La variable (à la hausse) du risque dans la commande publique

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« Il est toujours tentant de simplifier ; on désigne des responsables, des coupables, en faisant bon marché de réalités complexes »
Simone Veil


"Le risque dans la commande publique"… Quel beau sujet de thèse ! Il est probable qu’une telle étude a déjà été menée. Ce qui nous y fait penser, c’est que nous avons relevé cette semaine deux affaires dans lesquelles le risque dans la commande publique revêt ses atours les plus classiques… qu’on aurait presque oubliés, ces derniers temps. Le risque, c’est un critère déterminant de l’existence d’une délégation de service public : dans ce contrat, le délégataire assume le risque d’exploitation.
 

Du "Classique" …

Ultra classique, rabâché, compris… Il n’empêche, la question est manifestement toujours d’actualité devant le juge. Celui-ci explique que « compte tenu de la durée du contrat de 25 ans et du nombre d'usagers susceptible de variations importantes durant son exécution, la part de risque transférée au délégataire semble impliquer une réelle exposition aux aléas du marché » (lire "La mesure du risque pour apprécier l’existence réelle d’une DSP").
Quant à la Cour des comptes, elle regrette, toujours et encore, que « Les communes de taille modeste ne sont pas toujours en mesure de contrôler l’activité de leur délégataire, en dépit des obligations légales et règlementaires » (lire "DSP relative à la gestion du domaine skiable : un pour tous, tous pour un" et relire "Pas de subvention d’équilibre dans une DSP").

Autre domaine où la notion de risque plane de façon constante, c’est bien évidement le contentieux de la passation, avec la crainte du référé qui met à terre la procédure pourtant (en théorie) soigneusement respectée, mais pourtant "victime" d’un candidat évincé. C’est l’œuvre de Me Nicolas Lafay que de nous rappeler régulièrement et de façon didactique, dans nos colonnes, la vivacité de ce risque (lire cette semaine "[Au plus près des TA] Des offres négligées… des offres rejetées").
 

… au "Moderne"

Ce qui est intéressant aussi, c’est d’observer comment le risque dans la commande publique évolue avec la modernisation de la fonction Achat.
L’acheteur public, c’est désormais celui qui veille à la bonne exécution du contrat (relire "Contract management et exécution du contrat : des notions essentielles pour l'acheteur !" et "[Tribune ] Jean-Marc Peyrical : " A la recherche du Contract Manager") ; voire même celui qui, par la qualité de son sourcing, sa connaissance du tissu économique et de ses éventuels fournisseurs, élimine la part de risque (relire "Tribune] Sébastien Taupiac : « L’évaluation des fournisseurs est à un tournant historique »"). La connaissance fine de ses besoins réduit le risque en amont de la commande (relire "Cartographie achats et nomenclature achats : des outils économiques… et juridiques").

Du grand art ! Avec un double objectif : d’une part, évidemment, s’assurer de la bonne utilisation des deniers publics par un achat efficace ; d’autre part, en amont, éviter l’inexistence de l’achat, matérialisée par un appel d’offres infructueux ou une rupture d’approvisionnement. C’est là que résiderait d’ailleurs désormais la plus grande part de risque dans l’achat public (relire "Les défis 2024 des acheteurs : affronter de nouvelles complexités").

Désormais, pour l’acheteur public "moderne", et à l'instar de l’acheteur privé, il est devenu essentiel de parvenir à identifier l’ensemble des risques qui peuvent survenir dans la chaîne d’approvisionnement (relire "Décortiquer les risques achats : une tâche qui ne peut plus être ignorée").

 

… jusqu’ au "Déconstructivisme" ?

Surveiller son tissu économique, bien identifier ses besoins, respecter les procédures et ses fournisseurs et suivre l’exécution du marché... les cinq commandements de l’achat public ne semblent cependant pas garantir une sérénité absolue. La crise agricole en est une preuve. Tout comme la crise des assurances des collectivités territoriales… un gros sujet !

Le point commun entre ces deux zones de risques d’actualité, c’est la réponse que propose le Gouvernement : simplifier. Autrement dit, si sur ces deux volets l’achat public est mis en échec, c’est que la réglementation est trop complexe pour les éventuels fournisseurs. Le fait que des acheteurs publics responsables et professionnalisés soient là n’est plus suffisant. Il faut mettre la commande publique « à portée de tous ».

Admettons. Mais en réalité, ne s’agit-il pas surtout de contourner l’obstacle ? En effet, dans tous les deux sujets, la « simplification » proposée, et mise en avant comme un étendard, cache en réalité la déréglementation.

Pour les assurances, le Gouvernement privilégie une réflexion sur le code de la commande publique, « afin de rendre le recours à des services d'assurance beaucoup plus souple qu'il ne l'est aujourd'hui » (lire "Assurance des collectivités territoriales: «et pourquoi pas une société d'assurance publique ? »"). Etonnant : le médiateur nommé par le Gouvernement pour gérer la crise des assurances, Alain Chrétien, considère lui que « tous les outils existent dans le code de la commande publique ; encore faut-il qu’on les connaisse et qu’on les utilise bien ! » et que « avant d’imaginer de nouvelles usines à gaz qui nécessiteront des montées en compétence nécessaires en plus de ce que l’on a pas encore appris avant, commençons par repartir de ce qui existe et à optimiser les différentes procédures qui sont à notre disposition » (relire "Assurance des collectivités territoriales : modifier le code de la commande publique n’est pas forcement la solution !").

En matière d’achat de denrées alimentaires, c’est aussi la déréglementation qui est proposée par les politiques. Cette semaine, Audrey Pulvar, adjointe à la maire de Paris en charge de l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts et co-présidente de la commission Stratégies alimentaires territoriales de France Urbaine, propose le libre choix de la procédure pour 50 % des achats (lire "[Interview]: « Le gré à gré n’est pas contradictoire avec une bonne utilisation des deniers publics, ni avec la transparence »"). Une posture politique ? A vous de juger.

Certes, à l’heure où l’ « exception alimentaire » est en vogue, défendre le code de la commande publique pour un approvisionnement auprès des producteurs locaux apparait paradoxal. Pourtant, plusieurs associations, spécialistes dans l’achat de denrées alimentaires et dans la restauration collective, ont vanté dans nos colonnes les vertus de la règlementation (relire "Exception alimentaire : davantage de souplesse demandée… mais pas une sortie du CCP").

Rappelons également que le dernier rapport parlementaire de "simplification" (relire "Simplification : le rapport parlementaire propose « des supports contractuels novateurs »") préconise lui de créer « des supports contractuels novateurs », destinés à donner un accès simple aux solutions innovantes matures, en dépassant par exemple le plafond de 100 000 € pour les achats innovants sans procédure de publicité ni mise en concurrence préalable.

Or, augmenter les seuils, d’abord, ce n’est pas nouveau ; ensuite, n’est-ce pas surtout une forme de dérèglementation ?