remontée par nos confrères de France Bleu. Un chef d’entreprise dont l’entreprise juracienne, Girod Médias, numéro 3 sur le marché français du mobilier urbain publicitaire, a vu son offre écartée lors de la passation d’un marché. Il a envoyé un courrier (25 000 exemplaires une opération à 10 000 €) aux habitants de Belfort, dans lequel il s'étonne d'avoir été écarté, précisant que « son offre était beaucoup plus intéressante financièrement pour les contribuables belfortains » (lire "Du rififi commande publique à Belfort "). Pour le candidat dont l’offre n’ a pas été retenue, le contribuable belfortain a été lésé dans le choix qui a été fait par le maire. Lequel estime, lui, avoir choisi l'entreprise (JC Decaux) la plus "performante, réactive et écologique". A notre connaissance, l'affaire n’est pas encore remontée devant le juge. Mais elle révèle une conséquence probable d’une commande publique à laquelle on assigne des objectifs de plus en plus larges, et notamment environnementaux et sociaux.

Faudra-t-il aller vers une transparence totale de la prise de décision achat ? Certains ont cru bon prendre en compte, en amont, la "réaction citoyenne" en mettant en place une CAO participative. A Dreux, deux administrés tirés au sort sur les listes électorales pourront assister aux délibérations de la commission d’appel d’offres (relire "A Dreux, une « CAO participative"). Plus en amont encore, à Paris et afin de concevoir AgriParis, une conférence citoyenne de l’alimentation durable a été organisée, avec une panel composé de 100 citoyens (50 % de Parisiens et 50 % d’habitants de petite et grande couronnes), pour échanger sur les achats alimentaires dans les dans les crèches, les cantines, les Ehpad (relire "La convention des citoyens Climat essaime : bientôt, « AgriPAris »").


Un cerbère, en théorie, bénéficie de 3 têtes. Avec un contrôle citoyen en plus de ceux des juges administratif, pénal et financier… on passe à quatre.
Fichtre ! Quelle est cette nouvelle et effrayante créature ?