Marchés de prestations juridiques : un juge valide l’usage des cas pratiques « surprise »

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Un tribunal administratif s’est récemment prononcé sur la validité d’une procédure de consultation dans le cadre particulier d’un marché de prestations juridiques. Durant la phase de sélection, le pouvoir adjudicateur a demandé aux candidats, lors d’une audition, de résoudre un cas pratique dans un délai limité et sans l’annoncer au préalable.

« Malgré un fort lobbying pour faire sortir les marchés de prestations juridiques du cadre législatif de la commande publique, la France a « surtransposé » les dernières directives européennes, imposant une procédure de mise en concurrence pour recourir aux services d’un avocat », rappelle Me Nicolas Lafay, avocat au barreau de Paris.

Les modalités sont librement définies par l’acheteur public en fonction du montant et des caractéristiques du marché publi

 En matière de marchés de prestations juridiques, il convient de distinguer les marchés de conseil et les marchés de représentation dans une procédure contentieuse. Les textes applicables depuis le 1er avril 2016 sont un compromis entre l’absence totale de mise en concurrence qui subsistait avant 2006 (ou l’intuitu personae primait) et, la mise en concurrence systématique qui existait depuis cette date. L’article 29 du décret du 25 mars 2016 exclut les services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, ainsi que les services de consultation juridique fournis par un avocat en vue de la préparation de toute procédure de la quasi-totalité des règles de la commande publique, sans toutefois exclure ces marchés du champs d’application des textes de la commande publique. Ces deux types de services juridiques doivent donc malgré tout faire l’objet d’une publicité et d’une mise en concurrence dont « les modalités sont librement définies par l’acheteur public en fonction du montant et des caractéristiques du marché public. » Ainsi, en pratique, afin de départager les candidats, les acheteurs demandent généralement un mémoire technique ou précisent qu’ils devront résoudre un cas pratique. « Certaines décisions valident également la tenue d’auditions », complète Me Lafay. Mais plus récemment un pouvoir adjudicateur a réalisé un mélange des deux en convoquant une partie des candidats retenus afin de les soumettre à un véritable « examen sur table surprise ».

« L’examen sur table »  validé par la juge

En l’espèce, le département de la Meurthe-et-Moselle a lancé une consultation en précisant que « le pouvoir adjudicateur auditionnera les candidats ayant présenté les meilleures offres initiales dans les matières concernées par chacun des lots.» 

Le tribunal a été plutôt clément dans cette affaire

Or, durant cette audition de quarante-cinq minutes, les candidats ont appris qu’ils devaient résoudre un cas pratique « destiné à apprécier les capacités d’analyse et les compétences. ». Pour Me Xavier Mouriesse, avocat-associé au cabinet BRG associés, « le tribunal a été plutôt clément dans cette affaire. » Selon ce dernier il y a deux violations : d’abord du principe de transparence, « car le cas pratique n’était pas précisé dès la procédure de consultation », et puis « dans le cadre de la consultation, il aurait fallu préciser sur quoi porte le cas pratique, pour que les candidats se préparent de manière équitable. » De son côté, le juge a validé la procédure du département de la Meurthe-et-Moselle. Il soutient que « le pouvoir adjudicateur, à qui il était loisible de recourir à une audition des candidats pour apprécier la qualité de leur offre, n’avait pas à préciser, au-delà de ce qu’il a fait, le type d’exercice qui serait soumis aux candidats pour évaluer leurs compétences ». Et que le pouvoir adjudicateur « n’a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en ne précisant pas le type d’exercice qui serait soumis aux candidats. »

Vers une nouvelle forme de mise en concurrence ?

Si pour Me Mouriesse, cette procédure n’aurait pas dû être validée par le juge administratif en raison d’un défaut d’informations des candidats, il estime également que cette méthode ne servira pas de modèle. « Ce qui est évalué, c’est finalement la capacité de remettre une consultation avec ses ressources juridiques et documentaires. Et les collectivités disposent de suffisamment d’informations avec le mémoire technique pour juger de la qualité », explique-t-il. Me Lafay exprime quant à lui plus de méfiance.

Cela ne veut plus simplement dire présenter le cabinet, c’est aussi pouvoir faire un cas pratique, ou un exercice, comme par exemple une fausse plaidoirie

S’il fait remarquer que cela fait maintenant plus de 10 ans que les collectivités lancent des marchés de services juridiques, il n’en demeure pas moins prudent quant à l’interprétation du terme « audition » dans un appel d’offres. Pour lui, « Cela ne veut plus simplement dire présenter le cabinet, c’est aussi pouvoir faire un cas pratique, ou un exercice, comme par exemple une fausse plaidoirie ».