Daniel Guimain, avocat au barreau de Lille « il ne faut pas hésiter à rencontrer les candidats avant de choisir pour négocier »

  • 03/04/2007

Daniel Guilmain, a une double casquette. Tantôt avocat spécialiste en droit des contrats publics, il est aussi parfois candidat pour des marchés portant sur des prestations juridiques. Selon lui le choix d'un partenaire pour plusieurs années, sans l'avoir préalablement vu et sans avoir discuté de sa proposition, parait peu efficace.

achatpublic.info : Quels conseils donneriez-vous aux personnes publiques quand elles rédigent leur cahier des charges ?

Daniel Guilmain : « D'abord, réfléchir à une expression aussi précise que possible de son besoin, qui soit autre chose que simplement littéraire : bien sur, on veut du conseil ou du traitement de dossiers contentieux. Mais qu'est-il attendu de l'avocat, quels services lui demandera-t-on au-delà de sa compétence supposée ? Quelles exigences particulières a-t-on ? Quels délais de réaction veut-on ? Ensuite, en considération de ce besoin, réfléchir aux critères pertinents du choix. Un conseil compétent se paye à son juste prix. En matière de marchés de prestations juridiques, le prix global ne peut être un critère de prix satisfaisant. A tout prendre, il vaut mieux une base horaire, même si le nombre d'heures reste l'inconnue, qui dépend d'ailleurs en grande partie de l'avocat lui-même….

A la condition quand même que le cabinet candidat reste raisonnable. Mais les fourchettes d'honoraires couramment pratiquées, ou de fixation de ceux-ci, sont assez connues. Pour prendre un exemple récent concernant un marché pour le contentieux, il était demandé, pour juger l'offre, une note sur les méthodes de travail, la méthodologie du traitement du contentieux et la gestion de la relation clientèle, une note justifiant de l'intérêt porté à la matière objet du marché et enfin, une note sur les moyens matériels assurant une disponibilité de l'avocat en cas d'urgence, chaque note étant affectée d'un coefficient de pondération. Au cas particulier, le prix, exprimé sur une base horaire, n'intervenait que pour 20 %. J'ai trouvé, pour ma part, ce montage intéressant. Et, enfin, prévoir une phase de négociation ».

achatpublic.info : Pouvez-vous nous faire part de votre retour d'expérience quand vous vous portez candidat à ce type de marché ?

Daniel Guilmain : « Je candidate rarement. Et, ce pour plusieurs raisons qui tiennent à la nature même du dossier ou à son montage. Quand il s'agit d'un marché d'assistance qui porte sur une multitude de domaines du droit, seul un cabinet pluridisciplinaire peut sérieusement candidater. Certes, on pourrait imaginer que plusieurs avocats aux spécialités ou aux expériences différentes se regroupent afin d'établir une offre conforme. Mais la profession, toujours assez individualiste, ignore encore assez largement la technique du groupement d'entreprises. Néanmoins, l'obligation d'allotir devrait voir ce type de dossier se raréfier. Mais la principale raison pour laquelle je ne candidate pas résulte du montage même du dossier :

- soit ce qui est demandé pour juger des offres me paraît inapproprié car peu révélateur de la qualité intrinsèque d'un avocat (*).
- soit, là comme ailleurs, le critère du moins-disant se retrouve encore trop souvent

Parmi les critères, on voit fréquemment que celui qui sera déterminant est le prix. Réduire fortement le montant de mes honoraires pour décrocher un marché ne m'intéresse pas. D'autant que, bien souvent, seul l'avocat s'engage : son prix sera gravé dans le marbre. L'expression du besoin est souvent très générale, sans guère de précisions quantitatives sur le travail qui sera à effectuer. Alors que la clientèle collectivités publiques est une clientèle exigeante, qui demande à juste raison une disponibilité quasi-permanente. Dans ces conditions, il est donc très difficile d'évaluer précisément la charge de travail afin de déterminer une juste rémunération, C'est encore pire quand il s'agit d'un marché à bons de commande sans engagement.

On voit néanmoins des dossiers pour lesquels une réflexion sur le besoin a été menée. Mais c'est plus vrai pour les marchés relatifs aux contentieux. En revanche, il faut déplorer le fait qu'il n'y a jamais de négociation. Alors que ce devrait être systématique en la matière ».

achatpublic.info : Comment procédez-vous pour mentionner vos références ?

Daniel Guilmain : « Conformément aux règles déontologiques de la profession, qui impose le secret de relations entre l'avocat et son client, et à l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 mars 2005, Communauté urbaine de Lyon, mes références sont anonymes, puisque c'est obligatoire qu'elles le soient. Elles indiquent la nature et l'objet de la prestation effectuée, ainsi que la nature du client (s'il s'agit d'une commune, d'un EPCI, d'un établissement hospitalier, d'une personne individuelle ou d'une entreprise…..) »

achatpublic.info : Vous ne trouvez pas que c'est assez difficile de juger de la compétence d'un avocat dans le cadre d'un marché public ?

Daniel Guilmain : « C'est effectivement très difficile. D'autant plus que l'essentiel de ce que fournira le candidat est bien souvent déclaratif. On peut quand même tenter de l'approcher en multipliant les éléments qui, combinés entre eux, peuvent laisser penser à une réelle compétence en la matière. En demandant, par exemple, de préciser si le candidat a une mention de spécialisation qui correspond à l'objet du marché. C'est sans doute un plus d'en avoir une, mais son défaut ne peut pas être éliminatoire. Car un avocat peut être très compétent dans telle matière, sans avoir la mention de spécialisation correspondante pour autant. De même, si le candidat publie en la matière. Mais, là aussi, ce ne peut pas être éliminatoire, car on peut être très bon sans jamais rien publier. Ou encore, en demandant, dans le domaine du contentieux, plusieurs exemples de requêtes ou de mémoires rendus anonymes, en demande comme en défense. Il y a peu de risques qu'un avocat s'amuse à en fabriquer pour les besoins de la cause.

