Appréciation du coût de déplacement de l’acheteur chez son prestataire

partager :

Lorsqu’un critère "géographique" est admissible, la méthode de notation qui en résulte ne peut être fondée uniquement sur la distance kilométrique pour évaluer les frais engagés lors d’un déplacement des agents de l’acheteur chez le futur prestataire. Cette règle ressort d’une décision du Conseil d’Etat venant confirmer une ordonnance du TA de Toulouse annulant une passation du département de la Haute-Garonne. A la lecture de ces deux décisions, la question de l'évaluation d'un tel critère reste néanmoins en suspens.

Un critère reposant sur la proximité géographique du candidat est possible, en vertu de ce principe jurisprudentiel, « lorsque sa prise en compte est rendue objectivement nécessaire par l’objet du marché et la nature des prestations à réaliser et n’a pas d’effet discriminatoire ». Toutefois, encore faut-il que la méthode de notation ne soit pas, par elle-même, discriminatoire ? Le Conseil d’Etat a confirmé, dans sa décision conseil départemental de la Haute-Garonne (CE, 12 septembre 2018, n°420585), l’ordonnance du juge du référé toulousain dans laquelle la passation de la collectivité avait été annulée en raison d’un procédé d’évaluation douteux. En l’espèce, le département avait lancé une mise en concurrence en vue d’acquérir des documents pour sa médiathèque. Le prestataire devait permettre aux bibliothécaires de consulter des fonds dans ses locaux. Le pouvoir adjudicateur avait alors prévu un critère pondéré à 10% portant sur les frais engendrés par les déplacements de ses représentants. La formule de calcul était la suivante : elle « [consistait] à multiplier le coût kilométrique moyen, arrêté à 0,50 euros TTC par référence au barème forfaitaire prévu par l’article 6B de l’annexe IV au code général des impôts, par la distance parcourue évaluée sur la base du temps de trajet calculé par le distancier du site internet "mappy.com" et selon l’itinéraire le plus rapide ». Le processus a été contesté par une société évincée. Il a été reproché au département de favoriser les entreprises locales.  
  

Bannir le barème kilométrique


Cette obligation de visite était de nature à « assurer la bonne exécution du marché », selon le tribunal administratif. En soi, le critère pouvait donc se justifier. En revanche, « les modalités de calcul des frais engagés, basées exclusivement sur la distance entre l’implantation géographique des librairies candidates et la médiathèque départementale, favorisent nécessairement et systématiquement les candidats les plus proches, et restreignent abusivement la possibilité pour un candidat plus éloigné d’être retenu », a déclaré le magistrat de Toulouse.

Les modalités de calcul des frais engagés, basées exclusivement sur la distance entre l’implantation géographique des librairies candidates et la médiathèque départementale, favorisent nécessairement et systématiquement les candidats les plus proche

Les sages du Palais Royal se sont tenus à ce raisonnement. Primo, comme le cyril_coupe.jpgsouligne Maître Cyril Coupé (photo ci-contre), un coût de déplacement ne se résume pas à un barème kilométrique appliqué à un trajet réalisé en voiture. D’autant que l’itinéraire le plus opportun (au niveau du coût, de l’accès, du stationnement,…) n’est pas forcément le plus court en termes de distance. L’avocat du cabinet Coupé, Peyronne & Associés préfère distinguer les coûts de transports et les coûts dûs aux déplacements en tant que tels : hébergement, repas. Deuzio, le département s’est potentiellement privé et d’une offre innovante, et des moyens d'analyser cette dernière et de la valoriser, constate le professionnel du droit : « Une entreprise aurait peut-être été en capacité de proposer, à ses frais, un système de navette ou plus globalement de transport optimisé, à moindre coût ». Enfin, remarque Arnaud Latrèche adjoint au directeur commande publique du département de la Côte-d’Or et vice-président de l’AAP, « à partir du moment où l’acheteur est en mesure de connaître la note d’un opérateur avant même qu’il postule, puisqu’il lui suffit simplement de regarder son emplacement, la notation est d’ores et déjà tronquée ».

