Pas de référé contractuel pour les accords-cadres mono-attributaires

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Le titulaire d’un accord-cadre mono-attributaire a du souci à se faire. Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision extrêmement sévère sur le sujet. Il a estimé que ces derniers ne pouvaient se prévaloir devant le juge du référé contractuel du second alinéa de l’article L.551-18 du CJA, réservé aux seuls accords-cadres pluri-attributaires. Il a également jugé que la violation du droit d’exclusivité prévu à l’article 76 du CMP n’est pas au nombre des manquements qui peuvent être invoqués devant ce même juge.

« La proposition faite conduirait à priver le titulaire d’un accord-cadre mono-attributaire de tous recours effectifs tendant à faire protéger ses intérêts. La décision prise aboutirait à violer l’exclusivité consentie pour trois ans ». Les craintes évoquées par Maître Frédéric Thiriez, avocat à la SCP Lyon-Caen & Thiriez, suite aux conclusions du rapporteur public, Nicolas Boulouis, vont devenir bien réelles. Le Conseil d’Etat a suivi ce dernier dans une décision rendue le 29 juin 2012. Après avoir admis la recevabilité du référé contractuel introduit par la société titulaire de l’accord-cadre, il a rejeté sa demande tendant à l’annulation du contrat, aucun des manquements ne pouvant être utilement invoqués devant le juge du référé contractuel. Rappel des faits : La société Chaumeil s’est portée candidate à l’attribution d’un accord-cadre multi-attributaires lancé par la région Auvergne pour une durée de 3 ans. Comme la société a été le seul opérateur économique à répondre à cet appel d’offres, le marché s’est mué de fait en accord-cadre mono-attributaire. Sur le fondement du contrat, la région a consulté la société Chaumeil en vue de l’établissement d’un devis relatif à l‘habillage d’une palissade de chantier. Insatisfaite par le devis proposé, la personne publique a sollicité par téléphone deux autres entreprises, étrangères à l’accord-cadre et a conclu avec l’une d’elles un marché portant sur les prestations objet du marché. La société Chaumeil a attaqué la procédure devant le juge du référé précontractuel. Mais, le marché ayant été signé le jour de la notification de rejet de son offre, elle a essuyé un rejet et a donc déposé une requête en référé contractuel sur la base des articles L.551-13 et suivants du CJA. Dans une ordonnance rendue le 23 mars 2012, le juge des référés du TA de Clermont-Ferrand a rejeté les conclusions fondées sur les articles L.551-13 et L.551-18 du CJA, au motif que le référé contractuel aurait été irrecevable.

Les conditions du référé contractuel en MAPA

Dans sa décision, le Conseil d’Etat estime qu’en rejetant ainsi le référé contractuel, le juge a commis une erreur de droit qui conduit à l’annulation de l’ordonnance. En effet, en MAPA, le référé contractuel introduit par un concurrent évincé, ignorant le rejet de son offre et la signature du contrat,  est possible après un référé précontractuel infructueux si le pouvoir adjudicateur n’a pas rendu publique son intention de conclure le contrat ni observé un délai de 11 jours entre cette publication et la conclusion du contrat. De même, la porte du référé contractuel reste ouverte lorsque le candidat, informé du rejet de son offre et ayant présenté un référé précontractuel, a été privé de la possibilité de présenter utilement un tel recours en raison de l’absence de publication d’un avis d’intention de conclure le contrat. Les sages du Palais-Royal relèvent qu’en « jugeant que le référé précontractuel de la société Chaumeil, qui avait antérieurement formé un référé précontractuel, n’était pas recevable dès lors que le marché litigieux, […], n’entrait ni dans le champ d’application de la suspension prévue aux articles L.551-4 et .551-9 du CJA ni dans le cadre de la suspension prévue au 1° du I de l’article 80 du CMP, sans rechercher si le pouvoir adjudicateur avait, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, en application du premier alinéa de l'article L. 511-15 du CJA, […], le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a commis une erreur de droit ». En l’espèce, la région Auvergne, qui a passé un marché selon une procédure adaptée, n'a pas fait application du premier alinéa de l'article L. 551-15 du code de justice administrative. Elle n'a pas permis à la société Chaumeil, qui était ainsi dans l'ignorance de la signature du marché lorsqu'elle a présenté un référé précontractuel, de voir ce recours utilement jugé. Le référé contractuel formé le 7 mars 2012 est donc recevable.

