Que peut demander un candidat évincé ?

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Un candidat évincé a le droit d’être informé des motifs de rejet de son offre. Mais il a également le droit se voir communiquer des documents administratifs sur les offres et leur analyse. Quels sont ceux qui peuvent être transmis ? A qui faut-il s’adresser ? Maître Christophe Cabanes, avocat associé au cabinet Cabanes Neveu Associés, décrypte la marche à suivre et dresse la liste des éléments qu’un candidat peut demander et obtenir.

Le succès d’un contentieux, particulièrement en référé précontractuel (articles L 551.1 et suivants du Code de Justice administrative) dépend pour beaucoup de la qualité et de la rapidité avec laquelle le candidat malheureux à un appel d’offres, aura réuni les informations lui permettant de décider d’une action contentieuse. L’essentiel est à cet égard, de connaître les motifs de rejet de son offre.

La communication des motifs de rejet

Le Code des marchés publics traite précisément la question aux articles 80 et 166 qui prévoient que : «  Le pouvoir adjudicateur, dès qu’il a fait son choix pour une candidature ou une offre, notifie à tous les autres candidats, le rejet de leur candidature ou de leur offre, en leur indiquant les motifs de ce rejet. Cette notification précise le nom de l’attributaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre aux candidats ayant soumis une offre et à ceux n’ayant pas encore communication du rejet de leur candidature. Un délai d’au moins seize jours est respecté entre la date d’envoi de la notification prévue aux alinéas précédents et la date de conclusion du marché. Ce délai est réduit à au moins onze jours en cas de transmission électronique de la notification à l’ensemble des candidats intéressés ».
Le candidat a donc droit à une communication des motifs de rejet de son offre qui doit être spontanément adressée par la personne publique. A défaut, le candidat aura tout intérêt à rappeler la personne publique à cette obligation, éventuellement par la voie contentieuse, à l’occasion d’un référé précontractuel, qui pourra se fonder utilement sur la violation des dispositions des articles 80 et 166 précités pour annuler la procédure.
Cette obligation de communication se limite toutefois aux motifs de rejet de l’offre car les dispositions de l’article 80 du code des marchés publics ([Tribunal admini...]) n’impliquent pas la communication, ni du procès-verbal ou encore de l’avis de la commission d’appel d’offres.

Le candidat a donc droit à une communication des motifs de rejet de son offre qui doit être spontanément adressée par la personne publique

La communication, avant la signature du marché, de ces documents conduirait à violer les règles de passation des marchés publics. Le Conseil d’Etat a ainsi censuré le fait pour une personne publique d’avoir communiqué à un candidat évincé des informations relatives au prix et au délai d’exécution de tous les candidats au marché. En effet, saisie par un candidat dont la candidature avait été écartée, la personne publique ne s’était pas contentée de lui indiquer les motifs de rejet de sa candidature, mais lui avait transmis une analyse de l’ensemble des offres avec les prix et les délais d’exécution proposés par les candidats.
Le Conseil d’Etat a jugé que : « en jugeant qu'il résultait des dispositions précitées du code des marchés publics que, en communiquant au groupement SAS Bellin - EURL MUTP des informations relatives au prix et au délai d'exécution sur lesquels s'engageaient les autres sociétés candidates retenues pour présenter une offre, le Syndicat des eaux de Charente-Maritime avait faussé l'application des règles du jeu de la concurrence et, ce faisant, manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Poitiers n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu, entaché son ordonnance d' erreur de droit ; que, dès lors, le pourvoi du Syndicat des eaux de Charente-Maritime doit être rejeté » (voir document joint : CE, 20 octobre 2006, Syndicat des eaux de Charente-Maritime).
Le juge communautaire a adopté une position similaire. En effet, la Cour de justice des Communautés européennes (désormais Cour de Justice de l’Union Européenne) a rappelé que : «enfin, le maintien d’une concurrence loyale dans le cadre des procédures de passation de marchés publics constitue un intérêt public important dont la sauvegarde est admise en vertu de la jurisprudence […]. Il en résulte que dans le cadre d’un recours formé contre une décision prise par un pouvoir adjudicateur relative à une procédure de passation d’un marché public, le principe du contradictoire n’implique pas pour les parties un droit d’accès illimité et absolu à l’ensemble des informations relatives à la procédure de passation en cause qui ont été déposées devant l’instance responsable du recours. Au contraire, ce droit d’accès doit être mis en balance avec le droit d’autres opérateurs économiques à la protection de leurs informations confidentielles et de leurs secrets d’affaires » (voir document joint : CJCE, 14 février 2008, VAREC SA  contre Etat Belge).

La communication des documents complémentaires

Le contentieux engagé, le candidat pourra solliciter du tribunal administratif qu’il fasse injonction à la personne publique de communiquer des documents complémentaires permettant de mieux comprendre les motifs de rejet de son offre. Il s’agit le plus souvent alors du rapport d’analyse des offres et de l’avis de la commission d’appel d’offres. La mesure d’injonction est loin d’être systématique, néanmoins elle peut intervenir (TA Cergy Pontoise, 26 juin 2012, société France Agences, n°1204648-10) ouvrant alors un débat sur la question du respect du secret industriel et commercial qui peut conduire les personnes publiques à ne produire alors qu’une version partielle des documents dont les informations couvertes par ledit secret, auront été retirées. Cette notion de secret en matière commerciale et industrielle, ou secret des affaires, n’a fait l’objet d’aucune définition légale.

le candidat pourra solliciter du Tribunal administratif qu’il fasse injonction à la personne publique de communiquer des documents complémentaires

 Il est cependant possible de relever que l’article 339 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex article 287 TCE) précise que : « Les membres des institutions de la Communauté, les membres du Comité ainsi que les fonctionnaires et agents de la Communauté sont tenus, même après la cessation de leurs fonctions, de ne pas divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, et notamment les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient ».
Le Tribunal de première instance a d’ailleurs eu l’occasion de juger que « les secrets d’affaires sont des informations dont non seulement la divulgation au public mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l’information peut gravement léser les intérêts de celui-ci » (voir document joint:  TPI, 18 septembre 1996, Postbank c/Commission).

