Prévention de la corruption et contrats publics : les enseignements des enquêtes de terrain

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"La rencontre des contrats publics et de la corruption relève d’une vieille évidence" estiment François Lichère Professeur agrégé de droit public - Directeur de la Chaire de droit des contrats publics de l’Université Jean Moulin – Lyon 3 et Valentin Lamy, post-doctorant de la Chaire. Ils considèrent qu'une nouvelle solution pourrait se débusquer dans l’acculturation des contrats publics à la compliance...

La Chaire de droit des contrats publics, créée pour étudier les effets concrets des règles de droit des contrats publics, continue son travail d’enquêtes de terrain, lesquelles donnent lieu à des rapports disponibles sur son site internet et discutés au préalable entre spécialistes de la matière (universitaires, directeurs juridiques d’autorités contractantes et d’entreprises, membres du Conseil d’Etat, de la DAJ du MINEFI et de FININFRA).
Avant de se pencher sur le thème « contrats publics et environnement », qui donnera lieu à un sondage en ligne au mois de mai auquel tout juriste spécialiste d’achat public sera invité à répondre, elle a étudié le thème, particulièrement important, de la prévention de la corruption et des contrats publics.

La rencontre des contrats publics et de la corruption relève d’une vieille évidence

La rencontre des contrats publics et de la corruption relève d’une vieille évidence. Parce qu’ils constituent une activité économique où s’entrechoquent intérêt général et intérêts privés, les contrats publics sont un terreau fertile sur lequel peuvent se déployer des pratiques corruptives, ce qui est attesté par de fréquentes et médiatisées affaires de favoritisme dans des marchés publics.

Pourtant, les réponses juridiques visant à lutter contre le phénomène n’ont cessé de se développer.
Indirectement d’abord, avec l’encadrement du financement des partis politiques et campagnes électorales. Directement ensuite, dès le début des années 1990, avec notamment la loi du 3 janvier 1991, qui étend le champ d’application matériel des procédures de passation des marchés publics tout en créant le délit d’octroi d’avantage injustifié ou la loi Sapin 1 du 29 janvier 1993, affichée comme loi anticorruption, soumettant les délégations de service public à une procédure de passation et créant le Service central de prévention de la corruption, ancêtre de l’Agence française anticorruption.
À ces textes, encore faut-il ajouter les contrôles administratifs pesant sur les personnes publiques, exercés principalement par les préfectures et juridictions financières et qui permettent de contribuer à la lutte contre la corruption dans le secteur public local. L’ouvrage se parachève avec les nombreux textes, plus récent, concourant à la déontologie et la transparence de la vie publique.

62 % des français considèrent la corruption publique comme un « big problem »

Paradoxalement, l’édifice ne semble pas pleinement satisfaisant pour endiguer la corruption, dont la perception reste très largement défavorable : selon le baromètre mondial de la corruption établi par Transparency international en 2021, 62 % des français considèrent la corruption publique comme un « big problem ».

Une nouvelle solution pourrait alors se débusquer dans l’acculturation des contrats publics à la compliance, laquelle consiste, pour les acteurs, à mettre en place des mécanismes internes de nature à garantir la conformité de leurs activités et procédures aux règles de droit. Il s’agit donc d’une logique préventive visant à maîtriser les risques (ici de corruption) en amont.

Telle est l’ambition de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, qui soumet les personnes publiques, sous le contrôle de l’Agence française anticorruption (AFA), à la mise en place d’un dispositif interne anticorruption et les grandes entreprises privées à l’élaboration d’un programme anticorruption détaillé par l’article 17 de la loi, sous peine de sanctions par l’AFA. La loi prévoit donc un régime distinct selon que l’acteur concerné est une personne publique ou une entreprise, les sanctions ne concernant que cette dernière catégorie, ce que les recommandations de l’AFA tentent d’atténuer en suggérant aux personnes publiques de déployer les mêmes mesures que celles prescrites par l’article 17, à savoir une cartographie des risques de corruption, un code de conduite, un régime disciplinaire, une procédure d’évaluation des tiers, un système d’alerte interne, un dispositif de formation, des procédures de contrôle comptable et un dispositif de contrôle interne et d’audit de l’ensemble, le tout impulsé par un engagement de l’instance dirigeante.
 

La compliance consiste, pour les acteurs, à mettre en place des mécanismes internes de nature à garantir la conformité de leurs activités et procédures aux règles de droit

L’utilisation des méthodes de terrain a permis de sonder la pratique, afin de déterminer la diffusion de la compliance, sous l’angle particulier des contrats publics. Il est notamment apparu qu’au-delà de la faible maturité des personnes publiques en la matière (favorisée par l’imprécision de la loi Sapin 2) et des difficultés opérationnelles rencontrées autant par les autorités contractantes que les opérateurs économiques, la mesure décisive que constitue l’évaluation des tiers s’insérait très mal dans une logique de commande publique. En effet, les règles d’exclusion des candidats, seules à même de conférer une réelle effectivité à l’évaluation des tiers, n’étaient pas pensées selon une logique de compliance.
 

Le chemin est donc encore long, mais le rapport établi par la Chaire et bientôt publié sur son site internet permettra d’identifier l’ensemble des freins à une pleine diffusion de la compliance dans les contrats publics. Il permettra aussi de dresser des recommandations, dont il sera discuté en présence du directeur de l’AFA et d’universitaires et praticiens intéressés par la question à l’occasion d’un séminaire visible en ligne le 5 avril prochain de 17H30 à 19H (lien teams).

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