
Me Philippe Schmidt : « la difficulté fondamentale tient à la définition de l’objet dans l’accord-cadre et dans les marchés subséquents »
Durée de l’accord-cadre, clauses d’exclusivité, volumes commandés, fixation des prix… Autant de données qui fondent un accord-cadre mais qui peuvent être porteuses de risques. Philippe Schmidt, avocat au cabinet Deporcq-Schmidt-Vergnon, nous donne quelques conseils avisés afin d’éviter les pièges de ce nouveau dispositif. Pour le spécialiste, la détermination de ce qui doit être dit dans l’accord-cadre et de ce qui ne peut l’être qu’au stade de la passation des marchés subséquents représente la difficulté majeure de ce dispositif.

achatpublic.info : s’agissant de la durée de l’accord-cadre, quels sont précisément les pièges qu’il faut éviter ?
Philippe Schmidt : « La durée d’un accord-cadre est limitée à 4 années. Il va de soi que ce type de dispositif n’a d’intérêt que s’il couvre des relations contractuelles durables. Le dispositif étant fermé (c’est-à-dire qu’il ne tolère pas l’entrée de nouveaux opérateurs tant qu’il est valide), le risque d’essoufflement n’est pas négligeable, soit que certains opérateurs disparaissent ou que d’autres apparaissent, soit qu’ils se désintéressent des demandes du pouvoir adjudicateur, soit encore que des pratiques anticoncurrentielles se fassent jour dans le cercle restreint des titulaires de l’accord-cadre. Ce risque doit conduire le pouvoir adjudicateur à se ménager des portes de sortie par une clause lui ouvrant une faculté de résiliation inconditionnée, par exemple à échéances annuelles. »
achatpublic.info : la possibilité de dépasser la durée maximale autorisée dans des cas exceptionnels dûment justifiés vous paraît-elle constituer une source de contentieux ?
Philippe Schmidt : « il convient de demeurer très prudent. L’acheteur doit avoir en tête que, par principe, la limitation de la durée des accords-cadres a pour objet de contribuer à éviter ou à limiter les problèmes liés à la présence de fournisseurs dominants. Inversement, une durée plus longue ne pourrait être justifiée qu’afin d’assurer une concurrence effective pour le marché en question, si son exécution nécessite des investissements dont la période d’amortissement serait plus longue que 4 ans, et qui ne pourraient être réalisés par des prestataires ou des fournisseurs entrants. »
achatpublic.info : concernant les clauses d’exclusivité, est-ce risqué d’appliquer le Code 2006 qui permet au pouvoir adjudicateur de s’adresser, pour des besoins occasionnels de faible montant, à un autre prestataire que le ou les titulaires de l’accord-cadre, alors que la communication interprétative de la Commission européenne parle de « système clos » ?
Philippe Schmidt : « La précision apportée par le Code sur ce point constitue une soupape de sécurité. Sur le plan juridique, elle remplit une fonction importante car elle consacre a contrario l’existence du principe d’exclusivité. Sur le plan pratique, elle ne me semble pas d’une portée significative. Si la commande occasionnelle à un tiers résulte de l’incapacité avérée des titulaires de l’accord-cadre à répondre aux besoins du pouvoir adjudicateur, la prestation n’est alors pas couverte par l’accord-cadre. S’il s’agit d’une incapacité momentanée ou d’une urgence impérieuse, le cadre dérogatoire ouvert par l’article 35 peut trouver à s’appliquer. Demeurerait l’hypothèse des considérations d’opportunité qui conduiraient le pouvoir adjudicateur à recourir à un tiers en l’absence d’incapacité des titulaires de l’accord-cadre et qui entraînerait l’irrégularité du marché passé, ainsi que la responsabilité du pouvoir adjudicateur à l’égard des titulaires de l’accord-cadre. Ce dispositif est en tout état de cause très délicat à utiliser. La faculté ouverte de s’adresser à des tiers ne signifie pas que le marché est dispensé de toute mise en concurrence et l’on voit mal comment, dans le cadre de cette mise en concurrence, les titulaires de l’accord-cadre pourraient ne pas être admis à soumissionner. »
achatpublic.info : à propos du volume des commandes, pensez-vous que l’absence d’indications pour le volume minimal et maximal de l’accord-cadre soit néfaste et doit être évitée ?
Philippe Schmidt : « L’absence d’indications d’un volume minimal prive le pouvoir adjudicateur de l’effet quantitatif sur les offres des soumissionnaires. Cela étant, l’indication de volumes doit être distinguée de l’engagement de commandes à une hauteur déterminée, comme on en connaissait dans les marchés à bons de commande. Concernant ces engagements, il va de soi qu’ils n’ont de sens que pour les dispositifs permettant une mono-attribution ; une remise en concurrence loyale exclut tout engagement dans les systèmes multi-attributaires. On peut imaginer que le pouvoir adjudicateur intègre dans l’accord-cadre multi-attributaire des clauses lui permettant cependant de bénéficier de l’effet quantitatif sur les offres des soumissionnaires, telles que des remises quantitatives. En revanche, tout engagement tendant à réserver à un ou plusieurs prestataires un quota prédeterminé de commandes, tel qu’il peut se rencontrer dans les accords-cadres de distribution dans l’achat privé, est également incompatible avec l’existence d’une mise en concurrence. »
achatpublic.info : sur la fixation des prix, quels sont encore une fois les pièges à éviter et que prévoir en la matière ?
