Philippe Maraval : « le haro sur l’appel d’offres m’agace »

  • 27/05/2010
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On connaît la chanson : les acheteurs publics seraient plus obnubilés par la conformité juridique de leurs marchés que par leur efficacité économique. Un tantinet agacé par ce discours ambiant, Philippe Maraval, patron de la centrale des achats non médicaux de l’AP-HP, remet les points sur les i.


Trop, c’est trop. Patron d’une des centrales d’achats de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Philippe Maraval, bien connu du petit monde des professionnels et lauréat des 1ers Trophées de la commande publique, est fatigué de la ritournelle à la mode « il-est-temps-que-les-acheteurs-publics-prennent-en-compte-l’économique », tube repris par des experts « remplis de certitude ». Il s’inscrit donc en faux contre ce discours dominant. En tout cas pour sa paroisse. Il vient en effet de signer une note qui récapitule le bilan des économies réalisées pour les achats hôteliers de son établissement entre 2003 et 2009. Le tableau est flatteur puisqu’on observe, pour la période considérée, une baisse des coûts d’achats de 36 millions d’euros constants (sur une base de dépenses annuelles estimée à 220 millions d’euros).  Soit sur les 7 années observées, une baisse cumulée de 16% en euros courants et de 28% en euros constants. Il regrette que les acheteurs  « ne communiquent pas sur ces paramètres. » Philippe Maraval ne cherche pas toutefois à se gargariser. « Dans ce document, ce n’est pas tellement de faire x % de moins sur telle ou telle famille qui est important, c’est d’avoir des données consolidées sur une assez longue période à l’échelle de notre organisation, y compris avec des tendances de prix à la hausse et à la baisse. » On l’aura compris, l’AP-HP ne se contente pas de veiller au strict respect des règles de droit lorsqu’elle passe ses marchés.

« On nous rebat les oreilles avec la négociation »

En 2003, elle a mis sur les rails une politique orientée délibérément sur la baisse des coûts d’achats. Les recettes sont connues : mise en concurrence anticipée, standardisation et mutualisation des besoins, travail sur la juste définition du besoin et le cahier des charges (le redesign to cost) plus une impulsion venue du haut. « Chez nous, les achats sont une préoccupation de la direction générale depuis dix ans. Elle nous a donné une feuille de route et le feu vert.» Philippe Maraval en rajoute une couche dans le politiquement incorrect. « Le haro sur l’appel d’offres m’agace. On nous rebat les oreilles avec la négociation, mais 90% des économies que nous avons obtenues l’ont été avec des appels d’offres attribués sans négociation.  Je sais, c’est iconoclaste », lâche-t-il. Et pour les plus sceptiques, il précise que les données « sont publiques et ne viennent pas de nulle part puisqu’elles sont issues des documents des marchés. » Pour autant, l’acheteur public demeure friand de droit et de jurisprudence. « Ce n’est pas surprenant, explique-t-il, nous sommes les héritiers de dizaines d’années de surjuridicisation. Si on fait du Bourdieu à cinq balles, les élites des achats publics, ce sont des avocats, des policiers et des conseillers d’Etat. C'est-à-dire des spécialistes qui nous arrosent en permanence d’agents anxiogènes. Je trouve que c’est même un miracle que le Code 2006 soit si bien appliqué en si peu de temps.»

Ne pas oublier la satisfaction clients

En outre, Philippe Maraval rappelle que l’optimisation financière n’est pas le seul but poursuivi par la fonction achats. Faire des économies, c’est bien. Mais il ne faudrait pas oublier la satisfaction du client. « On n’en parle pas beaucoup, mais le métier d’un acheteur, c’est aussi garantir la bonne exécution du marché. A l’hôpital, on nettoie, on livre des médicaments, on chauffe les bâtiments, cela paraît naturel, cela se passe sans accrocs. Mais dans certains pays, ce n’est pas aussi simple ». En bout de course, on peut avoir le plus beau contrat du monde, avec le meilleur produit au meilleur prix, mais si la consommation explose, les gains réalisés fondront au soleil. Imagine-t-il une extension du périmètre de l’acheteur jusqu’à la maîtrise des usages ? Non, pas vraiment, même si « la fonction achat va nécessairement interpeller les autres fonctions, et, par nature, initier le changement. Elle oblige la dépense à se concentrer sur 1 ou 2 fournisseurs, et pas 18 ou 50.  Elle oblige aussi les agents de la personne publique à limiter leurs commandes de biens ou prestations dans le cadre d’un référencement limité. Donc la fonction achats encadre la structure de consommation, à condition d’ailleurs que l’organisation dispose d’un système d’information ou d’une discipline collective afin de limiter les achats hors marchés. Elle peut influencer l’effet volume en se posant la question : est-ce qu’on n’achète pas trop ? En réalisant un benchmarking auprès d’organismes similaires, elle va savoir si le besoin de la personne publique s’avère plutôt luxueux ou se situe dans la norme. »

Le poncif du modèle de l’achat privé

« Si elle fait du redesign to cost, c'est-à-dire qu’elle retravaille le cahier des charges en excluant les dispositions coûteuses et sans plus value avérée, la fonction achats évite le gâchis et fait converger le besoin vers le standard du marché. » Pour le reste, Philippe Maraval n’y croit pas. « La fonction achats ne peut pas se substituer aux responsables micro-économiques, aux chefs de service. Les gains peuvent être certes dilapidés. Mais  de toute façon l’acheteur n’a pas la légitimité pour décider quel sera l’usage des économies qu’il a générées, de leur reversement à telle ou telle ligne de crédit ou à l’excédent d’exploitation. Ce n’est pas de son ressort. Si la fonction s’intéresse aux données liées à la consommation, c’est en vue de la prochaine remise en concurrence, ou pour alerter le contrôle de gestion. Après, à chacun son métier. » Dernier sujet d’irritation : la référence régulière au privé souvent donné en modèle.  « Qu’on ne nous raconte pas d’histoires sur l’immanence du bon achat dans le secteur privé. Il y a vingt ans, des acheteurs dans le privé, il n’y en avait pas… ». Le secteur marchand n’aurait donc rien inventé. « Quand on regarde l’évolution des achats privés, on s’aperçoit qu’ils mettent en œuvre des principes inspirés de notre code des marchés. Je ne plaisante pas. Que veut dire le sourcing sinon la mise en concurrence, que veut dire la création de comités d’achat, sinon nos anciennes CAO ? »

Jean-Marc Binot © achatpublic.info