Révision des prix : intangibilité du droit ou pénurie d'idées ?

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« Le secret de mon adaptation à la vie ? J'ai changé de désespoir comme de chemise »
Emil Cioran


Il fallait réagir, et vite. Et pour plein de bonnes raisons. Les conséquences de la guerre en Ukraine prolongent, après les conséquences de la crise sanitaire, la mise à l’épreuve des entreprises. Et donc, l’exécution des contrats en cours. Et donc, parfois, le maintien du service public. Et oui, quand on dit "chaîne d’approvisionnement", ce n’est pas un vain mot… (lire "Quand le prestataire ne peut se fournir, c’est l’acheteur public qui trinque").

C’est en revanche (notons-le !), une approche assez nouvelle que de prendre en compte les impacts de la crise non seulement sur les entreprises, mais également sur les acheteurs publics … (lire "Les collectivités territoriales, victimes, elles aussi, des tensions sur les prix et l’approvisionnement").
 

Sur le terrain, l’urgence

L’urgence se fait surtout sentir sur le terrain, comme le révèle le premier volet de notre enquête au plus près des services achat. Les acheteurs s’attendent au pire ... lorsqu’ils ne sont pas déjà face à des situations qui peuvent les conduire, dans certains cas, à résilier des marchés. « Qu’ils soient territoriaux ou hospitaliers, et même dans les offices HLM, les acheteurs sont confrontés à un véritable casse-tête qui, dans tous les cas, va se traduire par l’explosion de leurs budgets s’ils veulent assurer la continuité du service » (lire "Inflation et approvisionnement : les acheteurs sous pression (1/2)").

Tout au long de la Journée de l’achat public 2022 (JAP), organisée le 31 mars par Infopro Digital avec le soutien d'achatpublic.info, la crise des matières premières irrigue quasiment toutes les conférences, avec en leitmotiv l’inquiétude liée à la perturbation de nombreux marchés publics en cours d'exécution (lire "Faire face à la crise des matières premières : des outils juridiques à disposition des acheteurs").

 

Sur le terrain de l’urgence

Alors, qu’apporte la circulaire du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières ? (lire "Flambée des prix : l’Etat donne ses consignes par circulaire").

D’abord, le Gouvernement entend signaler qu’il a compris l’urgence. On note en effet qu’il s’empresse ces derniers temps de communiquer très en amont.Par exemple, avant la remise du rapport du Sénat sur « l’outsourcing » , quitte à annoncer la veille de sa publication une circulaire anticipant les conclusions du rapport (lire "Le recours aux conseils extérieurs désormais sous étroite surveillance"  avec une communication ("Externalisation des missions de conseils : Cendra Motin tente d’éteindre l’incendie"). Une circulaire pour désamorcer un conflit ? Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, s’en défend : « Avant même que cette commission ne soit mise en place, nous nous apprêtions avec le Premier ministre à publier une nouvelle doctrine sur la manière dont l’Etat doit ou non s’appuyer sur les cabinets de conseil. »
Les impacts de la crise, cette fois sur les denrées alimentaires, génèrent eux aussi l’annonce d’une circulaire dédiée (lire "Marchés de denrées alimentaires et hausse des prix : des "aménagements" en vue ?").

Même "anticipation", donc, s’agissant de l’impact de la pénurie et de la flambée des prix sur les marchés publics en cours et à venir. Le 30 mars, le ministère de l’Economie, des finances et de la relance annonce une série de mesures "imminentes" pour répondre aux conséquences économiques sur l’activité des entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Il indique qu’ « une circulaire viendra préciser les modalités de modifications des contrats de la commande publique lorsqu’elle est nécessaire à la poursuite de l’exécution des prestations » (lire "Pénurie et approvisionnement : une circulaire, des index BTP revus, une cellule de crise…").
 

Intangible intangibilité…

La vérité, c’est que le prix, c’est le nœud du contrat. Bercy ne cesse de rappeler qu’en raison du caractère intangible du prix contractualisé, une clause de révision ne peut être ni modifiée ni introduite en cours d’exécution du marché si le contrat n’en a pas expressément prévu la possibilité et les modalités par une clause de réexamen (CCP, art. R. 2194-1 et art. R. 2194-6).
Voilà donc Bercy bien embêté. En matière de prix, il ne dispose d’un outil comme le relèvement des seuils pour relancer l’économie… Le prix ne touche pas aux règles de procédure… c’est donc ailleurs qu’il faut chercher.

Le Cabinet Charrel a organisé le 5 avril un "newsbinaire" (lire "Flambée des prix et conséquences sur les marchés publics : un "newsbinaire" dédié") au cours duquel, pour les marchés à venir, il rappelle l’intérêt (et les conditions idoines) de prévoir une clause de réexamen permettant de modifier le contrat, sans condition de montant, afin de tenir compte des difficultés d'approvisionnement et de la hausse/fluctuation importante des prix des matières premières.

Mais, pour les marchés en cours, c’est plus compliqué : peut-on procéder par un « avenant de prix nouveau temporaire avec clause de réexamen intégrée » ? Plus avant, du côté de l’Association des acheteurs publics (AAP), on n’hésite pas à remettre en cause la doctrine officielle de Bercy selon laquelle il serait impossible modifier par avenant les contrats publics en cours d'exécution afin de pallier l'absence ou l'inefficacité d'une clause de variation de prix (lire "Faire face à la crise des matières premières : des outils juridiques à disposition des acheteurs").
 

Changement de ton... appel identique

Ce que l’on relèvera, enfin, c’est surtout un changement de ton. On passe de la recommandation à l’injonction aux acheteurs. « Un rappel à l’ordre » : selon la circulaire « afin de ne pas pénaliser les entreprises, les formules de révision de prix ne contiendront pas de terme fixe et les contrats ne contiendront ni clause butoir, ni clause de sauvegarde » (relire "Flambée des prix : l’Etat donne ses consignes par circulaire"). Elle invite également l’acheteur public à ne pas appliquer les pénalités de retard tant que le prestataire est dans l’impossibilité de s’approvisionner dans des conditions normales ; idem, s’agissant des prestations aux frais et risques du titulaire.
In fine, la prise de risque est aussi (surtout ?) du côté des acheteurs...

On parlait d’urgence ? « Le principe de l’intangibilité du prix, c’est bien beau, mais il faut faire face à la réalité ! La DAJ peut toujours actualiser sa fiche technique et se retrancher derrière ce principe, nous, sur le terrain, nous devons composer avec la réalité » (lire "Inflation et approvisionnement : les acheteurs sous pression (1/2)")

Décidemment, crise après crise, " Hausse des prix des matières premières et agilité contractuelle : on frappe une nouvelle fois à la porte de l’acheteur"...