Négociation : l’offre intermédiaire peut-elle être le bouquet final ?

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L’égalité de traitement des candidats primerait-elle sur la transparence de la procédure ? Cette question se pose à la suite d’un récent arrêt du Conseil d’Etat. Après avoir commis une étourderie, l’autorité concédante a changé les règles de la négociation, préalablement fixées, lors du dépôt de l’offre finale afin de ne pas méconnaître le principe d’égalité et clôturé la négociation par l’appréciation de la proposition intermédiaire à la place de l’offre finale. Si le juge du référé en première instance s’est interrogé sur la lésion du candidat requérant, la haute juridiction a concentré son analyse sur les circonstances du revirement.

Les sages du Palais Royal se sont lancés dans le sauvetage, coûte que coûte, de la passation de la concession d’exploitation des transports urbains de personnes de la Métropole européenne de Lille, certifie Clément Gourdain, avocat chez Cornet Vincent Segurel. En l’espèce, l’intercommunalité avait déclaré une première fois la mise en concurrence infructueuse car aucune proposition ne remplissait les conditions et les caractéristiques minimales de la consultation. Lors de la seconde procédure publiée à l’identique, deux sociétés sont retenues pour participer aux négociations : les sociétés Kéolis et Transdev. Huit réunions sont organisées avec chacune d’entre elles, dont une présentation de la proposition initiale, sans compter les nombreux échanges écrits. Conformément au règlement de la consultation, cette phase s’est terminée par l’envoi d’un courrier aux deux candidats, le 19 mai 2017, sollicitant la production de leurs offres finales. La Métropole joint une clé USB comprenant les documents devant être produits, mais commet une énorme bévue puisque la prestation de Kéolis est présente  sur le support numérique envoyé à la société Transdev qui signale le souci à l’interco. En juin, la métropole choisit alors de sortir de l’ornière en optant pour l’analyse des offres intermédiaires déposées à la mi-avril. La société Transdev saisit alors le juge du référé précontractuel pour faire annuler ce choix ainsi que l’intégralité de la mise en concurrence ou, à titre subsidiaire, demander la poursuite de la procédure dans le respect des obligations de publicité. Devant le tribunal administratif (TA) de Lille, tout comme en cassation, sa requête est rejetée. Pour la juridiction, la négociation est organisée librement par l’autorité concédante (article 46 de l’ordonnance relative aux concessions), laquelle n’est pas tenue de rendre public les modalités de sa mise en œuvre. En revanche, si elle décide de se contraindre à appliquer volontairement un procédé, elle se doit de le suivre, remarque le TA de Lille.

Une dérogation limitée au cas d’espèce


La société Transdev objecte d’abord que le non-respect des documents de la consultation prévoyait expressément l’obligation de présenter une offre finale. Deuxièmement, elle invoque la méconnaissance du principe de transparence. De son côté la Métropole estime, en raison des circonstances, qu’elle était autorisée à adapter les modalités afin de garantir le respect du principe d’égalité.  Le TA de Lille a recherché si la requérante était susceptible d’avoir été lésée ou risquée de l’être. L’entreprise Transdev argue qu’elle n’a pu intégrer dans son offre intermédiaire les améliorations résultant de la séance de la négociation du 9 mai 2017, et que la personne publique n’a pas pu choisir la meilleure offre en raison du caractère incomplet des offres. Mais le tribunal a balayé cet argument puisque la Métropole s’est engagée à prendre en considération, lors de l’attribution, les propositions à la date du 19 mai 2017, autrement dit l’offre intermédiaire et les compléments apportés par les candidats dans les réunions jusqu’à cette échéance. Deuzio, les offres intermédiaires ne seraient pas incomplètes puisqu’il résulte de son interprétation du RC que  « l’offre retenue (…) est constituée de l’offre initiale devant comporter l’ensemble des pièces mentionnées aux (…) règlement de la consultation, complétée par les éléments et modifications transmises dans le cadre des négociations ». Contrairement au juge de première instance, le Conseil d’Etat ne se cache pas derrière la condition de l’existence d’un préjudice pour écarter les prétentions de la société Transdev. Il se fonde sur les effets de l’erreur commise par la Métropole : « cette divulgation (…) était de nature à nuire à la concurrence entre les opérateurs et, dans les circonstances de l’espèce, à porter irrémédiablement atteinte à l’égalité entre les candidats, dans le cadre de la procédure en cours comme dans le cadre d’une nouvelle procédure si la procédure de passation devait, à brève échéance, être reprise depuis son début ; que la décision de la métropole, consistant à figer l'état des offres à la date de la divulgation, a entendu pallier cette atteinte à l’égalité entre les candidats ». Pour autant, cette dérogation reste exceptionnelle. Cette décision du Conseil d’Etat ne signifie pas que le principe d’égalité de traitement des candidats prime sur la transparence de la procédure, insiste Clément Gourdain. Cette position du juge, bien que nouvelle, tient aux circonstances très particulières du cas d’espèce. Néanmoins, elle s’inscrit dans la jurisprudence de l’arrêt de section du 3 octobre 2008 n° 305420 où l’annulation d’une passation par le juge du référé précontractuel est le dernier recours, constate l’avocat.