Une carte des achats au 1/10 000e

  • 31/01/2006
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Acheteur à la puissance de feu quasi incomparable, le ministère de la Défense a confié depuis 2005 au Contrôle général des armées le soin d’animer l’évaluation et l’optimisation de ses politiques d’acquisition. Etape liminaire de tout diagnostic, le CGA a entrepris le travail – colossal – de dessiner une première carte des achats des 31 directions du ministère, en collectant et en synthétisant près de 10 000 données. Déjà chargé d’assurer une mission de veille et d’information sur les marchés au profit des services de la Défense, le CGA a depuis l’arrêté du 26 juillet 2005, la tâche délicate d’animer « les travaux relatifs à l’évaluation et à l’optimisation des politiques d’achat du ministère. » Un « troisième pôle » est donc né à la section CRM, et a été confié à Hervé Horiot, officier de 1ère classe du corps technique et administratif de l’armement (OCTAA). Ce géographe de formation, passé par l’Ecole supérieure de l’administration de l’armement, est arrivé au Contrôle l’année dernière en provenance de la DGA, où il était expert marchés publics depuis 2001à la direction des centres d’expertise et d’essais (DCE). Le « troisième pôle » s’est retroussé les manches pour répondre à une demande de Michèle Alliot-Marie qui souhaitait intégrer la variable achats dans son tableau de bord mensuel. Il a défini une demi-douzaine d’indicateurs, comme par exemple le délai moyen de contractualisation entre la date d’expression des besoins et celle de l’attribution du marché. Récoltés auprès de l’ensemble des services, les éléments devraient permettre aux responsables politiques de vérifier l’usage efficace des ressources prévues par la loi de programmation militaire 2003-2008. « Un travail hyper structurant », atteste Hervé Horiot, puisqu’il a obligé les directions à fournir des éléments chiffrés sur leur activité. Un premier rapport d’étape sera soumis au cabinet du ministre au printemps prochain, afin de valider la démarche adoptée.97% des achats passés en procédure adaptéeAnimer la politique achat de la Défense nationale et concourir à son optimisation peut s’apparenter aux douze travaux d’Hercule. D’abord en raison du nombre d’entités concernés. Rien que pour les organismes gros consommateurs, la liste est longue : la Délégation générale à l’armement (DGA) avec une sous-direction achats clairement affichée dans son organigramme, l’établissement central de soutien (ECS), le service central des achats et du soutien (SCAS) ; les commissariats des trois armes ; les directions centrales du matériel de l’armée de terre et de l’armée de l’air, le service maintenance de l’aéronautique (SMA), la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de défense (SIMMAD), le service de soutien de la flotte (SFF), sans oublier tous les autres services, de la gendarmerie aux établissements sous tutelle, en passant par les écoles ou le service des moyens généraux du Secrétariat général de l’administration (SGA). Ensuite à cause de la masse des acquisitions. Un des premiers acheteurs de France, sinon le premier, le ministère Défense nationale dépense, bon gré mal gré, entre 15 et 20 milliards par an qui se partagent entre les programmes d’armement, sous la férule de la DGA, qui se taillent la part du lion ; et les achats de soutien. « C’est là qu’il faut s’interroger sur l’organisation des processus de commande », intervient le contrôleur général des armées, Philippe Nicolardot. Le Contrôle a démarré sa nouvelle mission par une étape essentielle qui ne surprendra aucun professionnel aguerri de l’achat : dresser une première carte des acquisitions du ministère. Une enquête minutieuse a été effectuée sur les actes d’achat passés en 2004 sous l’égide du nouveau Code. De quoi avoir une vision « panoramique » d’un an d’application du nouveau texte pour les 159 PRM métropolitaines du ministère, disséminées dans les 31 directions. Un questionnaire, composé de neuf tableaux (1), a permis de sortir une véritable carte d’état-major. Que ressort-il de cette « photo des achats de l’année 2004 » ? Evidemment des éléments volumétriques. La Défense nationale a passé 835 000 actes d’achat, représentant 15 milliards d’euros. 