Vélib : reprise du personnel et impartialité au cœur du litige

  • 26/04/2017
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L'entreprise JCDecaux aura-t-elle gain de cause ? Le géant français de la publicité et du mobilier urbain a saisi le juge du référé contre la décision du syndicat Autolib' et Vélib' Métropole d’attribuer le nouveau marché des Vélib à Smoove, une PME de l'Hérault, à laquelle sont associés les sociétés Marfina SL, Movibia et Indigo infra. Le groupement JCDecaux/RATP/SNCF estime que deux manquements graves, sur le plan social et déontologique, entachent la passation du marché litigieux. Il demande en conséquence l’annulation de la procédure.

L’audience au TA de Paris s’est tenue mardi 25 avril. Une fois n’est pas coutume, les juges rendront leur décision en formation collégiale, compte tenu de la nature de l’affaire et de son importance. Le Vélib, lancé il y a maintenant à dix ans à Paris, est en effet un service ultra-populaire et incontournable de la capitale. JCDecaux, qui a porté le contrat pendant 10 ans, compte bien se battre pour conserver cette pépite. Le concurrent du géant français  l’a emporté sur le prix. Mais JC Decaux a obtenu les meilleures notes sur les critères d’« exploitation, entretien, maintenance du dispositif, communication institutionnelle, suivi du service » et le critère « conception, fabrication et déploiement du système ».

Une offre fondée sur le dumping social

Ce qui fait dire au mastodonte du mobilier urbain que le concurrent retenu présente « une offre financièrement étonnamment inférieure », fondée sur du dumping social. JCDecaux reproche en effet au syndicat Autolib' et Vélib' Métropole d’avoir choisi une offre qui n’intègre pas la reprise du personnel dédié au service Vélib, au nombre de 315 agents. Or, pour le candidat malheureux, cette reprise est obligatoire. Le deuxième moyen du requérant concerne le conflit d’intérêt et le manque d'impartialité d’une des AMO du syndicat Autolib' et Vélib' Métropole dont le dirigeant se trouve être le frère du PDG de Smoove. Nicolas Mercat, frère de Laurent Mercat, pdg de Smoove et nouvel attributaire, a fait partie d’une AMO qui a travaillé sur les clauses techniques de la consultation du marché, en amont de la passation.

Y a-t-il transfert de contrats ?

L’article L-1224 du code du travail sur le transfert de contrats s’applique-t-il au marché Vélib ? La réponse est oui pour les avocats du cabinet Lyon-Caen-Thiriez qui ont défendu le requérant. « L’article L-1224 s’applique, il n’y a aucun doute, avance Frédéric Thiriez. Les 315 agents de service ont été embauchés par Cyclocity, une filiale de JC Decaux, avec un personnel dédié dont les deux tiers s’occupent exclusivement des Vélib’ Paris.»  Le transfert s’accompagne en outre du transfert de plus de 300 000 abonnés, des cartes d’utilisation, de la charte graphique, des noms de domaine, de la base clients.

L’article L-1224 s’applique, il n’y a aucun doute

 « Dans ce marché, nous sommes bien en présence d’un transfert d’activité d’une entité économique autonome [ndlr c’est une filiale de JCDecaux qui prend en charge les Vélib avec un personnel dédié] qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise, reprend l’avocat. Cette activité est assortie d’éléments corporels et incorporels. L’offre retenue est donc irrégulière car elle méconnaît la législation sociale qui est d’ordre publique. » A cet argument s’ajoute celui du manque de transparence du syndicat métropolitain qui n’aurait jamais dit clairement, durant toute la procédure de passation, si le personnel devait être repris ou pas. « Smoove a remporté le marché, grâce au faible coût de son offre qui ne tient pas compte de la reprise du personnel. Mais il s’agit d’une offre faussée », considère Me Thiriez. Le groupement JCDecaux/RATP/SNCF estime qu’il n’a jamais pu obtenir toutes les précisions sur le dimensionnement des équipes ainsi que leurs conditions sociales et salariales de la part du syndicat durant la procédure.

