CAO : rendez-vous avec le juge !

  • 01/04/2008

La commission d’appel d’offres (CAO) a, elle aussi, son lot de contentieux. L’élection de ses membres relève du contentieux électoral. Les manquements aux règles de composition et de fonctionnement relève du juge administratif. Le juge pénal a également sa part du gâteau lorsque les membres se rendent coupables de prise illégale d’intérêt ou de délit de favoritisme. Passage en revue des différents « soucis » relatifs à la CAO…

Le contentieux des AAPC n’est pas le seul contentieux qui intéresse le juge administratif. La commission d’appel d’offres (CAO) peut également se retrouver sous les feux des projecteurs. Le juge administratif et le juge judiciaire sont susceptibles de connaître des litiges relatifs à la commission. Du côté du tribunal administratif, le magistrat peut endosser le rôle de juge du contentieux électoral ainsi que celui de juge administratif général. La procédure électorale régit le contentieux de l’élection des membres de la CAO. Les articles R.119, R.120 et R.121 du Code électoral précisent la procédure à suivre en cas de contestation. Appliquant ces dispositions à la désignation des membres de la CAO, le Conseil d’Etat, dans une décision rendue en septembre 2001 (1), a jugé que les personnes désirant contester ces élections doivent déposer une réclamation auprès du greffe du TA compétent dans les cinq jours qui suivent celui de l’élection. Le juge saisi doit alors statuer dans un délai de deux mois. S’agissant de la seconde casquette, les affaires portées à la connaissance du juge administratif portent généralement sur la composition et le fonctionnement de la CAO. Plusieurs jurisprudences permettent ainsi de faire le point sur les dispositions des articles 22 et suivants du code des marchés publics. Lorsque les manquements constatés sont plus graves, à l’image du délit de favoritisme, c’est au tour du juge pénal de prendre le relais.

Les irrégularités liées à la composition de la CAO

Le Code prévoit qu’une commune peut constituer une ou plusieurs CAO à caractère permanent, voire une CAO spécifique pour la passation d’un marché déterminée. L’article 22 prévoit les modalités de composition des commissions, gardiennes de l’impartialité et de la transparence dans l’examen des offres. Pour les communes de plus de 3500 habitants, la CAO se compose du maire et de cinq membres du conseil municipal élus. Le quorum est atteint lorsque plus de la moitié des membres ayant voix délibérative sont présents. Pour les communes de moins de 3500 habitants, le maire et trois membres composent la CAO. Gare donc au non-respect de ces dispositions, sinon c’est l’illégalité quasi assurée ! Ainsi une procédure a été jugé irrégulière au motif que seuls 3 membres sur six étaient présents lors de la CAO (2). Si la CAO comporte en plus du maire quatre membres, c’est l’annulation de la décision d’attribuée le marché qui est en jeu (3). Quid des suppléants ? Le conseil d’Etat dans une décision récente, a considéré qu’en cas de démission d’un membre suppléant et alors même que la liste sur laquelle il a été élu ne comportait plus d’autres membres suppléants, il n’y avait pas renouvellement intégral de la CAO dès lors que le membre titulaire conserve son siège (4). Mais ce n’est pas tout, outre les membres de droit, d’autres personnes peuvent siéger, avec voix consultative, aux réunions de la CAO, sans pour autant participer aux délibérations. Par exemple, les membres des services techniques compétents pour suivre l’exécution des travaux ou effectuer le contrôle de conformité. Si leur présence ne pose pas de difficultés particulières pour les marchés publics, il n’en est pas allé de même s’agissant des délégations de service public (DSP). Suite à une jurisprudence de la CAA de Marseille (5), les collectivités se sont rendues compte que leur procédure de DSP pouvaient être frappées de nullité au motif que les techniciens avaient participé aux commissions. La situation est aujourd’hui réglée : la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau a modifié l’article L1411-5 du CGCT sur ce point (6). Il peut également y avoir des personnalités désignées par le président de la CAO en raison de leur compétence dans la matière objet du marché. La désignation de ces personnes doit être nominative, personnelle et préalable à la convocation de la commission. La participation de personnes non autorisées et non identifiées aux débats entrainent l’illégalité de la décision de la commission (7). Un autre risque d’annulation du marché concerne la présence dans la CAO d’un membre intéressé au marché, par exemple la présence du fils d’un entrepreneur à la CAO chargée d’examiner les offres pour lesquelles cet entrepreneur avait soumissionné (8).

