Le dialogue compétitif continue de faire peur aux entreprises

  • 03/09/2007

Réformé en 2006, le dialogue compétitif ne fait pas encore l'unanimité chez les fournisseurs. La crainte du cherry picking n'a pas disparu. Le manque d'organisation des personnes publiques, les calendriers mal maîtrisés, et l'indemnisation insuffisante sont aussi des motifs de griefs.

Malgré les modifications apportées par le Code 2006 (lire notre article) et de la négociation en tunnel ou en tuyaux d'orgue réputée rendre étanche les échanges, les industriels demeurent circonspects vis-à-vis du dialogue compétitif. Une appréhension qui a poussé l'Institut de la gestion déléguée à concevoir une charte en dix commandements dévoilée en janvier dernier (1) et le MEDEF à rédiger un guide pour un bon usage de l'outil rendu public début juillet (2). Que craignent exactement les entreprises ? Avant toute chose de voir leurs bonnes idées s'envoler. La procédure, même remaniée, n'inspire toujours pas confiance. A peine le thème du dialogue compétitif est il abordé que le cherry picking, arrive sur toutes les lèvres. « Dès que l'on parle, on livre le secret de fabrication, estime l'avocat Olivier Debouzy, en outre il faudra que l'entreprise apporte la preuve que c'est l'administration qui a discrètement soufflé l'idée au concurrent. D'autant qu'on ne peut pas tout protéger et breveter.» « La tentation est grande : comment ne pas s'inspirer des idées énoncées ? Ce n'est pas facile de résister », admet Pierre Siquier, président de l'agence Corporate Ligaris, qui a emporté le dialogue relatif à la communication du dossier médical personnalisé. « Il n'y a pas de culte du secret des affaires dans le secteur public, renchérit Joël Fleury, directeur adjoint d'Eiffage concessions qui intervenait lors du colloque du MEDEF le 2 juillet dernier, on répète facilement ce qu'on a entendu ». Du coup, si le « tunnel » est poreux, les échanges risquent d'être limités au strict nécessaire. « La personne publique recevra les vraies offres à la dernière minute. On laissera percoler des informations destinées à envoyer les autres candidats sur de fausses pistes », prévient Joël Fleury.

Les idées au compte-gouttes

« En raison de la peur du pillage, on donne les idées au compte-gouttes », assure Michel Estève, directeur délégué de la société Elyo. S'il ne s'agit pas sombrer dans la paranoïa, le pouvoir adjudicateur a donc tout intérêt à rassurer les candidats. D'abord en définissant ce qui sera frappé du sceau de la confidentialité. « Pour éviter de tomber dans le tout confidentiel, le mieux est de demander aux entreprises de définir par écrit ce qu'elles considèrent comme relevant du secret des affaires », affirme Xavier Gandiol, sous-directeur achats/finances à l'établissement central de soutien de la DGA. Un système choisi par la Défense avec le projet Pitagore (lire notre article). Me Debouzy plaide pour une plus grande responsabilisation des acteurs, avec la signature d'une clause qui ne sera crédible que « si l'on sanctionné pénalement et à titre individuel. » Deuxième grand reproche : une organisation de personne publique inadaptée à la procédure souvent longue et onéreuse pour l'entreprise. Conséquence de quoi, les discussions traînent au grand dam des candidats. Avec à la clef une démotivation de leurs équipes et une baisse de réactivité lorsqu'on ne distingue plus la fin du « tunnel ». « L'administration ne sait pas s'organiser en fonction d'une logique de projet. De plus, le temps n'a pas valeur car l'Etat est éternel », souligne l'avocat qui préconise un cadre calendaire bien précis, la constitution d'une équipe dédiée et la nomination d'un chef de projet qui aura autorité durant le dialogue.

Des primes insuffisantes ?

Troisième grief : les entreprises sont souvent confrontées au mal du besoin mal ficelé, instable, et toujours exprimé sous forme d'une solution, plutôt que d'un résultat que l'on veut obtenir. Les acheteurs battent leur coulpe. «Il faut sortir de la logique d'appel d'offres et de CCTP C'est un raisonnement différent, un changement de culture des techniques et des achats. On raisonne encore trop en solution. Il ne faut pas évoquer les solutions avec les candidats, mais les contraintes », affirme Xavier Gandiol. Une opinion partagée par Jean-Paul Jacquet, sous-directeur des achats au service des moyens généraux de la Défense, invité lui aussi au colloque du Medef : « le dialogue compétitif est un faux ami, qui implique un changement de mentalité. Il faut savoir se laisser déstabiliser, désarçonner par les propositions des entreprises, laisser les candidats exprimer leur créativité. L'acheteur doit rester humble, savoir s'adapter. Et surtout transformer l'obligation de moyens en obligation de résultats. » Autre doléance majeure : le décalage entre les frais consentis par l'industriel et les primes alloués aux « perdants ». Pour Me Debouzy, l'Etat n'est pas prêt à payer le prix du marché. « L'administration française considère que c'est un tel honneur de travailler pour elle. » Un jugement pondéré par Xavier Gandiol, partisan de l'indemnisation : « Comment peut-on rendre un dialogue vraiment interactif sans défrayer un minimum les entreprises ? On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. L'administration doit être capable de dire : je suis prêt à mettre tant d'euros pour tous ceux qui travailleront. C'est pourquoi le dialogue doit être utilisé avec parcimonie. Il faut prendre le temps de réfléchir, et de voir si l'investissement est possible.»

Reste à trouver une grille adéquate. Sur quelle base effectuer le calcul ? Le MEDEF défend le principe d'un montant de 1% du montant du coût estimé de la valeur du contrat en moyenne par concurrent évincé. Une indemnité progressive dans le cas où des candidats auraient été éliminés avant la remise des offres finales. La ville de Rouen a par exemple distribué 50 000 euros aux candidats malheureux à l'occasion de son contrat de partenariat relatif à l'éclairage urbain. Une prime que d'aucuns ont jugé dérisoire par rapport au montant de l'opération (100 millions d'euros), à la durée du dialogue, aux frais générés (évalués à un million par entreprise). Une question se pose : la prime peut-elle de toute façon être à la hauteur de l'investissement ? Pour Daniel Chasles, DGS de Rouen, l'argent n'est pas tout. « Les règles du jeu sont connues dès le départ. Et il faut penser que le dialogue compétitif n'est pas un fusil à un coup. Ce ne sont pas des dépenses totalement à fonds perdus. L'expérience accumulée resservira aux entreprises. »

(1) Les dix commandements du dialogue compétitif www.achatpublic.com/news/2007/01/3/AchatPublicBreveALaUne.2007-01-19.2659/view
(2) Le tour du dialogue compétitif en 21 étapes www.achatpublic.com/news/2007/07/2/AchatPublicBreveALaUne.2007-07-04.2617/view

Pour télécharger le guide du MEDEF :

www.achatpublic.com/accueil/telechargement/PJ_JP/GUIDE_DU_DIALOGUE_COMPETITIF.pdf

Et ses annexes :
www.achatpublic.com/accueil/telechargement/PJ_JP/Guide_DC_Annexes.pdf