97% de ces actes ont été réalisés grâce à des marchés à procédure adaptée. Mais d’un panier moyen de 1161 euros, ils ne représentent que 6,5% du volume total. Un indice cruel en quelque sorte du système des « achats à la petite semaine ». L’analyse fine direction par direction, PRM par PRM, montre que plus une entité a soigneusement programmé et rationalisé ses besoins, plus son taux de MAPA a tendance à baisser. La carte, qui a permis de recenser 2000 acheteurs (équivalent temps plein), montre par ailleurs que la Défense n’abuse pas du décret défense. Seuls 255 marchés, certes pour un montant de 1,2 milliards d’euros, ont été passés à ce titre. Se poser les bonnes questionsLa topographie des lieux souligne enfin les gains potentiels dans le domaine de la massification des commandes et de la dématérialisation. Le chiffre d’affaires de l’UGAP s’avère quasi dérisoire : 146 millions d’euros soit 0,8% du montant des achats (hors décret défense), le plus souvent réalisés dans le cœur de métier de la centrale : automobiles, informatique, mobilier. Malgré les deux portails de la Défense (ixarm.com et achats.defense.gouv.fr) et la publication quasi systématique des avis de publicité et des cahiers des charges en ligne, la passation par voie électronique a encore du chemin à faire, même si les données portent sur une période antérieure à l’échéance du 1er janvier 2005. Au total 51 marchés ont été entièrement dématérialisés (dont 46 pour la seule DGA) et aucune enchère inversée n’a eu lieu. A quoi servira la carte, dont les éléments seront diffusés à toutes les entités de la Défense ? « Pour réfléchir aux politiques achats, il faut des outils, et la cartographie en fait partie. Elle permet de poser les bonnes questions : quelle stratégie appliquer pour réduire par exemple le nombre des procédures adaptées, les coûts de gestion et l’insécurité juridique qu’elle engendrent ? Comment réduire et regrouper les personnes responsables de marché ? », déclare Hervé Horiot. On l’aura compris, la carte des achats permettra d’accélérer l’emploi de certaines techniques comme la globalisation, l’usage des nouvelles technologies, en particulier celle de la carte d’achat. « Il est clair que cette photo, support des futures recommandations, ne doit pas terminer sous un cadre », espère-t-il. Sur sa lancée, le « troisième pôle » a constitué un réseau d’acheteurs du ministère, tous volontaires. « Il n’y a pas eu d’erreur de casting. Il s’agit de personnes compétentes, motivées, enthousiastes et qui ont des idées pour faire avancer les choses. Les membres du réseau sont même insatiables car la réflexion alimente la réflexion », assure Hervé Horiot qui vante la liberté de ton durant les échanges, au-delà des grades et de la hiérarchie. Cinq groupes de travail cogitent sur des thèmes : marchés adaptés, fournisseurs, e-achat, nomenclature, ressources humaines et professionnalisation (voir nos articles). Ils rendront leurs premières conclusions en avril prochain. « On n’est pas là pour apporter la vérité, pour imposer ce qu’il faut faire. Des initiatives existent déjà et méritent d’être amplifiées », pondère le « troisième pôle » qui désire travailler la main dans la main avec les autres think tank de la Défense à l’image du 3C (comité de coordination des commissariats) ou de la Mission d’aide au pilotage (MAP), chargée d’insuffler une culture de gestion au ministère (2). Une deuxième cartographie est programmée en 2006, cette fois avec un angle différent puisqu’elle sera centrée sur les familles d’achats. « Après comment achète-t-on, on s’intéressera à ce qu’on achète », résume Hervé Horiot. Tout ce travail servira-t-il de tremplin à la création d’une mission achat à la Défense dans quelques années ? L’avenir le dira. En tout état de cause, «la commande publique de la Défense se trouve à un virage », garantit le contrôleur général Nicolardot. Jean-Marc Binot © 01/02/2006(1) Les tableaux portent sur la volumétrie annuelle (nombre d’actes par montant et par procédures, pourcentage des achats attribué aux PME…) ; la forme des marchés (bons de commande…) ; la répartition des marchés par seuils ; leur distinction par nature (fournitures, travaux, prestations intellectuelles…) ; le chiffre d’affaires alloué à l’UGAP par famille d’achats ; le nombre d’agents affectés aux achats (en équivalent temps plein) ; le nombre de marchés attribués à des entreprises européennes ou extra-européennes ; le nombre de pré-contentieux ou de contentieux ; le nombre de marchés dématérialisés (procédures électroniques, enchères inversées).(2) La MAP a pour rôle d’aider le ministère à passer d’une logique de moyen à une logique de résultat avec la mise au point d’une carte stratégique. Son chef, Gérard Blondé, est un contrôleur des armées.