La méthode de notation ne doit pas fausser le jeu normal des critères

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Le Conseil d’Etat va avoir l’occasion de compléter prochainement sa jurisprudence sur les méthodes de notation irrégulières. La technique choisie dans l’affaire soumise à la haute juridiction, conduit à retenir systématiquement l'offre moins la chère et non celle économiquement la plus avantageuse.

Les obligations de publicité et de mise en concurrence imposent aux acheteurs publics, en cas d’appel d’offres, d’indiquer les critères et leur valeur, pondération ou hiérarchisation. La méthode de notation est, quant à elle, librement définie. Cette liberté tient à l’appréciation subjective faite par le pouvoir adjudicateur sur les mérites respectifs des offres. La méthode de notation n’a pas à être obligatoirement communiquée aux candidats. De plus, le juge n’exerce aucun contrôle sur le choix de cette méthode. « Mais on ne peut admettre que le juge ferme les yeux sur des méthodes qui sont irrégulières », relève le rapporteur public, Gilles Pellissier. Est irrégulière la méthode, qui «  en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, est par elle-même de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et est, de ce fait, susceptible de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie » (CE, 3 novembre 2014, commune de Belleville-sur-Loire). La jurisprudence contient déjà quelques illustrations de méthodes irrégulières.

Le juge peut seulement ordonnancer à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations

L’affaire opposant le ministère de la Défense à la société Techno Logistique permet de faire une nouvelle application des principes dégagés par la jurisprudence de 2014. En l’espèce, une procédure a été engagée pour la passation d’un marché de travaux de bourrellerie aéronautique. La société Techno Logistique, candidat évincé, a saisi le juge du référé précontractuel d’une demande d’annulation. Par une ordonnance rendue fin 2016, le magistrat montpelliérain a fait droit à sa demande. Il a estimé que la méthode de notation retenue pour le critère du prix, pondéré à 60%, est irrégulière. Dès lors, l’entreprise requérante a été lésée. Selon le rapporteur public, le juge a commis une erreur. En effet, au regard des dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, le marché doit être qualifié de marché public de défense. Or, pour de tels marchés, les pouvoirs du juge du référé précontractuel sont limités. « Il peut seulement ordonnancer à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations. Il ne peut pas annuler la procédure », relève Gilles Pellissier. Il invite donc le Conseil d’Etat à annuler l’ordonnance pour ce motif.

Une méthode de notation irrégulière

En l’espèce, la méthode de notation retenue pour le critère prix, pondéré à 60%, conduite à attribuer 20/20 à l’offre la moins chère et 0/20 à l’offre la plus chère. « Cette méthode revient à neutraliser les deux critères de sélection. Au final, elle conduit à retenir l’offre la moins chère et non pas l’offre économiquement la plus avantageuse », observe le rapporteur public. La jurisprudence a déjà validé des méthodes qui permet de donner la note maximum à la meilleure offre (voir par exemple, CE, 15 février 2013, société SFR ou encore CE, 17 juillet 2013, société Aeromécanic). Mais, « si la distorsion est si forte qu’elle fausse le jeu normal des critères, elle entache la procédure de passation. »

Si la distorsion est si forte qu'elle fausse le jeu normal des critères, elle entache la procédure

Ainsi, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de sanctionner une méthode de notation qui conduit à l’attribution de notes négatives (CE, 18 décembre 2012, département de la Guadeloupe), ou qui ne permet pas de retenir l’offre économiquement la plus avantageuse (CE, 1er juillet 2015, SNEGSO ; CE, 3 novembre 2014, commune de Belleville-sur-Loire). « La méthode retenue ici par le ministère de la Défense fausse encore plus clairement la pondération. Elle prive l’entreprise qui a obtenu 0/20 au critère prix d’obtenir le marché, quel que soit l'écart de prix avec les autres, alors même qu’elle aurait pu être la meilleure offre sur les deux autres critères », indique-t-il. La distorsion aboutit ainsi à neutraliser les autres critères pour le candidat le moins bien classé. La méthode est donc bien irrégulière. Pour autant, cela n’implique pas nécessairement une lésion du candidat évincé. Or, en l’espèce, le rapporteur public estime que la société Techno Logistique n’avait aucune chance de remporter le marché. Elle a obtenu une note inférieure à l’attributaire sur le critère de la valeur technique et la même note sur le critère social. Il invite donc la haute juridiction, après avoir annulé l’ordonnance, à rejeter la requête en référé de la société Techno Logistique. Au CE de trancher.