Le Conseil d'Etat se penche sur l'offre irrégulière

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Le Conseil d’Etat vient de rendre une série de décisions contentieuses qui concernent l’irrégularité des offres. Il tranche un litige autour de l’attribution d’un accord-cadre multi-attributaires à deux filiales du même groupe. La Haute juridiction revient aussi sur l’usage par l’acheteur public de son pouvoir de régularisation à l’égard d’offres irrégulières. Et éclaircit l’obligation d'imposer aux candidats de justifier qu'ils répondent bien aux caractéristiques techniques exigées au travers des critères d’attribution…

Divers contentieux portés devant le Conseil d’Etat récemment ont trait à l’irrégularité des offres. Tout d’abord, les juges du Palais Royal tranchent un litige autour de l’attribution d’un accord-cadre multi-attributaire à deux filiales du même groupe.
 

Recherche de l’autonomie commerciale des offres remise par des filiales


Une entreprise ne peut proposer plusieurs offres

Deux sociétés avec le même président et actionnaire obtiennent, chacun de leur côté, le contrat-cadre de la Métropole d’Aix-Marseille, qui a pour objet la réalisation de divers travaux à destination des ouvrages de la collectivité. L’un des candidats évincés saisit le juge du référé précontractuel. Il fait valoir que les offres retenues seraient irrégulières en l’absence d’autonomie commerciale. Aussi bien le magistrat de première instance que les conseillers d’Etat reconnaissent sans difficulté que les entreprises ne sont effectivement pas indépendantes l’une de l’autre, puisque les offres litigieuses s’avèrent identiques. Comme le précise le Conseil d’Etat, l’absence d’autonomie commerciale se déduit « notamment des liens étroits entre leurs actionnaires ou leurs dirigeants, qui peut se manifester par l'absence totale ou partielle de moyens distincts ou la similarité de leurs offres pour un même lot ». Autrement dit, dans ce cas de figure, les opérateurs économiques doivent être regardés comme un candidat unique. 

Selon le rapporteur public, Marc Pichon de Vendeuil, une entreprise ne peut proposer plusieurs offres. Il s’appuie, dans ses conclusions, sur l’article L. 1220-3 du code de la commande publique et la structure grammaticale utilisée : « un soumissionnaire est un opérateur économique qui présente une offre dans le cadre d'une procédure de passation d'un contrat de la commande publique ».
Ce principe comporte néanmoins une dérogation dès lors que les variantes sont autorisées, avance le Maître des requêtes : « C’est d’ailleurs bien parce que ces possibilités de variantes sont limitées (et peuvent du reste être interdites) que la règle […] fait sens : non seulement elle n’empêche pas une même offre de comporter des variantes lorsque cela est autorisé mais, en outre, elle permet de prévenir des stratégies de contournement dans l’hypothèse où les variantes sont prohibées par le pouvoir adjudicateur ». Or la collectivité publique, en l’espèce, n’admet pas une telle faculté.
 

Les limites de la régularisation des offres irrégulières


L'irrégularité de la proposition de la requérante est d’une importance telle, non conforme à des éléments essentiels du programme fonctionnel et spatial , qu’elle ne pouvait être régularisée par le pouvoir adjudicateur

« Lorsque l'offre d'un candidat évincé était irrégulière et alors même que l'offre de l'attributaire l’était aussi, la circonstance que le pouvoir adjudicateur aurait été susceptible de faire usage […] de la faculté de l'autoriser à régulariser son offre n'est pas de nature, par elle-même, à ce qu'il soit regardé comme n'ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat ». Un principe que le Conseil d’Etat dégage, au cours de l’affaire qui oppose le centre hospitalier de Chambéry à un candidat évincé, à propos d'un marché de conception-réalisation, conclu en 2010, en vue de la construction d’un bâtiment hospitalier.
La société conteste le motif de son éviction, et demande à être indemnisé des frais engagés. Mais sa requête n’aboutit pas. Les juridictions du fond et la Haute juridiction la rejettent. L’irrégularité de la proposition de la requérante est d’une importance telle, puisque non conforme à des éléments essentiels du « programme fonctionnel et spatial » exigés dans le dossier de consultation, qu’elle ne pouvait être régularisée par le pouvoir adjudicateur. Par conséquent, l’entreprise était dépourvue de toute chance d'obtenir le contrat.
 

Vérification du respect des normes au stade de la notation des offres


Le respect des normes s’impose, à tous les candidats, sous peine d’irrégularité pour méconnaissance de la législation, sans pouvoir constituer un critère de sélection

Le Conseil d’Etat lève une ambiguïté sur la portée de l’obligation à l’encontre d’un pouvoir adjudicateur de solliciter des justificatifs auprès des candidats, dès lors qu’il examine une offre au regard de caractéristique technique déterminée.
En l’espèce, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur lance une passation d’un accord-cadre de valorisation des biodéchets. Contestée par un candidat évincé, le juge du référé précontractuel annule la procédure car la collectivité n’a pas procédé au respect effectif des normes européennes qui constituait, d’après le Tribunal administratif de Marseille, une exigence précise, impliquant la production de justificatifs et sanctionnée par le système d'évaluation des offres.

Mais les magistrats du Palais-Royal ne partagent pas cette analyse. Ils y voient plutôt un élément d’appréciation du critère de la valeur technique qui n’a pas d’incidence sur la notation des propositions. Et même dans le cas contraire, selon la rapporteure publique Mirelle Le Corre, « il ne se serait pas agi d’une "caractéristique technique déterminée" […], puisque le respect des normes s’impose, le cas échéant, à tous les candidats, sous peine d’irrégularité pour méconnaissance de la législation (article L. 2151-2) sans pouvoir constituer un critère de sélection ».
Par ailleurs, la Haute juridiction ajoute que la région « n’a pas davantage commis de manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en ne prévoyant pas de critère de notation spécifique portant sur le respect de ces normes ». En conclusion, l’ordonnance est annulée. Et les prétentions de la requérantes rejetées.