Le besoin non régulier, cet inconnu !

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Référent national commande publique sapeurs-pompiers et acheteur expérimenté, Michel Crahès nous donne son interprétation du mécanisme de computation des besoins de fournitures et de services dans le nouveau dispositif marchés publics (article 21).

Dans le nouveau dispositif dit « code » des marchés publics, le mécanisme de computation en fournitures et services est fixé par l’article 21 du décret :
I.- 2° En ce qui concerne les marchés publics de fournitures ou de services, il est procédé à une estimation de la valeur totale des fournitures ou des services qui peuvent être considérés comme homogènes soit en raison de leurs caractéristiques propres, soit parce qu’ils constituent une unité fonctionnelle.
II. – Pour les marchés publics de fournitures ou de services qui répondent à un besoin régulier, la valeur estimée mentionnée au I est calculée sur la base : 1° Soit du montant hors taxes des prestations exécutées au cours des douze mois précédents ou de l’exercice budgétaire précédent, en tenant compte des évolutions du besoin susceptibles d’intervenir au cours des douze mois qui suivent la conclusion du marché public ; 2° Soit de la valeur estimée des prestations qui seront exécutées au cours des douze mois ou de l’exercice budgétaire qui suit la conclusion du marché public.

Une mécanique implacable


On voit la mécanique d’un raisonnement en deux temps (voir le schéma en fichier joint) pour computer l’ensemble des achats relevant d’un même besoin homogène :

Dans un premier temps, on distingue les besoins homogènes soit en raison de leurs caractéristiques propres, soit parce qu’ils constituent une unité fonctionnelle.

Dans un second temps, on analyse la régularité et, lorsque le besoin peut être qualifié de régulier, on choisit un mode d’estimation sur 12 mois basé soit sur l’expérience passée (par exemple pour les cas de relance de marchés déjà connus) corrigée des informations disponibles, soit sur une prospective (lancements de nouveaux marchés).

On aboutit ainsi à distinguer trois types d’homogénéités (cf. schéma) :
- Le besoin homogène du fait de ses caractéristiques propres,
o Régulier
o Non régulier
- L’unité fonctionnelle.

Détaillons le mécanisme :

Premier temps, la distinction entre besoins homogènes en raison de leurs caractéristiques propres et unité fonctionnelle. Ici, l’homogénéité du fait de caractéristiques propres apparaît comme le cas général, par défaut, tandis que l’unité fonctionnelle est l’exception. Il n’y a pas encore de manuel d’application du dispositif 2016. Toutefois, le principe étant inchangé, on peut s’appuyer sur les circulaires portant manuels d’application respectivement des codes 2004 puis 2006, qui précisaient : «Lorsqu’il s’agit de satisfaire un besoin concourant à la réalisation d’un même projet, l’acheteur peut prendre comme référence l’unité fonctionnelle. Cette notion qui doit s’apprécier au cas par cas en fonction des prestations attendues, suppose une pluralité de services ou de fournitures concourant à un même objet. Dans cette hypothèse, l’ensemble des prestations nécessaires à l’élaboration d’un projet, faisant partie d’un ensemble cohérent, sont prises en compte de manière globale. ». On y retrouve, appliquée aux fournitures et aux services, la notion d’opération verticale connue en travaux neufs.

On retiendra les deux conditions sine qua non pour constituer l’unité fonctionnelle :
- La pluralité de besoins (à caractéristiques propres différentes). Il ne peut y avoir d’unité fonctionnelle avec un seul besoin. L’idée de l’unité fonctionnelle est celle de la computation verticale de plusieurs besoins, contraire à la computation horizontale d’un besoin régulier ;
- L’existence d’un projet, nouveau ou rénovant, limité dans le temps (contrairement au besoin régulier).

Second temps, la distinction entre besoins réguliers et non réguliers. L’unité fonctionnelle n’étant pas, (cf. supra), un besoin régulier, ne restent donc à trier que les besoins homogènes du fait de leurs caractéristiques propres. Par défaut, un achat se compute au sein d’un besoin homogène du fait de ses caractéristiques propres régulier et on lui appliquera les règles de détermination sur 12 mois définies par le décret. Par exception, l’achat répondra à un besoin non régulier (ou irrégulier). Les achats se rapportant à un même besoin non régulier relèvent d’un seul et même besoin homogène  (pas de pluralité de nature, ce qui les distingue radicalement de l’unité fonctionnelle), sur une durée limitée. Il est impossible d’effectuer leur computation autrement que « au réel ».  Le besoin non régulier (ou irrégulier), puisqu’il est une exception doit être avec autant de précision que possible décrit, motivé, estimé sur son montant et sa durée. La prudence recommande d’en conserver la trace écrite et d’en assurer un suivi rigoureux.

Une typologie pragmatique peut aider à caractériser, justifier et décrire un besoin irrégulier :
– Le besoin nouveau inconnu avant la passation des procédures et donc non intégré aux marchés en cours. S’il persiste, il sera intégré dans les futurs marchés réguliers.
– Le besoin exceptionnel issu d’une circonstance exceptionnelle, imprévisible ou prévisible mais toujours exceptionnel par sa nature ou son volume.
– Le besoin aléatoire non maîtrisé directement par la collectivité, par exemple lorsque son prescripteur lui est extérieur. Généralement, seules des enveloppes budgétaires sont provisionnées. Quelquefois, des marchés ou accords-cadres sans minimum ni maximum peuvent être passés, pour tenter de maîtriser les prix et suivre les dépenses.
– Le besoin expertisé, irréductible à tout devis, dont la nature et l’étendue se révèlent après un diagnostic voire en cours d’intervention, par exemple la restauration d’objets de collections (pendules anciennes, automates…). Le montant de la prestation n’est pas défini a priori mais peut être décomposé en prix unitaires et plafonné voire intégrable en accords-cadres.

Une mécanique enrayée


Une analyse tronquée fait disparaître la notion de besoin non régulier et n’utilise que deux catégories :
- Le besoin homogène du fait de ses caractéristiques propres (réduit à sa seule nature – assimilée à une famille de nomenclature, sans analyse de sa régularité)
- L’unité fonctionnelle.
Par une entorse à la notion d’unité fonctionnelle, méconnaissant sa nécessaire pluralité de besoins concourant à  un projet avec sa computation verticale, y sont assimilés tous les besoins irréguliers. On invente ainsi de pseudo unités fonctionnelles mono-besoin. Pourtant, rien dans le décret n’assimile besoin non régulier et unité fonctionnelle.

Il en résulte une computation impure et illisible mélangeant des imprévus, des accidents, provisionnables mais non programmables, avec des projets, programmables et susceptibles d’entrer dans une stratégie d’achat. La fonction achat s’en trouve affaiblie, d’où l’utilité de remettre en évidence la notion de besoin non régulier.