Une correction nécessaire pour respecter le droit communautaire

  • 03/10/2006

En éliminant la liste des catégories de marchés de services dérogatoires de l’article 30, le ministère des Finances explique qu’il a suivi l’avis du Conseil d’Etat. Lequel se réfère à ses précédentes décisions et aux principes communautaires. En effet, pour l’Union, les dérogations au respect de la transparence (publicité et mise en concurrence) doivent demeurer exceptionnelles.

Acheteurs, entreprises et acteurs de la commande publique ont eu la surprise en épluchant le Code de constater que l’article 30-2 avait perdu une grande partie de sa substance par rapport à la version donnée par le projet de décret. Dans ce dernier, l’alinéa reprenait à son compte une partie de l’annexe 2B de la directive 2004 sur les marchés publics en citant expressément quatre catégories de marchés de services non soumis à la règle de mise en concurrence préalable : les services juridiques, les services sociaux et sanitaires, les services récréatifs, culturels et sportifs, les services d’éducation, de qualification et d’insertion professionnelles. Furieux, le lobby du monde de l’insertion a saisi les parlementaires. Conséquence : une pluie de questions s’est abattue sur le gouvernement. Députés et sénateurs issus de la majorité et de l’opposition relaient depuis l’été l’inquiétude. Rien que le 28 septembre, trois sénateurs ont interpellé Bercy. La réécriture « de l’article 30 apparaît d’autant plus indispensable que les ateliers et chantiers d’insertion risquent de se voir appliquer une mise en concurrence au même titre que toute entreprise, remettant ainsi en cause leurs spécificités premières que sont l’insertion et la formation », insiste André Lejeune (PS-Creuse). Pour sa part, Brigitte Bout (Pas-de-Calais - UMP) demande au gouvernement quelles mesures il compte prendre « pour rassurer le réseau associatif ». Georges Mouly (Corrèze - RDSE) s’interroge sur « le flou sur la question de la procédure allégée de l'article 30 permettant aux associations de répondre à la commande publique, selon une mise en concurrence adaptée à leurs spécificités ».

Se soumettre aux grands principes du Traité

Le Minefi plaide non coupable. Si le 30-2 ne comporte plus en clair la liste des marchés de services dérogatoire, c’est parce que l’avis du Conseil d’Etat a été suivi (1). Il faut dire que chat échaudé craint l’eau froide. En 2005, l’article 30 du Code avait déjà été censuré au motif qu’une disposition qui dispensait de toute obligation de publicité ou de mise en concurrence allait à l’encontre des grands principes de la commande publique (2). En 2006, logiques, les sages du Palais-Royal ont continué à estimer qu’aucune exception ne peut être tolérée, au nom du sacro-saint principe de la libre concurrence. En d’autres termes, ils considèrent que même si la directive 2004 précise que la passation des marchés de services qui ont pour objet des services figurant à l’annexe IIB est soumise seulement à son article 23 (spécifications) et à son article 35-4 (avis d’attribution), les grands principes du traité de l’Union ne peuvent être jetés aux orties. La France a tout à fait le droit de reprendre cette liste dans son Code, mais pas de l’utiliser aux fins de déroger à la règle, explique-t-on en substance du côté de Bruxelles. Voilà pourquoi on est passé de la procédure (très) « allégée » à la procédure « adaptée ». Dans un contentieux qui oppose l'Europe à l'Irlande, l'avocat général de la CJCE vient de considérer que Dublin en confiant ses services gratuits d'ambulance sans publicité préalable a violé le Traité (3). Exposé aux critiques, Bercy se justifie en expliquant que le nouveau code « n'introduit donc sur ce point aucune contrainte supplémentaire. En pratique, la procédure adaptée reste plus souple que le droit commun puisque ses modalités sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d'y répondre ainsi que des circonstances de l'achat.» Le ministère rappelle « qu’aucune obligation de conclure un appel d'offres ou une autre des procédures formalisées prévues par le code des marchés publics n'est donc imposée pour ce type de marchés », ce qui ne convainc nullement le monde associatif (lire les articles du dossier).

Les associations d'insertion sociale non soumises au Code ?

Rapporteur du décret devant le Conseil d’Etat, Alain Ménéménis a récemment balayé les détractions : l’article 30 ne constitue pas une « menace » pour le monde associatif puisque l’article 1er du Code précise que les marchés publics sont des contrats conclus avec des opérateurs économiques. Les organismes associatifs « ne sauraient être regardés, compte tenu de leur objet et des conditions dans lesquelles ils exercent leur activité, comme des opérateurs économiques sur un marché concurrentiel. A ceux là le Code n’est pas applicable : les critiques adressées à l’article 30 en ce qui les concerne sont donc inopérantes » (4). CQFD. Son analyse ne sera pas forcément partagée. Pour l’Europe, tout tiers capable de fournir une prestation de service donnant lieu à une rémunération est un opérateur économique, et les associations n’échappent pas à la règle. Dans son paragraphe 8, l’article 1er de la directive 2004/18/CE rappelle que le terme d’opérateur économique couvre à la fois les notions d'entrepreneur, fournisseur et prestataire de services, notions qui désignent « toute personne physique ou morale ou entité publique ou groupement de ces personnes et/ou organismes qui offre, respectivement, la réalisation de travaux et/ou d'ouvrages, des produits ou des services sur le marché. »

(1) Réponse du Minefi publiée dans le JO Sénat du 21 septembre 2006 - page 2436
(2) Lire notre article du 24 février 2005 Le Conseil d'Etat efface du Code l'alinéa 1 de l’article 30 et l’article 3-5 relatif aux contrats d’emprunt www.achatpublic.com/news/2005/02/4/AchatPublicBreveALaUne.2005-02 23.4337/AchatPublicBreve_view
(3) Lire notre article : Christine Stix-Hackl, avocat général à la CJCE, entaille la notion de libre prestation des services
http://www.achatpublic.com/news/2006/09/5/AchatPublicBreveALaUne.2006-09-27.5207

(4) Alain Ménéménis, code des marchés publics, quelques points forts, AJDA, 2 octobre 2006, page 1758 et ss.