[Tribune] Et si on arrêtait d’acheter des prestations intellectuelles comme des fournitures courantes….

  • 19/12/2019
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Selon Marina Brodsky (Brodsky Consultants - AMO Achat public), les acheteurs publics doivent savoir comment sont constituées les offres de prestations intellectuelles, et quels sont les prix raisonnables qui s’appliquent à ces métiers.

Depuis des années, les acheteurs publics choisissent essentiellement leurs prestataires sur le critère du prix, et affectent un trop faible coefficient de pondération sur les critères méthodologiques. Cela vaut pour l’ensemble des missions de prestations intellectuelles, qu’il s’agisse d’études diverses, de maîtrise d’œuvre, ou de missions d’AMO, quel que soit le domaine. Il est fréquent d’observer des critères prix pondérés à 50 % ou 60 %. Or, la surdétermination d’un critère financier empêche mécaniquement toute prise en compte d’autres critères. Dans ce contexte, la fonction d'acheteur public devient dominante, aux dépens de la fonction de « maître d’ouvrage », dénomination disparue des textes mais que chacun comprendra.
En d’autres termes, ne pas confondre l’offre économiquement la plus avantageuse et l’offre financièrement la plus avantageuse.

Il est urgent d’alerter les acheteurs publics sur les conséquences du choix d’un prestataire sur un critère financier trop important qui neutralise les aspects qualitatifs des offres

Il est urgent d’alerter les acheteurs publics sur les conséquences du choix d’un prestataire sur un critère financier trop important qui neutralise de fait les aspects qualitatifs des offres. Une telle pratique, en aucun cas gage de qualité, affaiblit le secteur économique de l’ingénierie et du conseil et met en danger la pérennité de structures indépendantes et à taille humaine qui représentent 80 % du secteur.

Les acheteurs publics doivent savoir comment sont constituées les offres de prestations intellectuelles, et quels sont les prix raisonnables qui s’appliquent à ces métiers, architectes, urbanistes, paysagistes, bureaux d’études, experts… Parce que la compréhension du besoin, le recueil des données, leur exploitation et leur analyse, et les préconisations qui en découleront ou les prestations de conception, nécessitent des qualifications et des compétences qui se rémunèrent à un « juste » prix.

Au moins trois dispositions du Code de la Commande Publique facilitent la recherche du mieux-disant :
- la réalisation d’un sourcing en amont, au stade de la définition du besoin, notamment sur le contenu de la mission, son estimation financière, la composition de l’équipe pluridisciplinaire, les critères de choix des offres, la procédure à mettre en œuvre ;
- le recours possible aux procédures de mise en concurrence qui autorisent la négociation, souvent au travers d’auditions où l’acheteur peut échanger avec les candidats, mesurer leur capacité d’écoute, la compréhension des enjeux et mieux juger de leur implication dans le projet .
- l’obligation de détection des offres anormalement basses, et pour les candidats la nécessité de justifier leur prix, en particulier : nombre de jours total de mission, nombre de jours par étape ou par thématique, nombre de consultants impliqués, nombre de jours par consultant, prix de journée des consultants par catégorie (expert, sénior, junior, secrétariat…), sous-détails des prix de journée.

…et quelques bonnes pratiques font la réussite dans le choix des prestataires en général :
- un cahier des charges de la mission qui soit le plus exhaustif possible et qui définisse a minima le contexte, les enjeux, les données disponibles, le contenu de la mission, le nombre de réunions, les compétences attendues, les principales étapes, les délais ;
- une note méthodologique à produire par l’équipe pluridisciplinaire qui soit encadrée, limitée et strictement personnalisée, adaptée au contexte et aux enjeux et dans laquelle les consultants en charge de la mission seront nominativement présentés.
- des critères et sous-critères de choix des offres détaillés, où la méthode et les moyens priment sur l’offre financière. On préfèrera la cohérence de l’offre plutôt que son montant. Le critère du prix viendra alors départager des offres équivalentes sur la méthode et les moyens affectés.


Les acheteurs doivent savoir qu’à un prix trop bas, peuvent souvent correspondre un travail bâclé et une disponibilité limitée des intervenants.

Certes, la tentation du moins-disant est forte pour des acheteurs publics dont les budgets sont de plus en plus contraints. Mais les acheteurs doivent savoir qu’à un prix trop bas, peuvent souvent correspondre un travail bâclé et une disponibilité limitée des intervenants. Cela créé l’opportunité de réclamer des avenants en cours de mission, dégrade la relation entre les prestataires et leurs clients, et peut conduire à la perte de confiance indispensable dans ce type de mission.
Au final, l’acheteur paye le prix fort.

Pour toute prestation intellectuelle, il serait raisonnable de pondérer les critères de choix des offres en limitant à 30 % le seul critère financier

Ainsi, pour toute prestation intellectuelle, il serait raisonnable de pondérer les critères de choix des offres en limitant à 30 % le seul critère financier et à 70 % ceux liés notamment à la compréhension des enjeux, la méthodologie de conduite de la mission, les moyens humains déployés, les délais…
Il est de la responsabilité collective des acheteurs et des prestataires intellectuels de parvenir ensemble à une commande publique efficace et responsable, où le besoin exprimé par les maîtres d’ouvrage est pleinement satisfait par des consultants qualifiés, compétents et exigeants. Ce cercle vertueux a un coût, que chacune des parties doit mesurer. Il en va de la performance de l’achat public et de la pérennité des structures de prestations intellectuelles.



Marina Brodsky
Brodsky Consultants - AMO Achat public
Membre de l’ACAD (Association des Consultants en Aménagement et Développement des Territoires)