Philippe Schmidt : « Il s’agit d’une problématique en partie commune aux accords-cadres et aux marchés à bons de commande. La sélection des titulaires de l’accord-cadre ne pourra se faire sans égard aux aspects économiques de leurs offres. Corrélativement, ces aspects devront être un tant soit peu contractualisés afin que les conditions de la mise en concurrence initiale ne soient pas réduites à néant au fil du temps. D’un autre côté, la remise en concurrence portera également sur les aspects économiques et l’accord-cadre initial ne doit pas être bloquant. Cette problématique peut être en partie surmontée en stipulant dans l’accord-cadre des rabais minimaux et des clauses butoirs qui s’appliqueront aux catalogues des titulaires. Ce recours à des prix ajustables est cependant conditionné par l’existence de catalogues reflétant la réalité des prix du marché susceptibles de constituer une référence au sens de l’article 18 du Code des marchés publics. Elle peut l’être également en ne stipulant dans l’accord-cadre que des éléments de coût de revient de la prestation, tels que des tarifs horaires d’intervention par exemple, et en ne fixant le prix d’une prestation au stade du marché subséquent par référence à ces éléments. »
achatpublic.info : comment sanctionner le comportement préjudiciable d’un ou plusieurs opérateurs autorisés à participer à un accord-cadre qui ne joueraient pas le jeu de la concurrence ?
Philippe Schmidt : « Le bon fonctionnement d’un accord-cadre suppose qu’un minimum de règles du jeu soient respectées par les titulaires, et en particulier que les entreprises jouent le jeu de la concurrence. L’exclusion d’une entreprise est une sanction peu appropriée car elle n’aurait guère pour effet que d’amoindrir l’effectivité de la concurrence, et ce, définitivement, dans la mesure où elle ne peut être remplacée dès lors que le système est clos. L’application de pénalités peut être dissuasive pour les entreprises et constituer un frein lors de la mise en place de l’accord-cadre. En définitive, il n’y a guère que par la faculté que s’aménage le pouvoir adjudicateur de résilier périodiquement l’accord-cadre, vis-à-vis de l’ensemble des titulaires, qu’il pourra tirer utilement les conséquences d’un disfonctionnement dû aux entreprises. »
achatpublic.info : y a-t-il plus largement d’autres points dans un accord-cadre qui vous paraissent facteurs de risque ?
Philippe Schmidt : « Le dispositif des accords-cadres, tel que transposé par le décret du 1er août 2006, se borne à une transposition des règles de passation issues des directives. Dès lors, il est certain que de nombreux aspects de ces dispositifs contractuels, largement nouveaux dans notre droit de la commande publique, ne pourront se voir appliquer avec les outils habituels. Si l’on évoque les clauses de ces contrats, il va ainsi de soi que l’application pure et simple des CCAG n’aurait aucun sens, ceux-ci ayant vocation à régir la prestation et non une relation contractuelle durable. A défaut de réglementation spécifique, la liberté contractuelle devra prévaloir. Mais il reste à imaginer ce qui mérite d’être spécifié au stade de l’accord-cadre, de préférence au stade de la passation des marchés subséquents.
La première des questions résultera de l’arbitrage qui devra être fait entre l’accord-cadre et les marchés subséquents. Certains aspects des modalités d’exécution, relativement immuables, peuvent sans doute figurer dans l’accord-cadre (responsabilités, modalités de réception ou d’admission des prestations, modalités d’échange entre le pouvoir adjudicateur et les entreprises…). D’autres aspects, plus liés aux circonstances de l’achat seront réservés aux marchés subséquents (délais de réalisation ou de livraison, lieux d’exécution). La difficulté fondamentale qui demeurera tient à la définition de l’objet, dans l’accord-cadre d’une part, et dans les marchés subséquents, d’autre part. En effet, les avantages de l’accord-cadre se feront essentiellement sentir pour deux types de prestations : celles pour lesquelles une remise en concurrence s’impose en raison de l’évolutivité des prix (comme dans les anciens marchés à bons de commande multi-attributaires avec remise en concurrence). Mais surtout celles pour lesquelles la consistance même du besoin est évolutive, voire imprévisible. Dans ce cas la mise en place de marchés à bons de commande est impossible faute pour l’acheteur d’établir un bordereau de prix un tant soi peu significatif. Mais il n’en demeurera pas moins que l’acheteur devra spécifier son besoin, dès la mise en place de l’accord-cadre, dans des termes suffisamment précis pour que la mise en concurrence soit efficace et donc régulière. Et lors de la passation des marchés subséquents, il ne pourra modifier substantiellement cet objet. La détermination de ce qui doit être dit dans l’accord-cadre et de ce qui peut ne l’être qu’au stade de la passation des marchés subséquents est sans doute la difficulté majeure que présentent ces dispositifs. »


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