Publicité et mise en concurrence : une souplesse toute relative

  • 06/02/2007

Mauvaise nouvelle. Il est fortement conseillé aux pouvoirs adjudicateurs d’adopter les mêmes règles de publicité que celles du code des marchés publics, malgré l’existence d’un dispositif plus souple dans le décret d’application du 30 décembre 2005 de l’ordonnance. Telle est l’opinion de Rodolphe Rayssac, avocat, qui estime qu’en cas de contentieux le juge risquerait fort d’appliquer pour la publicité sous les seuils un raisonnement analogue à celui qu’il a emprunté pour les marchés relevant du Code.Quelles règles régissent la publicité et la passation des marchés et des accords cadres lancés par les structures assujetties à l’ordonnance du 6 juin 2005 et à ses deux décrets d’application (1) ? A première vue, celles de l’ordonnance semblent plus souples que celles du code des marchés publics. Pour autant, derrière cette relative flexibilité se cachent quelques chausses trappes auxquels les pouvoirs adjudicateurs doivent faire particulièrement attention. Cette remarque concerne surtout la publicité. En la matière, le texte laisse toute liberté au pouvoir adjudicateur de l’organiser comme il l’entend entre 0 et 210 000 euros HT pour les fournitures et les services. Au-delà de ce montant, il lui est demandé de lancer un avis d’appel public à la concurrence au JOUE (journal officiel de l’Union européenne). S’agissant des travaux, la souplesse accordée est encore plus vaste : les marchés sont passés selon des modalités librement définies entre 0 et 5 270 000 € HT. Au-delà, une publicité au JOUE devient obligatoire. Pour Rodolphe Rayssac, avocat à la Cour, cette souplesse ne serait qu’un miroir aux alouettes : « Au vu de la jurisprudence récente en matière de publicité, en particulier les arrêts remarqués du conseil d’Etat concernant le Louvre 2 et le syndicat de l’agglomération valentinoise (2), il y a fort à parier que le juge adopterait le même raisonnement pour les acheteurs soumis à l’ordonnance que pour ceux qui sont soumis au code des marchés publics, s’il était saisi », prévient-il. Il préconise donc de se caler sur les règles de publicité du Code.Publicité : mêmes risques pour les acheteurs soumis au Code et à l’ordonnanceRodolphe Rayssac estime que l’article 10 du décret du 30 décembre 2005 définissant le régime juridique des marchés inférieurs à 210 000 € - particulièrement peu précis sur les modalités de publicité et les procédures à suivre sous les seuils - doit être appréhendé au regard de l’article 6 de l’ordonnance qui dispose : « Les marchés et les accords-cadres soumis à la présente ordonnance respectent les principes de la liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ». Selon l’avocat, l’analyse de la signification et la portée des dispositions de l’article 10 du décret nécessite en outre de se référer, d’une part, aux dispositions de la directive 2004/18 CE sur le fondement de laquelle est prise l’ordonnance et, d’autre part, sur la jurisprudence de la cour de justice européenne. Se référer à la directive « marchés publics » S’agissant du régime communautaire, l’article 2 de la directive dispose que la passation des marchés doit respecter les principes du Traité tels que l’égalité de traitement, la non discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Quant à la jurisprudence de la cour européenne, le publiciste rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur le fait que les marchés passés sous les seuils communautaires doivent être soumis à une obligation générale de transparence en vue de « garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures d’adjudication » (3). Dès lors, estime le spécialiste, la « liberté contrôlée » laissée aux pouvoirs adjudicateurs s’exprime dans les mêmes termes que l’article 28 du Code des marchés publics : « Ils doivent veiller à ce que les modalités de publicité et de mise en concurrence soient proportionnelles au montant et à l’objet du marché », conclut Rodolphe Rayssac. Et ce, d’autant plus, que leur non respect peut faire l’objet d’un recours contentieux de la part des candidats évincés. Pas de CAOQu’en est-il des procédures de passation ? Enumérées à l’article 7 du décret du 30 décembre 2005 qui trace la ligne entre procédures formalisées et procédures non formalisées, elles sont au nombre de quatre au-dessus des seuils : l’appel d’offres ouvert ou restreint, la procédure négociée (article 33), le dialogue compétitif (article 38) et le concours (article 41). Contrairement à la publicité, la passation des marchés et des accords-cadres régis par l’ordonnance laisse une plus grande marge de manœuvre : « La passation en elle-même est moins précise que dans le Code. Surtout, elle n’impose pas de commission d’appel d’offres et donc aucun délai pour la convocation de ses membres. Il est tout à fait possible, si l’on s’en tient au texte, d’envisager que le pouvoir exécutif d’un organisme relevant de l’ordonnance ou son représentant attribue seul les marchés », commente Rodolphe Rayssac. Si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, cela signifie-t-il qu’il peut légalement décacheter les plis dans son bureau ?... En théorie oui. En pratique, l’avocat le déconseille formellement. Ce dernier précise que l’ordonnance impose également la mise en place d’une nomenclature au sein de chaque établissement : « les pouvoirs adjudicateurs doivent adopter un outil de travail de ce type, ce qu’ils n’ont pas l’habitude de faire et qui les empoisonne pas mal », commente le publiciste. Sandrine Dyckmans © achatpublic.info, le 01/02/2007 (1) les procédures sont définies par deux décrets d’application : il s’agit d’une part du décret n°2005-1308 du 20 octobre 2005 applicable aux entités adjudicatrices et, d’autre part, celui du 30 décembre 2005 (n°2005-1742) applicable aux pouvoirs adjudicateurs. (2) Arrêts du 10 mai 2006, syndicat intercommunal de l’agglomération valentinoise, n° 286644 et du 7 octobre 2005, CCI région Pas-de-calais, n° 278732(3) CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress, Aff. C-324/98 ;Rec p. I-10745Décret du 30 décembre 2005 :www.admi.net/jo/20051231/ECOM0520019D.html