Passe d’armes juridiques

Du côté du syndicat métropolitain, on estime que la question de l’application de l’article L-1224 relève d’une qualification juridique complexe qui ne peut se déterminer dès le stade de la passation.  « Le pouvoir adjudicateur a joué son rôle d’acheteur !, a répondu Me Froger, qui défend le syndicat. Si le L-1224 s’applique, il s’appliquera, mais nous pensons qu’il n’y a pas matière à reprendre le personnel car l’organisation existante n’a pas d’entité économique autonome affectée exclusivement au marché des Vélib. Il n’y aura pas d’activité identique avec le nouveau marché, donc pas de poursuite d’activité. Ce n’est plus le même besoin, ni le même objet  puisque le marché concerne la métropole et non plus Paris », a renchéri Me Froger. Romain Lauret, l’avocat de Smoove, considère pour sa part que le fameux article relève du juge du droit du travail.

Une qualification juridique complexe qui ne peut se déterminer dès le stade de la passation

« Qu’est-ce qui nous prouve que les 315 agents sont effectivement dédiés à cette activité ? a-t-il ensuite questionné. Il n’y pas d’actifs incorporels dans ce marché car il n’y a pas de clients. La clientèle appartient à la ville de Paris, a-t-il affirmé avant de poursuivre : Il  n’y a pas d’actifs corporels non plus car il n’y a pas de transfert de matériels significatifs. Les vélos, les ateliers, les bornes, etc. seront différents dans le nouveau contrat. Le groupement Smoove respectera le droit du travail et appliquera l’article en question si les conditions sont réunies. Si ce n’est pas le cas, il y aura éventuellement reprise du personnel pour ceux qui le veulent. » Et l'avocat d'ajouter que la reprise du personnel n’intéresse pas au premier abord l’acheteur public. On peut malgré tout s’en étonner, compte tenu de la couleur politique de la capitale…

L'impartialité de la procédure mise en cause

Le dernier moyen soulevé par l'entreprise JC.Decaux concerne le manquement au devoir d'impartialité. « Si je tiens à le mentionner a cette barre, c'est parce que cela paraît être un manquement encore plus grave que ce dont vous avez habituellement à connaître en référé précontractuel, sur les questions de transparence », soutient Frédéric Thiriez. « Nous sommes aux limites du favoritisme. » Si les faits ne sont pas contestés, l'avocat de la société requérante fait cependant observer que le frère de l'attributaire, Laurent Mercat, président directeur général de Smoove, faisait partie de l'équipe d'assistance à maîtrise d'ouvrage qui a travaillé en amont de la passation sur les clauses techniques de la consultation.

Nous sommes aux limites du favoritisme

Il s'agit de Nicolas Mercat, par ailleurs salarié et actionnaire de la société Indigo. Par ce moyen, il est principalement reproché à l'AMO d’avoir rédigé le rapport de présentation. Or, « nous savons très bien de l'influence de Nicolas Mercat dans la rédaction du rapport final, qui est totalement orienté contre JC Decaux et pour Smoove [ndlr Smoove a été auditionné, alors que JC. Decaux non, le système latéral d'accroche des vélos, propre à JC. Decaux, qui faciliterait les vols aurait été dénigré] », soutien Me Thiriez. Pour ce dernier, « il aurait été préférable que chaque membre de l’AMO remplisse une déclaration d'indépendance à l'égard des sociétés et des groupes susceptibles de candidater, comme cela a été fait pour les marchés autolib. »

Les liens familiaux sont-ils susceptibles d'établir une partialité ?

Côté défense, Me Froger, estime qu'il y a « une apparence de conflit d'intérêt, et uniquement une apparence car on sait que la personne en question n'a travaillé qu'un jour et demi, rien de plus. Il n'y a plus aucun lien capitalistique ni financier, ni de quelque ordre que ce soit, entre le PDG de Smoove et le mandataire de l'AMO depuis 2008 », a-t-il précisé. La défense soutient également que le seul constat de liens susceptibles d'exister entre le pouvoir adjudicateur ou le conseil de l'AMO, et un candidat à l'attribution d'un marché public,

Il y a  une apparence de conflit d'intérêt, et uniquement une apparence

ne suffit pas à établir l'existence d’une impartialité du pouvoir adjudicateur ou du conseil, susceptible de caractériser un manquement entre l'égalité des candidats. Pour autant, par précaution, le groupement d'AMO n'a pas participé, ni au dialogue compétitif, ni à l'analyse des offres. « Cette précaution est particulièrement efficace car nous sommes sur une procédure de dialogue compétitif entre les candidats et le pouvoir adjudicateur », plaide Me Froger. Il rajoute « qu'il ne comprend pas l'intérêt de la société JC.Decaux sur cet argument, sachant que cette dernière a obtenu de meilleures notes sur les critères techniques ». La décision sera rendue très rapidement.

Sandrine Dyckmans et Romain Carey