Quand les candidats trichent sur les références

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On connaît les CV bidonnés. Mais la tricherie existe aussi dans les dossiers de candidatures aux marchés publics. Or les acheteurs, qui sont censés contrôler les renseignements remis, ne le font pas systématiquement, faute de bras ou faute de temps.

Le pouvoir adjudicateur contrôle les garanties professionnelles, techniques et financières des candidats à l’attribution d’un marché public. Cette vérification s’effectue au vu des documents ou renseignements, comme les références, demandées à cet effet dans les AAPC ou dans le RC. En 2012, le Conseil d’Etat a jugé que « la prise en compte par le pouvoir adjudicateur de renseignements erronés relatifs aux capacités professionnelles, techniques et financières d'un candidat est susceptible de fausser l'appréciation portée sur les mérites de cette candidature au détriment des autres candidatures et ainsi de porter atteinte au principe d'égalité de traitement entre les candidats » (CE, 3 octobre 2012, société déménagement Le Gars). Malgré le risque de contentieux administratif voire pénal, certains candidats n’hésitent pas à tricher pour obtenir des marchés et à faire siennes des références d'autres sociétés. Cette  mésaventure est arrivée  à la société CB Bureau. Un de ses anciens commerciaux a subtilisé des attestations commerciales de satisfaction. Volontairement tronquées dans leur partie supérieure pour faire disparaître toute référence à CB Bureau, elles ont utilisées pour répondre à des marchés pour le compte d'une autre entreprise. C'est une mairie qui, en faisant des vérifications, a découvert le pot aux roses et écarté la candidature.  Avertis de l’utilisation de ces faux documents, d'autres collectivités n’ont rien fait. C'est pourquoi,  Gérard Chounet, gérant de CB Bureau, a déposé le 10 février 2015 une plainte au pénal auprès du tribunal de grande instance de Versailles.

Des propositions alléchantes mais bidons

« J’ai été confronté à cette situation en 2005 pour un marché de simulateur de tir. Les fausses déclarations reposaient sur les références évoquées par le candidat. Par principe, je procède toujours à un sondage parmi ces références en appelant les sources invoquées, réagit Olivier Griess, chargé de mission régional achat (CMRA) en Pays de la Loire. Malheureusement pour le candidat, je connaissais personnellement certains interlocuteurs référencés. La supercherie a donc été rapidement éventée », s’amuse le CMRA. La candidature a donc été purement et simplement écartée, non sans avoir au préalable informé le candidat concerné des vérifications opérées et des constats effectués. Celui-ci n'a pas donné suite. « Cela m'est arrivé deux fois, mais certainement plus sans m'en apercevoir, avoue Charles Justaut, acheteur à l’Ecole vétérinaire de Toulouse. Pour les autres cela reste discutable. Dans les 2 cas évidents, c'était pour de la maîtrise d'ouvrage (hors concours ordonnance 2005)», se rappelle-t-il.

Cela m'est arrivé deux fois, mais certainement plus sans m'en apercevoir

«L'un présentait un projet en infectiologie qu'il aurait réalisé alors qu'il n'a jamais été mandaté à cet effet. Pire, celui qui l'avait exécuté était notre AMO au moment de la sélection. Mais la présentation du dossier était alléchante. C'était un montage photo de 2 de nos bâtiments multipliés par 5 ou 6 (chacun faisant 3 étages dans un parc de verdure...). L'autre dans un autre marché présentait un super projet de laboratoire dans un établissement que je connais. Avec un budget affriolant, une vingtaine de lots et un planning sévère. Sauf que je savais que le projet s'est arrêté à l'esquisse !» Les deux tricheurs n'ont pas été invités à négocier. « La note de leur référence les a pénalisés, mais même sans cela ils n'auraient pas été sélectionnés », explique-t-il.« J'ai eu quelques doutes sur un marché de travaux où 3 candidats disaient, chacun, avoir effectué tous les travaux d'un lot du cancéropole Toulousain (gros marché, le lot à plusieurs millions). Je n'ai pas vérifié puisqu'ils n'ont pas été retenus pour d'autres raisons. En revanche, ajoute-t-il, une petite entreprise m'a annoncé honnêtement avoir déjà présenté comme référence des travaux pour lesquels elle n'avait été que sous-traitant d'une partie .»

Demander implique de vérifier

Les vérifications se font généralement quand l’acheteur ne connaît pas l’entreprise. « À partir du moment où l’on demande des références, on doit être intellectuellement logique, et vérifier celles-ci quelle que soit la méthode (par sondage, en en prenant 2 ou 3, ...). Sinon cela ne sert à rien de les demander et c’est une perte de temps pour tout le monde, estime Olivier Griess.  «De plus, si l’on demande et que l’on ne vérifie pas, cela peut être dangereux, car l’acheteur a choisi en connaissance de cause. Hormis, le cas des simulateurs de tir, je n’ai jamais été confronté à des fausses références. Peut-être parce que l’on fait bien notre travail en amont », se félicite-t-il. Charles Justaut reconnait faire très attention aux références. « Je n'évince jamais un candidat à ce motif. Je demande les 4 principales références identiques au projet en cours avec le montant et le contact à fin de vérification. Et je vérifie ». « Au service "marchés public", on regarde si les documents demandés au niveau de la candidature sont fournis. Mais je ne suis pas compétent pour apprécier si les candidats présentent toutes les garanties nécessaires à la bonne exécution du marché. Cette action revient au service prescripteur. Toutefois, cela m’est arrivé une fois d’appeler une collectivité pour vérifier la candidature, explique un responsable de la commande publique.

Les mairies ont du mal à reconnaître qu'elles n'ont pas fait leur travail de contrôle

Cela concernait un marché de nettoyage des locaux pour un candidat que je ne connaissais pas. Ma démarche a été guidée par le fait que sa proposition était moins chère de 25% et comprenait deux références car elle était de création récente. J’ai également reçu un appel d’une commune dans le cadre d’un marché d’AMO pour la rédaction d’un cahier des charges relatif à de la restauration scolaire, car l’entreprise était titulaire d’un de nos marchés. » Certaines collectivités reconnaissent qu’elles ne vérifient pas les références, car cela demande énormément de temps et elles n’en ont pas…. « Les mairies ont du mal à reconnaître qu'elles n'ont pas fait leur travail de contrôle. Elles sont cependant plus à l'aise quand le marché est terminé car, dans leurs réponses orales, elles reconnaissent et admettent sans ambiguïté l'utilisation des faux documents utilisés. Quand les marchés sont en cours, c'est plus difficile. Non seulement les personnes ont du mal à reconnaître qu'elles n'ont pas fait leur travail de vérification, mais elles veulent aussi éviter de se lancer dans un gros travail avec un nouveau marché à lancer », analyse Gérard Chounet, gérant de CB Bureau.