L'exemple des notes de méthodologie me parait une bonne approche. Et puis, ne pas hésiter à rencontrer les candidats avant de choisir pour négocier. Au moins, ça permettra d'en savoir plus qu'un dossier simplement écrit, dans lequel la part de baratin peut être plus ou moins importante. Comme nous sommes en procédure adaptée, ce devrait être la règle. Mais ça n'arrive jamais. Choisir un partenaire, parfois pour plusieurs années, sans l'avoir préalablement vu et sans avoir discuté de sa proposition, me parait une méthode peu efficace ».

achatpublic.info : Pour ce type de prestations, les personnes publiques envisagent-elle un avis de publicité ? Et sur quels supports généralement ? Est-ce suffisant ?

Daniel Guilmain : « Les AAPC sont fréquents, surtout dans la presse locale et sur les sites spécialisés en marchés publics. En revanche, il est curieux que les revues spécialisées en droit public n'aient pas ouvert une rubrique « annonces de MP ». Par ailleurs, il n'est pas exceptionnel de recevoir un dossier consultation directement à son cabinet, notamment pour des affaires d'un montant financier modeste. Si l'avocat veut bien se donner la peine de consulter les supports adéquats, ces modalités de publicité me paraissent suffisantes. D'ailleurs, ce sont les mêmes supports que pour les autres prestations de services ».

achatpublic.info : Il semblerait que certains acheteurs se retranchent derrière les dispositions de l'article 28 pour recourir à leur avocat fétiche en cas de contentieux et notamment en cas de référé. Qu'en pensez-vous ? Est-ce légal à votre sens?

Daniel Guilmain : « L'exception tirée des circonstances me parait périlleuse. En assistance et conseil, aucune circonstance ne me parait pouvoir justifier une absence totale de concurrence. En contentieux, il est vrai que mener une concurrence préalable après réception d'une requête au fond adressée par le Greffe peut paraître incompatible. Encore que le délai de réponse indiqué à la notification de la requête est indicatif et que mener une concurrence en 1 ou 2 mois en procédure adaptée est tout à fait faisable. La collectivité peut d'ailleurs très bien informer le Tribunal que le mémoire en défense sera produit après le choix d'un avocat. Cela ne posera aucun problème. Si le dossier de consultation est spécifiquement monté pour une affaire, ce peut être rapidement et simplement fait. Pour les référés, et notamment, les référés précontractuels ou les déférés préfectoraux, les délais sont tels que ce n'est pas sérieusement possible de faire une mise en concurrence digne de ce nom. Mais un référé coûte rarement + de 4000 € HT….D'une façon générale, avec 4000 € HT, on peut satisfaire pas mal de besoins ponctuels en contentieux. Et c'est parfaitement autorisé par le Code.

Certaines collectivités contournent la difficulté par une assurance de protection juridique, en principe souscrite après mise en concurrence, à qui elles demandent de référencer leur avocat fétiche, pour reprendre votre expression ».

achatpublic.info : Les dispositions du code en matière de prestations juridiques sont-elles satisfaisantes ? Faudrait-il les améliorer, et si oui comment ? Sont-elles conformes au droit européen ?

Daniel Guilmain : « Le CMP ne s'intéresse pas plus aux prestations juridiques qu'aux autres prestations intellectuelles. Sauf pour ce qui concerne la procédure de passation, qui, somme toute, n'est pas exagérément contraignante. A mon sens, le vrai problème n'est pas celui du Code. Sauf à refuser par principe la concurrence pour les avocats. Ce qui me parait un combat perdu d'avance. La principale difficulté provient des cahiers des charges et de l'expression des besoins. C'est plus vrai en matière d'assistance juridique qu'en matière de contentieux. S'il y a quelque chose à améliorer, c'est bien sur ce terrain-là. Finalement, la profession est assez peu connue des collectivités. Ses contraintes, ses méthodes de travail, ses particularités, ses règles déontologiques sont assez largement ignorées. A nouveau, j'insiste sur la nécessité d'une phase de négociation. Choisir un avocat à travers une procédure qui s'inspire directement de l'appel d'offres n'est certainement pas la meilleure façon d'acheter une prestation intellectuelle. Quant au droit européen, il est vrai que le droit interne est plus exigeant que la directive « marchés », qui ne soumet les marchés de prestations juridiques, comme d'autres, qu'au seul respect des normes (si elles existent, ce qui n'et pas le cas en matière juridique) et à l'envoi d'un avis d'attribution. Pour autant, comme le droit interne exige une plus grande transparence, je ne crois pas à une réaction négative de la part de la Commission. Le droit interne peut toujours être plus contraignant que le droit européen, du moment que l'objectif de la directive est respecté. Ce qui me parait le cas en l'espèce ».

* "Un exemple récent : pour un marché d'assistance et de conseil d'un montant estimatif de 25 000 € environ, il était demandé, pour l'établissement de l'offre, en sus du prix, la rédaction d'une note d'une dizaine de pages sur une question relativement complexe faisant intervenir à la fois le droit administratif et le droit de la concurrence. Tout avocat un tant soit peu organisé et au fait du sujet, sachant manier les sources, est parfaitement capable de rédiger un papier faisant le point de la doctrine et de la jurisprudence pertinentes. Mais, au cas particulier, le pouvoir adjudicateur a lui-même fait l'objet d'un arrêt de CAA à ce sujet et qui répond déjà largement à la question qu'il semble se poser. Et cette question paraissait en outre assez éloignée des sujets juridiques que la personne publique énonçait à son cahier des charges".