Achats informatiques : la tactique du gendarme

  • 19/01/2012
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Responsable des achats informatiques à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), Fabrice Blanc est convaincu des vertus du benchmarking et du sourcing pour mener ses marchés à bon port, mais aussi pour payer le juste prix. Ecouter les entreprises et ajuster ses exigences à l’état de l’art sont de bons moyens d’éviter des surcoûts.

« Mes acheteurs sont des clairement des chefs de projet. » Responsable de la section « télécoms/systèmes d’information » depuis la rentrée 2011 au bureau de la commande publique de la DGGN (1), le capitaine Fabrice Blanc n’est pas un adepte des marchés publics « à la papa » où l’on se focalise uniquement sur l’orthodoxie juridique. Depuis son arrivée, l’officier - chargé de l’acquisition des biens et des services du segment, des logiciels aux réseaux hertziens - pose les jalons d’une organisation et d’une méthode éprouvées lorsqu’il était à la section « achats généraux ». Dans son équipe, composée d’une dizaine de personnes, chaque acheteur est responsable de la conduite d’un marché, de A jusqu’à Z, de la définition du besoin jusqu’à la passation, en passant par le benchmarking et le sourcing. Il se déclare résolument contre le distinguo juridique/économique pratiqué dans certaines structures publiques. « Si l’on scinde les missions, le rédacteur des pièces ne peut pas s’approprier totalement le marché. La transmission des données génère une perte en ligne. Et par voie de conséquence le DCE est moins clair.» Dans le processus, Fabrice Blanc insiste sur la définition du juste besoin. Pour élaborer le cahier des charges, sa section travaille la main dans la main avec le service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure ST(SI)² qui s’occupe, au ministère, à la fois des policiers et des gendarmes. Le domaine nécessite-t-il des acheteurs experts du sujet pour comprendre le langage, parfois ésotérique, de collègues informaticiens ? Non, répond Fabrice Blanc qui refuse le modèle de l’hyperspécialisation. « Cela n’est nécessaire que lorsqu’il s’agit de domaines ultra-complexes. Travailler systématiquement sur le même sujet peut se révéler lassant, voire sclérosant. Et les officiers de gendarmerie sont avant tout polyvalents », argumente-t-il. « De toute façon, nous ne publions pas l’avis de publicité tant que l’acheteur chargé du dossier n’a pas tout compris et posé toutes les questions. »


L'outil de suivi des marchés

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Le planning 3+1

La planification est l’un des fondements du système Blanc. « Le problème clef, c’est de pouvoir récupérer les dossiers suffisamment en amont », assure-t-il. Depuis sa prise de fonction, Fabrice Blanc explique à ses interlocuteurs les règles du jeu : pour mener un marché à bon port, quatre mois de préparation sont nécessaires avant le lancement de la consultation proprement dite. Chaque acheteur se voit confier deux dossiers en simultané, jamais plus, sinon la qualité du travail s’en ressent. «Dans le cas contraire, on finit par devenir des machines à produire des marchés, et certainement pas des acheteurs. Et il faut aussi tenir compte des opérations urgentes qui vont s’ajouter aux projets prévus. » En contrepartie, le gendarme acheteur joue la transparence avec ses « clients », tenus au courant de l’avancée des dossiers grâce à un petit outil excel qu’il a lui-même concocté (cf image). Le capitaine insiste sur le respect de cette phase préliminaire. « Ce laps de temps est indispensable pour comprendre l’objet du marché, le pourquoi, le au bénéfice de qui, et le comment. Après cette phase d’apprentissage, on passe ensuite au stade du benchmarking, en rencontrant les prestataires, en repérant les bonnes pratiques des autres administrations. Nous vérifions aussi l’estimation financière, parfois juste un copier-coller réactualisé. Est-elle dans les clous par rapport à l’état de l’art ? Cela nous permet d’éviter le plus possible des offres irrégulières. Enfin, il faut compter un mois pour la rédaction des pièces. Cela aboutit à un planning de 3+1 mois. C’est une moyenne bien sûr, tout dépend de la complexité du marché.»

Les entreprises, source d’information essentielle

Fabrice Blanc estime que ce délai est suffisamment confortable, étant donné que le ST(SI)² effectue déjà une partie de la veille fournisseurs. Ce qui n’empêche pas le BCP de faire ses propres enquêtes. Ecouter le prescripteur, ce n’est pas prendre ses affirmations pour argent comptant. « Je suis comme Saint-Thomas, je crois ce que j’ai découvert moi-même. Le technicien peut raconter ce qu’il veut, je veux vérifier. Et ce n’est pas parce que j’ai rendu visite à une société qu’il connaît déjà, que l’on va forcément aborder les mêmes sujets. Le boulot d’un acheteur, c’est interroger le fournisseur dans des domaines auquel le prescripteur ne pense pas, par exemple le questionner sur nos exigences en matière de délais de livraison qui sont peut-être incohérents par rapport aux usages de la profession. » Fabrice Blanc exhorte donc ses troupes à traquer l’information sur internet, à sortir du bureau, à fréquenter les salons professionnels, à visiter les opérateurs économiques, y compris à l’autre bout de la France, à condition naturellement que l’enjeu en vaille la chandelle. Ajuster son cahier des charges, ses exigences à l’état de l’art est un autre credo du capitaine Blanc. Surtout quand la Gendarmerie, comme le reste de l’Etat, doit réduire le montant de ses factures. De 92 millions en 2010, les dépenses réelles sont passées, pour l’informatique, à 56 millions en 2011. Et le prévisionnel affiche 36 millions cette année. Car la différence entre le souhaitable et le réalisable se paie comptant. « Quand on est bon, c’est toujours difficile d’aller encore plus loin. Je prends l’exemple de notre marché de photocopieurs en mode copie/service, pour lequel on connaît la consommation à l’unité près. En pratique, on a déjà utilisé tous les leviers. On peut surtout faire des efforts sur les surcoûts que l’on demande et que l’on nous facture. J’adore écouter les entreprises qui viennent nous parler de leurs problèmes. C’est la source d’information n°1. »

(1) Commandé par le colonel Linglain, le BCP, né il y a une dizaine d’années, s’occupe de l’ensemble des marchés centraux de la maréchaussée. Il comprend trois sections : achats généraux, télécoms et systèmes d’information, contentieux et réglementation.

Jean-Marc Binot © achatpublic.info