Marc Tarabella : «Je veux faire de la question de la sous-traitance un combat»

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Bourgmestre d’Anthisnes à quelques encablures de Liège, l’eurodéputé Marc Tarabella a la lourde tâche de piloter la révision des directives "marchés publics" au Parlement européen lequel devrait se prononcer sur le texte, en plénière, en décembre prochain. Il livre à achatpublic.info ses priorités politiques dans ce dossier, de la possibilité pour les entités publiques de coopérer entre elles sans nécessairement faire un marché, au respect des normes sociales en cas de sous-traitance.

achatpublic.info : Comment évaluez-vous, en tant que bourgmestre d’une petite commune, l’application des directives européennes après six ans d’application ?
Marc Tarabella : «C’est assez cocasse : la Belgique n’a pas encore transcrit les directives de 2004 ! Mais elle en applique certains aspects. Tancée par la Commission européenne, elle a promis de les transposer dans le droit national pour janvier 2013.»

achatpublic.info : Faut-il privilégier une réforme cosmétique ou substantielle ?
Marc Tarabella : «Une révision cosmétique serait une occasion ratée. Cette réforme est l’une des actions prioritaires pour relancer le marché intérieur. Elle aura un grand impact. Cela passe par une meilleure utilisation des fonds publics, alors qu’ils se font plus rares actuellement, par la simplification des procédures. Mais si je dois être sévère sur un élément du dossier, ce serait sur l’étude d’impact qui n’en est pas une. C’est un résumé de la proposition, sans plus. Or, quel est l’impact si on impose à 5 ans les marchés publics électroniques ? Dans quel pays cela pose le plus de problèmes ?»

achatpublic.info : Quelles propositions de la Commission soutenez-vous ?
Marc Tarabella : «Le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse est un concept à défendre par rapport au prix le plus bas. Cela permet de voir à plus long terme, en tenant compte de critères de durabilité, de qualité. Le partenariat pour l’innovation me paraît essentiel. Si le public peut contribuer à donner un coup de pouce aux entreprises innovantes, tant mieux. Par ailleurs, il faut conserver la possibilité pour les entités publiques de coopérer entre elles dans l’intérêt du public sans nécessairement faire un marché. Les pays qui résistent le mieux à la crise, ce sont aussi ceux où il y a un service public fort. Quant au fait de favoriser l’accès des petites et moyennes entreprises, ça me paraît essentiel. Aujourd’hui les PME sont trop souvent exclues. L’allotissement des contrats ou le regroupement d’entreprises pour la remise d’une offre sont des choses qui vont dans le bon sens. En revanche, en matière de marchés publics électroniques, attention à la fausse bonne idée qui consisterait à raccourcir les délais de remise d’une offre. Ce n’est pas le fait de transmettre l’offre qui prend du temps, c’est le temps de la produire. Et c’est d’autant plus compliqué pour les PME.»

achatpublic.info : être membre suppléant de la commission compétente du marché intérieur, est-ce un handicap ?
Marc Tarabella : «Non. Il faut fixer des priorités. Je suis aussi membre des commissions de l’Agriculture et de l’Égalité des genres. Quand la coordinatrice du groupe social-démocrate, l’Allemande Evelyne Gebhardt, m’a proposé ce dossier, j’ai trouvé que c’était un grand défi. Je ne joue aucun rôle spécifique dans la réforme de la PAC. Mon énergie, je vais la consacrer à la révision des directives. Pour au moins un an.»

achatpublic.info : Comment sont organisés les travaux au Parlement européen ?
Marc Tarabella : «Sept à huit commissions parlementaires rendront un avis. Ça veut dire que 40% des parlementaires traiteront ce dossier. Même si ce n’est que pour donner un avis, il faut quand même respecter ce travail. J’ai aussi décidé d’opérer sur le même mode opératoire que le Conseil. La Présidence danoise a proposé 10 « clusters » (ou ateliers thématiques, NDLR), nous avons mis les mêmes sur pied. Il y a un cluster sur les procédures d’adjudication, un autre sur la gouvernance. De cette manière, on percevra les risques de divergences de vue.»

achatpublic.info : des points de convergence se dégagent-ils entre groupes politiques au sein de la commission « marché intérieur » ?
Marc Tarabella : «Il y a des points de convergence sur la question des PME. Sur les 19% que représente la part de la commande publique dans le PIB européen, les collectivités locales constituent 70% de ces 19%. Faire en sorte que les directives soient plus simples pour elles, c’est vraiment quelque chose de communément admis. »

achatpublic.info : des divergences apparaissent-elles déjà ?
Marc Tarabella : «Personnellement, je veux faire de la question de la sous-traitance un combat. Il faut essayer d’enrayer la lutte contre cette sous-traitance en cascade qui ne bénéficie pas à l’économie réelle. Ce phénomène génère des problèmes tant dans la qualité du travail que dans la manière dont sont rémunérés les travailleurs sur le terrain. En France, l’exemple très connu est celui d’EDF à Flamanville. La Commission propose que l’adjudicateur paie directement le sous-traitant. Or, les groupes libéral (ADLE) et chrétien-démocrate (PPE) s’y opposent. Les libéraux sont attachés à la liberté contractuelle entre entreprises. Je peux l’admettre si la sous-traitance reste efficace.»

achatpublic.info : La création d’une autorité nationale de surveillance est-elle une bonne idée ?
Marc Tarabella : «La plus grande réticence concerne la question de l’autorité nationale qui serait amenée à vérifier la passation des marchés. Contrôler les procédures, être transparent, mieux utiliser les fonds publics, c’est bien. Mais il ne faut pas réinventer la roue. Certains pays ont déjà des autorités qui ne dépendent pas forcément d’autorités nationales. En Belgique, plus petit pays fédéral d’Europe, tous les contrats communaux sont soumis à une autorité de tutelle, la région. Mettre sur pied quelque chose de nouveau pourrait créer plus de problèmes.»

achatpublic.info : sur quel calendrier travaillez-vous ?
Marc Tarabella : «Dans le meilleur des cas, nous voterons cette directive en plénière en décembre. Je déposerai mon projet de rapport le 18 avril au plus tard. Le délai de dépôt d’amendements courra du 8 mai au 8 juin. Il ne sert à rien d’aller trop vite. Les autres commissions pour avis doivent aussi avoir le temps de déposer leurs amendements. En commission « marché intérieur », j’ai plaidé pour que les amendements soient déposés au niveau des groupes politiques afin d’éviter des milliers d’amendements. Objectif : voter en commission en octobre.»