Plateforme de démat HS : qui est responsable ?

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Une entreprise peut, en principe, répondre jusqu’au dernier moment lorsqu’elle utilise la voie électronique. Toutefois, le juge du référé précontractuel a considéré qu’elle devait prévoir un délai suffisant pour permettre de remédier à un éventuel problème intervenant au cours du dépôt de son offre. François Tenailleau, avocat associé au cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre et David Capitant, professeur de droit et avocat consultant au cabinet BMH avocats, commentent pour nous cette solution et évoquent la question de la responsabilité en cas de dysfonctionnement de la plateforme.

Comme le TA de Limoges en 2010 (1), le TA de Caen s’est prononcé, en janvier dernier, en faveur d’une utilisation maximale par les candidats des délais qui leur sont impartis pour transmettre leur offre par voie électronique. Le TA évoque ainsi « le caractère quasi-instantané des transmissions électroniques et l'objectif de la rapidité et de la facilité de l'accès à la commande publique, que vise la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics ». En la matière, on ne peut imposer au candidat de délai autre que l’heure limite de réception.

Il ne faut pas s’y prendre à la dernière minute

« Dans son ordonnance, le TA de Caen précise qu’il faut quand même prévoir une marge de sécurité pour que les documents soient transmis en temps et en heure, il ne faut donc pas s’y prendre à la dernière minute, relève Me François Tenailleau,. Toutefois, les précautions à prendre ne doivent pas être impossibles ou méconnaître l’objectif de la dématérialisation ». En l’espèce, la société requérante avait répondu par voie électronique à une consultation lancée par le syndicat mixte de la baie du Mont Saint-Michel. L’heure limite de dépôt avait été fixée à 13H. Pour s’assurer du bon fonctionnement de la plate-forme et de la compatibilité de son matériel, l’entreprise avait procédé à un essai, positif, de transmission électronique deux jours avant la date limite. Le jour J, elle a fait une première tentative à 12h24 puis à 12h39. Suite à l’échec de la transmission en raison d’une erreur de sa part dans la mise en œuvre de la procédure de téléchargement, elle a tenté de joindre la hotline de la plateforme de dématérialisation. Celle-ci n’a pas été disponible avant l’heure limite du dépôt des candidatures. Sa défaillance n’a pas pu être palliée par un contact avec les services techniques du syndicat mixte.

Qui porte la responsabilité en cas de dysfonctionnement ?
En cas de difficulté de transmission conduisant à l'impossibilité de transmettre l'offre dans les délais, à qui incombe la responsabilité du dysfonctionnement ? David Capitant remarque que soit le dysfonctionnement est dû à la plateforme et c'est alors au pouvoir adjudicateur d'en supporter les conséquences, soit le dysfonctionnement est imputable au candidat.

Le pouvoir adjudicateur est responsable du bon fonctionnement des outils de dématérialisation

« Conformément à l’article 56 du CMP, le pouvoir adjudicateur est responsable du bon fonctionnement des outils de dématérialisation auxquels il recourt pour permettre la transmission électronique », précise Me Tenailleau. Citant la jurisprudence du TA de Limoges, David Capitant souligne « qu'en cas d'incertitude, il y a une présomption au détriment du pouvoir adjudicateur, ou plus précisément de la plateforme, ce qui peut être important en cas d'action en responsabilité contractuelle du pouvoir adjudicateur contre la plateforme ». S’agissant de la seconde alternative, c’est-à-dire une erreur due au candidat, comme cela était le cas dans la présente affaire, se pose la question des conditions dans lesquelles il aurait été possible d'y remédier, notamment par le biais du recours à la hotline. Si celle-ci est inaccessible, comme en l'espèce, la responsabilité en incombe au pouvoir adjudicateur. « Les services techniques du prestataire de dématérialisation, comme ceux de la personne publique, doivent être disponibles jusqu’à la date limite. Ici, ni l’un ni l’autre n’ont été joignables. Le pouvoir adjudicateur est responsable y compris quand il a recourt à un prestataire », développe François Tenailleau. Pour parer à toute difficulté, son confrère conseille « de ne pas fixer l'heure limite au moment du déjeuner, comme cela a été le cas en l'espèce ! Ni sans doute non plus à minuit ou le lundi de Pâques ! » En revanche, si la hotline fonctionne correctement, la question se pose alors des raisons pour lesquelles il n'a pas été possible de remédier au problème dû au candidat. « Si c'est une incapacité technique de la hotline à fournir une solution correcte, la responsabilité incombera au pouvoir adjudicateur. Si la hotline proposant les bonnes solutions techniques, c'est le temps qui manque pour les mettre en œuvre, sous réserve de l'information préalable correcte du candidat sur les conditions techniques de dépôt de son offre, c'est alors seulement que la question du délai raisonnable de sécurité  pourra se poser », explique David Capitant.

La responsabilité incombait à la plateforme de dématérialisation

« C'est donc uniquement si un problème technique imputable au candidat ne peut être corrigé en raison d'un manque de temps, malgré les conseils avisés de la hotline, que l'offre pourra être considérée comme tardive »

« C'est donc uniquement si un problème technique imputable au candidat ne peut être corrigé en raison d'un manque de temps, malgré les conseils avisés de la hotline, que l'offre pourra être considérée comme tardive », détaille David Capitant. Le TA de Caen considère en l’espèce « qu’il ne résulte pas de l’instruction que les dix minutes restantes ne pouvaient pas permettre une diagnostic rapide, par la plateforme Klekoon, de l’erreur de téléchargement, ni ensuite, dans le strict respect du délai n’expirant qu’à 13h précises, l’achèvement de la transmission régulière de la candidature et de l’offre de la société requérante ; […] que, dans ces conditions, le dysfonctionnement de la plateforme Kleekon étant imputable au pouvoir adjudicateur, la société (…) est fondée à soutenir que sa candidature aurait dû être déclarée régulière ». Selon l’avocat, « l'ordonnance fait largement reposer sur le pouvoir adjudicateur le bon fonctionnement de la plateforme et elle ne peut être lue comme établissant une obligation de délai raisonnable à la charge du candidat, sauf à démontrer que le candidat est responsable du dysfonctionnement technique. Reste à déterminer la conduite à adopter dans le cas contraire : en principe le pouvoir adjudicateur doit intégrer l'offre transmise dans ces conditions dans la procédure de comparaison des offres. Sans doute est-ce alors s'exposer à un contentieux provenant des autres candidats. Cela n'étant de l'intérêt d'aucune des parties, sans doute vaut-il mieux, mais c'est un conseil pratique, s'y prendre avec un peu d'avance », ajoute-t-il.

TA Caen, 20 janvier 2012, société Catherine Delannoy et associés, 1200012