Ordonnance du 6 juin 2005 : qui sont les « heureux élus » ?

  • 06/02/2007

La définition de la notion de pouvoir adjudicateur, inscrite dans l’ordonnance du 6 juin 2005, étant large, elle emporte dans son champ d’application de nombreux organismes. Des établissements aussi divers que les associations de loi 1901, les GIE, les GIP, sociétés d’économie mixte locales, ou encore certains EPIC nationaux sont potentiellement visés.Le droit de la commande publique n’est plus gouverné que par le seul code des marchés publics. Il faut y ajouter l’ordonnance du 6 juin 2005, relative aux personnes publiques et privées non soumises au Code (1), qui impose à de nombreuses structures parapubliques de respecter des mesures de publicité et de mise en concurrence. Pendant des années, les obligations de transparence et d’égalité des candidats pour les achats de ces organismes ont été éparpillées dans de nombreux textes différents, ce qui n’a pas facilité leur prise en compte et leur assimilation par les acteurs concernés. L’ordonnance a donc été rédigée pour remettre un peu d’ordre dans ce méli-mélo et se conformer au droit communautaire dont le champ d’application est bien plus étendu que celui du code des marchés publics français : « En emportant abrogation de ces textes, l’ordonnance du 6 juin 2005 leur a substitué un seul et même corps de règles qui permet de clarifier le régime de passation de ces pouvoirs adjudicateurs dont l’action est encadrée au niveau communautaire », commente Rodolphe Rayssac, avocat à la Cour. Pourtant, malgré l’entrée en vigueur du texte et de ses deux décrets d’application (2) depuis déjà un an et demi, bien des établissements ne s’y sont pas encore assujettis ou commencent à peine à le faire. De fait, la définition de la notion de pouvoir adjudicateur étant large, son champ d’application vise des entités pour lesquelles la soumission à l’ordonnance n’est pas évidente et nécessite une analyse au cas par cas, ainsi que des organismes pour lesquels les procédures de commande publique sont totalement étrangères, ce qui ralentit certainement la bonne application de ses règles. De la difficulté d’apprécier le champ d’application de l’ordonnance Selon la définition de l’ordonnance, sont considérés comme des « pouvoirs adjudicateurs », les organismes de droit privé et de droit public dotés de la personnalité juridique et qui ont été créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un autre caractère qu’industriel et commercial dont :- soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur soumis au Code ou à l’ordonnance ; - soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur soumis au Code ou à l’ordonnance ; - soit encore l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur soumis au Code ou à l’ordonnance.Les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués en vue de réaliser certaines activités en commun par des pouvoirs adjudicateurs soumis au Code, à l’ordonnance ou aux deux sont également concernés. Tous les établissements publics à caractère administratif ayant dans leur statut une mission de recherche sont aussi visés par l’ordonnance pour les achats destinés à la conduite de leurs activités de recherche. S’y ajoutent enfin des entités nommément mentionnées dans l’ordonnance : la caisse des dépôts et consignations, la banque de France, l’Institut de France, l’académie française, l’académie des Beaux-Arts, l’académie des inscriptions et des belles lettres, l’académie des sciences et l’académie des sciences morales et politiques. Les structures qui n’étaient soumises jusqu’alors qu’au titre II de la loi n°91-3 du 3 janvier 1991 pour leurs marchés de fournitures, services et travaux, sont également tombées dans le giron de l’ordonnance. Tel est le cas par exemple des groupements d’intérêt public (GIP), des groupements d’intérêt économique (GIE), des centres de lutte contre le cancer ou encore des hôpitaux privés sans but lucratif participant au service public hospitalier (PSPH).Le secteur hospitalier en plein dans le mille« Un organisme sera soumis à l’ordonnance lorsqu’il répond à deux critères cumulatifs. Un critère téléologique : l’objectif de satisfaction d’un intérêt général ; et un critère complémentaire : la dépendance de cet organisme vis-à-vis d’un pouvoir adjudicateur soumis au code ou à l’ordonnance. Cette dépendance peut résulter alternativement du mode de financement de l’organisme, de l’organisation de sa gestion ou de son administration », résume Rodolphe Rayssac. « Bien que la notion d’intérêt général soit assez difficile à appréhender et puisse faire l’objet de définitions différentes, il ne fait nul doute que la santé publique relève de cette qualification. Le conseil d’Etat a, sur ce point, dans le domaine hospitalier, une interprétation relativement souple de la notion (3) », estime l’avocat. « S’agissant du critère complémentaire, on remarque que dans de nombreux cas, la dépendance du pouvoir adjudicateur à un autre pouvoir adjudicateur est généralement constatée, qu’il s’agisse d’une dépendance financière ou bien d’une dépendance liée au mode de gestion ou d’administration », analyse-t-il. EPIC nationaux : vigilance !Certains établissements publics à caractère industriel et commercial nationaux entrent également dans le champ de l’ordonnance : « ce n’est parce que l’on est un EPIC que l’on ne satisfait pas un besoin d’intérêt général autre qu’industriel et commercial, car c’est la nature du besoin et non le statut de l’organisme qui détermine si l’entité en question est pouvoir adjudicateur ou pas », prévient Thomas Laffargue, avocat chez De Gaulle, Fleurance et associés. Pour le savoir, « la jurisprudence a recours à un faisceau d’indices : si le statut et l’objet social peuvent servir d’indices, c’est aussi et surtout l’exercice de l’activité dans des conditions peu ou pas concurrentielles, l’absence de risque économique pour l’entité, l’absence d’un but lucratif à titre principal et le financement public éventuel de l’activité qui permettront de qualifier la structure d’organisme créé afin de satisfaire un besoin d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial (4) », commente l’avocat. Et Laurent Richer, avocat et professeur de droit public de rappeler : « A l’origine, la qualification comme EPIC était liée à la nature de l’activité : l’établissement était industriel et commercial lorsque son activité l’était, ce qui justifiait un assouplissement et une privatisation des règles applicables, notamment en matière de passation des marchés. Mais la souplesse a constitué un attrait par elle-même et des établissements publics ont été dotés du statut d’EPIC alors que leur activité était administrative », explique-t-il dans son ouvrage sur le droit des contrats administratifs (5). Le juge a donc apporté des limites à cette pratique en requalifiant l’activité dans un premier temps (6), puis en allant jusqu’à rectifier la qualification de l’établissement lui-même dans un second temps (7). Gare donc aux EPIC nationaux qui décideraient d’emblée de ne pas se soumettre à l’ordonnance sans avoir préalablement bien étudié la question. Sandrine Dyckmans © achatpublic.info, le 01/02/2007 (1) Ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics : www.admi.net/jo/20050607/ECOX0500022R.html(2) Décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l'article 3 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 : www.admi.net/jo/20051231/ECOM0520019D.html et Décret n°2005-1308 du 20 octobre 2005 applicable aux entités adjudicatrices : www.admi.net/jo/20051022/ECOM0520014D.html(3) CE APHPc/ Sté Codiam, 8 juin 1994, n°90818(4) CJCE, 16 octobre 20033, Espagne c/ commission, aff. C-283/00(5) Droit des contrats administratifs, 5ème édition, LGDJ(6) TC 24 juin 1968, Sté distilleries bretonnes c/FORMA(7) CE 4 juillet 1986