La Commission d’accès aux documents administratifs a dégagé trois éléments du secret d’affaires :
- le secret des informations économiques et financières ;
- le secret des stratégies commerciales ;
- le secret des procédés.
Lorsque les informations dont la communication est demandée n’ont trait à aucun des trois éléments précités, elles ne sont pas couvertes par l’article 6 de la loi n°78.753 du 17 juillet 1978 (voir document joint : CE, 3 juillet 2002, Ministre de l’équipement).
La CADA a ainsi précisé dans un avis, que : « La commission précise qu’une fois signés, les contrats de délégation de service public et les documents qui s’y rapportent sont considérés comme des documents administratifs soumis au droit d’accès institué par la même loi. Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s’exercer dans le respect du secret en matière industrielle et commerciale, protégé par les dispositions du II de l’article 6 de cette loi. Sont notamment visées par cette réserve, les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu’aux certificats de qualifications concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d’affaire et les coordonnées bancaires » (CADA, 21 mars 2008, n°20081208-JCG)

Marchés publics : quels documents administratifs communiquer ?

Sous réserve de la protection desdits secrets, la CADA estime dans un document établi avec la DAJ et intitulé « la communication des documents administratifs en matière de marchés publics » que :

Les documents relatifs aux candidatures et aux offres sont communicables.
S’agissant des candidatures, d’une façon générale (entreprise retenue ou non retenue), sont, en principe, communicables :
- les déclarations sur l’honneur et les attestations fiscales, à l’exception des mentions couvertes par le secret commercial et industriel, tel le chiffre d’affaires (CADA, conseil n°20020024 du 10 janvier 2002) ;
- les documents justifiant que l’entreprise satisfait aux conditions posées par une réglementation particulière (agrément, attestation d’assurance et de garantie financière), sous réserve que les mentions dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret de la vie privée (telles que l’âge ou l’adresse d’une personne physique) ou protégées par le secret des affaires soient préalablement occultées (CADA conseil n°20033474 du 11 septembre 2003).

S’agissant des offres, la communication est plus ou moins large lorsque les documents portent sur l’entreprise retenue ou les entreprises non retenues.
- En ce qui concerne l’entreprise retenue, peuvent être communiquées :
o non seulement l’offre de prix globale mais aussi l’offre de prix détaillée, car elle reflète le coût du service public (CADA, conseil n°20061255 du 16 mars 2006).
o les documents qui attestent ou garantissent la conformité réglementaire des équipements et installations qu’utilisera le candidat (CADA, conseil n°20041304 du 1er avril 2004).

En ce qui concerne l’entreprise retenue, peuvent être communiquées non seulement l’offre de prix globale mais aussi l’offre de prix détaillée


En revanche, le mémoire technique ou la présentation des moyens humains et matériels de l’entreprise retenue ne sont pas communicables, à moins que ces éléments ne fassent partie intégrante de l’acte d’engagement (CADA, conseil n°20052631 du 7 juillet 2005).
- En ce qui concerne les entreprises non retenues, sont seules, en principe, communicables les conditions globales de prix. Le détail technique et financier des offres de ces entreprises n’est pas communicable (CADA, conseil n°20074116 du 25 octobre 2007).

Les documents relatifs à l’analyse des candidatures et des offres :
- les courriers émanant d’acheteurs publics insatisfaits des prestations fournies par une entreprise, lors des précédents marchés, sont communicables, dès lors qu’ils ne font pas apparaître des comportements dont la divulgation pourrait porter préjudice à leurs auteurs (CADA, conseil n°20042904 du 8 juillet 2004) ;
- les procès-verbaux et les rapports de la commission d’appel d’offres relatifs à l’analyse et au classement des offres et au choix de l’attributaire sont communicables, sauf pour ce qui concerne les mentions couvertes par le secret industriel et commercial, qui doivent être occultées (CADA, avis n°20074116 du 25 octobre 2007 ; conseil n°20052295 du 9 juin 2005)
- il en est de même du rapport du maître d’œuvre (CADA, conseil n°20033195 du 28 août 2003) et du dossier détenu par les services de la DGCCRF dans le cadre de leur fonction de contrôle et de conseil concernant les marchés publics, dont notamment, le procès-verbal et les notes prises à l’issue des réunions de la commission d’appel d’offres (CADA, conseil n°20050423 du 20 janvier 2005).

Il demeure que l’obtention de ces documents complémentaires à l’injonction prévue à l’article 80 du code des marchés publics peut se heurter à une résistance de la personne publique qui sauf mesure d’injonction décidée par le juge du référé précontractuel, ne pourra être utile que dans le cadre d’une action au fond. Le candidat requérant devant saisir d’abord la CADA d’un refus de communication des documents administratifs, pour après avis de cette dernière, exercer un recours contentieux contre ce refus de communication.