Le recours aux conseils extérieurs désormais sous étroite surveillance

  • 25/01/2022
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Recourir à l’outsourcing ? Oui mais sous conditions et dans le respect des règles de déontologie et de la commande publique. Une circulaire du Premier ministre du 20 janvier 2022 indique que de toute façon, désormais, cela se fera "sous surveillance"

"Outsourcing"… Un bel anglicisme qui permet de (mal) dissimuler une pratique de plus en plus critiquée : le recours par la haute administration à des cabinets de consultants extérieurs. L’attribution de missions à de grands cabinets (Ernst & Young, McKinsey….) a en effet suscité récemment de vivres réactions, notamment s’agissant de la gestion de la crise sanitaire, avec plusieurs interpellations du Gouvernement par des parlementaires (relire "Crise sanitaire et externalisation des missions de conseil" et "L’externalisation des missions de conseil au Gouvernement en question").
 
Exc​lusivité des règles de la commande publique
Le premier ministre vient de se fendre d’une circulaire sur le sujet, car il « souhaite qu’une nouvelle politique de recours aux prestations intellectuelles soit mise en place ». Le texte donne donc le mode d’emploi de "l’outsourcing selon Jean Castex". Il rappelle (en fin de circulaire) que « la sélection des fournisseurs de prestations intellectuelles repose exclusivement sur le respect des règles de la commande publique ».
 
Des quotas et des règles d’engagement
Le Premier ministre exige qu’en 2022, les prestations intellectuelles engagées en « stratégies et organisations » soient réduites de 15 % au moins par rapport aux montants engagés en 2021, et ce « grâce aux leviers identifiés dans le cadre du plan achats ».

D’abord, une administration ne doit avoir recours à des conseils extérieurs « qu’après avoir démontré qu’elle ne dispose pas des moyens ou compétences nécessaires ». Cela passe notamment par « la qualité de la transcription des besoins dans le bon de commande et l’adéquation du prix à la prestation demandée ».

Ensuite, lorsque le recours à des cabinets extérieurs sera avéré indispensable, il conviendra de s’assurer que les prestations intellectuelles « produisent le meilleur levier sur les organisations et les services qui en font l’objet » :
  • le service qui signe le bon de commande est responsable du pilotage de la prestation intellectuelle qu’il a commandée ;
  • aucun doute ne doit être entretenu concernant la qualité de prestataires, tant en interne que vis-à-vis des tiers ;
  • les prestations doivent être suivies par un comité de pilotage entre le responsable et le prestataire ;
  • des agents du service sont intégrés à l’équipe projet « afin de garantir les transferts des compétences et la capitalisation des connaissances » ;
  • toute prestation doit faire l’objet à son terme d’une évaluation.
 
Prévention des conflits d’intérêts 
Une « attention toute particulière » doit être portée à la prévention des conflits d’intérêts, explique le Premier ministre. Les chartes de déontologie devront être revues d’ici mars 2022 pour «s’assurer qu’elles couvent bien les risques spécifiques liés aux prestations intellectuelles ».
La circulaire vise aussi les situations dites de « pantouflage » et entend ainsi encadrer les règles applicables aux agents publics recrutés dans le secteur privé ou ceux, à l’inverse, rejoignant un prestataire fournisseur. Le premier ministre rappelle (en gras dans le texte le sacro-saint principe déontologique de déport : « Tout lien d’intérêt d’une personne ayant à prendre des décisions en lien avec une prestation intellectuelle doit donner lieu à un déport formalisée ».
Plus encore, la circulaire impose que, dans le cadre des futurs marchés, des clauses visant à prévenir les conflits d’intérêts soient renforcées pour prévoir une déclaration d’intérêt des personnes mobilisées.
 
Comitologie : création d’un pôle
La circulaire annonce par ailleurs la mise en place d’un pôle interministériel d’achat de prestations intellectuelles au sein de la direction interministérielles de la transformation publique (DITP). L’objectif et de veiller au respect des règles « notamment d’exclusivité » des marchés interministérielles ou ministériel, « dès qu’un besoin a été identifié et une absence établie de disponibilité, de compétences ou de ressources internes ».
 
Une circulaire « politique » à caractère préventif ?
Les directives ainsi données par la circulaire du 20 janvier tentent sans doute d’anticiper les effets la publication des résultats de la mission d’information de l’assemblée nationale "Outsourcing" à l’Assemblée nationale. Ses travaux « sont achevés »… mais qui ne sont pas, à ce jour, rendus publics, et la page dédiée étrangement vide (le 20 janvier 2022 à 16h00). Et la circulaire une fois diffusée, consultable (Rapport d’information en conclusion des travaux d’une mission d’information relative aux différentes missions confiées par l’administration de l’État à des prestataires extérieurs (outsourcing))... Une publication reorchestrée dans le temps pour donner plein effet à une "action préventive" à la circulaire ? Car le recours aux conseils privés, notamment depuis la crise sanitaire, interpelle de plus en plus.

Un intérêt à prévenir un conflit dont se défend Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques : « Avant même que cette commission ne soit mise en place, nous nous apprêtions avec le Premier ministre à publier une nouvelle doctrine sur la manière dont l’Etat doit ou non s’appuyer sur les cabinets de conseil. »

En février 2021, la Commission des finances de l'Assemblée nationale s’est penchée sur la question (relire "Recours aux cabinets de conseils par le Gouvernement : les derniers montants connus") estimant que 28 contrats ont été signés entre mars 2020 et janvier 2021 pour un total de 11,353 millions d'euros, et avec sept cabinets de conseil dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au covid-19.
A l’époque, le ministre de la Santé Olivier Véran a justifié le recours à ces cabinets de conseil rappelant que « les gouvernements ont de longue date fait appel à ces sociétés, quelles que soient les majorités. Les règles (de la commande publique) sont évidemment respectées ». 

Il est vrai que déjà, en 2015, la Cour des comptes avait taclé l’Etat. Non sur le principe du recours aux conseils extérieurs par l’Etat, mais stigmatisant la « faiblesse » de la politique d’achat de l’Etat dans le domaine : « faute d’une réflexion suffisante sur cette catégorie particulière de services, l’achat de prestations de conseil souffre encore d’un manque de professionnalisme dans l’administration ». (Constat concrétisé) par une carence en acheteurs experts des prestations intellectuelles et l'éparpillement des donneurs d'ordre »(relire "La Cour des comptes taille les achats de consulting de l’Etat").
 

JMJ