Le référé contractuel fermé pour les accords-cadres mon-attributaires

Sur le fond, la société Chaumeil soutient que les mesures de mises en concurrence mises en œuvre par la région pour la passation du marché  entrant dans l’objet de l’accord-cadre sont insuffisantes. Le pouvoir adjudicateur avait demandé trois devis pour un marché dont le montant avoisinait les 28.000 euros et choisi l’offre la moins chère, sans cahier des charges ni critères de sélection affichés. « S’agit-il d’une bonne procédure aux termes de l’article 28 du CMP ? On pourrait en douter, mais telle n’est pas la question à résoudre », avait relevé le rapporteur public dans ses conclusions. Le premier alinéa de l’article L.551-18 du CJA ne vise que l’absence totale de publicité ou l’omission d’une publication au JOUE lorsque celle-ci est obligatoire. Or, en l’espèce, malgré les interrogations sur la régularité de la procédure, il n’y avait pas obligation de publicité compte tenu du montant du marché que le Conseil d’Etat considère isolément. Le moyen est rejeté. Le requérant estimait également que le second alinéa de l’article L.551-18 du CJA avait été méconnu. Selon cette disposition, le juge du référé contractuel prononce la nullité lorsque les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ont été méconnues. Pour le Conseil d’Etat, les modalités de remise en concurrence invoquées par cet article ne concernent que les contrats fondés sur un accord-cadre pluri-attributaires et non les accords-cadres mono-attributaires comme en l’espèce. Circulez, y’a rien à voir ! La société mettait parallèlement en avant le droit d’exclusivité dont bénéficient les titulaires des accords-cadres pour la passation des marchés fondés sur cet accord. Nouveau coup de massue pour le requérant. La haute juridiction considère que ce manquement n’est pas au nombre de ceux qui peuvent utilement invoqués devant le juge du référé contractuel. Aucun des juges des référés n’est alors en mesure de protéger l’exclusivité des accords-cadres ? Grand seigneur, le Conseil d’Etat offre quand même une porte de sortie pour la société Chaumeil. Les manquements, s’ils ne rattachent à aucune des hypothèses dans lesquelles le juge des référés contractuel peut exercer son office, peuvent toujours être portés à la connaissance du juge du contrat via le recours Tropic… Admettons, mais quel est l’intérêt pratique si le référé suspension est rejeté pour défaut d’urgence ?

Une décision décevante

Pour Maître Emmanuelle Roll, de la SCP Lyon-Caen & Thiriez, « s’il faut trouver un aspect positif à cette décision, c’est qu’elle prolonge en MAPA les solutions rendues dans les affaires France Agrimer et Opievoy au plan de la recevabilité du référé contractuel, lorsque le pouvoir adjudicateur manœuvre pour paralyser le référé précontractuel ou bien voue ce dernier à l’échec par négligence dans l’information des candidats évincés. Mais la consolation est bien mince, car sur le fond, c’est une décision très décevante pour les titulaires d’un accord-cadre mono-attributaire, et injuste en l’espèce. Le Conseil d’Etat vient nous confirmer qu’il n’y a aucun juge des référés (précontractuel ou contractuel en mesure de protéger utilement, contre les manœuvres du pouvoir adjudicateur, une exclusivité consentie à une entreprise au travers d’un accord-cadre conclu à la suite d’un appel d’offres, estime l'avocat. Dans ces conditions, autant lancer un appel d’offres pour la forme après une évaluation pluriannuelle des besoins, ne pas exécuter l’accord-cadre conclu à son issue et passer des MAPA fractionnés ayant le même objet, sans encourir la censure du juge des référés… Le Président Schwartz parlait de « trou noir » dans vos colonnes en décembre dernier au sujet du référé contractuel qui laisse subsister des situations irrégulières. La décision Société Chaumeil ajoute encore un trou dans la raquette, poursuit Emmanuelle Roll. Il faudrait peut-être en saisir la Commission européenne pour mettre un terme à ce réel problème de transposition de la directive Recours et du droit au recours effectif et efficace pour les candidats évincés ».

CE, 29 juin 2012, société Chaumeil, 358353