Des infractions pénales en cascade

Le juge pénal peut également dégainer ses armes, en particulier l’amende pécuniaire et la prison, lorsque les membres de la CAO se sont révélés coupables de prise illégale d’intérêts (article 432-12 du code pénal) ou de délit de favoritisme (article 432-14 du code pénal). Voici un petit tour d’horizon des jurisprudences en la matière. La Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que la participation sans vote aux séances d’un organe délibérant peut entraîner la constitution du délit de prise illégale d’intérêts. Ainsi dans une décision rendue en 2005, la chambre criminelle de la cour de cassation a jugé que l’élément matériel de l’infraction était caractérisé par le simple fait que la CAO a attribué sous la présidence du prévenu, des marchés à une société dans laquelle il avait un intérêt. La cour ajoute que les circonstances - il n’a pas participé au vote, il a eu une attitude de retrait et qu’il a consenti une délégation de signature à un fonctionnaire - sont sans incidence (9). Une solution identique a été retenue dans un arrêt du 14 novembre 2007 : « la simple participation, serait elle exclusive de tout vote, d’un conseiller d’une collectivité territoriale à un organe délibérant de celle-ci, lorsque la délibération porte sur une affaire dans laquelle il a un intérêt, vaut surveillance ou administration de l’opération au sens de l’article 432 12 du code pénal ». Toujours sur le fondement de l’article 432-12, le juge a déclaré coupable de prise illégale d’intérêts un président de conseil général au motif qu’il a présidé la réunion de la CAO à l’issu de laquelle a été déclarée attributaire d’un marché une entreprise gérée par ses enfants (10). Du côté de l’article 432-14, peuvent faire l’objet de poursuites le président de la CAO lorsqu’il use de son influence pour que les trois autres membres de la commission avec voix délibératives entérine le choix d’une entreprise avec laquelle il a des relations particulières (11) ou le maire qui avant toute CAO, choisit une entreprise avec laquelle le président de la commission à des relations personnelles (12). Les membres de la CAO peuvent également être poursuivis pour délit de favoritisme. La seule participation en qualité de membre à la prise de décision suffit à caractériser l’infraction de recel (13). Dans une autre affaire, la chambre criminelle a rejeté un pourvoi contre un arrêt de cour d’appel qui avait condamné un maire pour avoir procuré un avantage injustifié en laissant siéger la CAO avec la participation d’un seul conseiller avec voix délibérative, en violation du principe de la collégialité des organes délibérants (14).

(1) CE, 28 septembre 2001, Dabbin et autres, 231256
(2) CE, 21 novembre 1997, commune de Blanc-Mesnil
(3) CE, 8 décembre 1997, Société Ricard
(4) CE, 30 mars 2007, commune de Cilaos,
(5) CAA Marseille, 15 juin 2004, commune d’Alès-en-Cévennes
(6) « Peuvent participer à la commission, avec voix consultative, un ou plusieurs agents de la collectivité territoriale ou de l'établissement public désignés par le président de la commission, en raison de leur compétence dans la matière qui fait l'objet de la délégation de service public ».
(7) TA Nice, 2 février 2007, 0603106
(8)CE, 3 novembre 1997, préfet de la Marne c/commune de Francheville
(9) Cass, crim., 9 février 2005
(10) Cass, crim., 21 février 2000
(11) Cass, crim., 19 octobre 2005, Michel Y.et André X, n° 04-87321
(12) Cass, crim., 14 novembre 2007,
(13) Cass, crim., 27 septembre 2006
(14) Cass, crim., 15 septembre 1999