Difficulté à analyser les frais engagés en cas de déplacement de l’acheteur chez le prestataire


Pourtant la personne publique ne peut ignorer cet impératif, quand la prestation nécessite de prendre en considération la proximité géographique du titulaire, au risque de se trouver devant des propositions fantaisistes où un postulant se situerait de l’autre côté de la planète. Me Cyril Coupé conseille de mentionner, dans le cahier des charges, une contrainte de temps raisonnable et proportionné aux intérêts en cause. L’un des moyens de la société requérante faisait part, justement, de l’absence de nécessité d’assurer une rapidité d’intervention. Par exemple, il aurait été envisageable, en l’espèce, d’introduire une clause stipulant que l’agent devait pouvoir faire un aller-retour dans la journée et rester deux heures sur place, glisse-t-il. a_latreche.jpgDans l’hypothèse où le pouvoir adjudicateur souhaiterait intégrer un critère d’appréciation similaire à celui de l’affaire, le service achat sera confronté à un véritable casse-tête pour concevoir une méthode de notation valide, admet Arnaud Latrèche '(photo ci-contre). Me Cyril Coupé s’est prêté à l’exercice tout en relevant les limites du système.

Un procédé fondé sur le temps de trajet comporte les mêmes problématiques qu’un dispositif de notation construit sur le nombre de kilomètres

D’abord, l’analyse doit être déconnectée des distances et s’intéresser uniquement aux dépenses engendrées par la visite, prévient l’avocat. A noter qu’un procédé fondé sur le temps de trajet comporte les mêmes problématiques qu’un dispositif de notation construit sur le nombre de kilomètres. Ensuite, l’acheteur ne peut imposer le mode de locomotion car, de facto, des opérateurs seront exclus. Il est préférable d’évaluer le coût moyen en cas de recours à la voiture, au train et à l’avion, à l’aide des sites Mappy, Oui.sncf, Airfrance… L’opération se complique dès qu’il existe une combinaison de ces transports. Le service achat pourrait par la suite appliquer un barème après avoir défini en interne ce qu'était à ses yeux un "coût raisonnable" au titre du marché concerné. « Si le coût est inférieur à X euros par agent, la société décrochera la note maximale. A contrario, s’il est supérieur à X euros, elle n’obtiendra aucun point » propose l’avocat. Il poursuit ainsi : « avec cette méthode l'idée de coût du transport est vraiment au coeur de l'appréciation et dans ce cadre l'acheteur ne se trouve pas en situation de discriminer irrégulièrement entre un trajet à pieds qui ne coûtera rien, et un trajet en voiture, en train ou en avion, avec un coût raisonnable préalablement et sincèrement évalué. Dans ce contexte, il faut aussi laisser la possibilité aux soumissionnaires de proposer des variantes pour le cas échéant alléger le coût ».Cependant, attention à ne pas réintroduire un risque d'irrégularité avec l'insertion d'un critère environnemental, souligne ce dernier.

Solutions à envisager


Quid de la solution à retenir ? Me Cyril Coupé avance l’idée de « prévoir une prestation supplémentaire éventuelle relative la prise en charge de l'organisation et du financement des frais de déplacement en cause ». L’acheteur a également la faculté de stipuler que ces coûts seront supportés par le titulaire. L’entreprise reportera donc ces dépenses dans le prix. Quant au critère "géographique", il sera inutile.

Le département de la Côte-d’Or a prévu, dans le contrat, la possibilité pour les agents de la bibliothèque de Dijon soit de se déplacer, soit de bénéficier d’offices

 Autre voie envisageable : celle du département de la Côte-d’Or. Dans le cadre d’une prestation équivalente à celle du litige, la collectivité a prévu, dans le contrat, la possibilité pour les agents de la bibliothèque de Dijon soit de se déplacer, soit de bénéficier d’offices (le libraire envoie à la bibliothèque une sélection de nouveautés). Pour l’anecdote, le prestataire retenu siège à Lyon. Dans ce cas de figure, la discrimination selon le lieu disparait, conclut Arnaud Latrèche.