Un grain de sable dans la passerelle précontractuel/contractuel

  • 28/09/2011
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D’un côté, un requérant qui ne notifie pas à la personne publique sa requête de référé précontractuel dès son dépôt au greffe du TA. De l’autre, un pouvoir adjudicateur qui signe le marché, parce qu’il n’avait pas été informé de l’existence du recours. Si l’action de l’administration rend sans objet la voie du précontractuel, l’inertie du requérant lui ferme la porte du contractuel. C’est le sens des conclusions du rapporteur public, Bertrand Da Costa, dans une affaire actuellement en délibéré au Conseil d’Etat.

L’affaire opposant la commune de Maizières-les-Metz à la société SDI extraction devrait permettre au Conseil d’Etat d’aller plus loin sur la question de l’articulation entre référé précontractuel et référé contractuel. Informée le 28 avril 2011 du rejet de son offre dans le cadre d’un marché de nettoyage des réseaux de soufflage de VMC et de dégraissage des hottes et ventilations de certains bâtiments de la ville, la société SDI extraction a saisi, le 6 mai, le juge du référé précontractuel strasbourgeois. Dans son mémoire en défense, la personne publique a révélé que le marché a été signé le 10 mai. Si la requérante a perdu la bataille précontractuelle, elle n’a pourtant pas perdu la guerre. Conformément à la jurisprudence France Agrimer (1), la société a dans son mémoire en réplique saisi le juge du référé contractuel sur le fondement de l’article L.551-13 du code de justice administratif. Estimant que les conclusions présentées sur le fondement de l’article L.551-1 du code de justice administrative sont devenues sans objet du fait de la signature du contrat, le magistrat a fait droit à la demande d’annulation de la procédure sur le terrain du référé contractuel au motif que « la personne publique a commune une erreur manifeste d’appréciation en écartant l’offre de la société au seul motif qu’elle paraissait anormalement basse » (2). La commune a saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation. Dans ses conclusions, le rapporteur public, Bertrand Da Costa, a estimé que si la présente affaire se rapprochait de l’affaire France Agrimer, en raison de l’information de la signature du marché dans le mémoire en défense, elle s’en éloignait également. « La société requérante n’a pas pris acte de la signature du marché et a continué de lutter sur le terrain du référé précontractuel en se fondant sur un moyen qui était voué à l’échec. Elle considérait que la signature devait être assimilée à un acte inexistant. La signature prive le juge de l’article L.551-1 du CJA de son office, il n’y a donc plus lieu de statuer sur ce fondement », explique-t-il.

Notifier le référé précontractuel au pouvoir adjudicateur

La commune contestait la recevabilité du référé contractuel. Les conditions de recevabilité du référé contractuel sont définies à l’article L.551-14 du CJA. Cette voie de recours est ouverte lorsque la personne publique n’a pas respecté la suspension prévue à l’article L.551-4 du même code (3). « La collectivité, en signant le contrat, alors qu’un référé précontractuel a été introduit, méconnaît l’article L.551-4 du CJA. Cependant, le tribunal administratif ne l’a avertie de l’existence du recours que le 10 mai et le requérant ne lui a pas notifié le référé, explique le rapporteur public. Ce dispositif, prévu dans l’intérêt du requérant, n’est pas prescrit à peine d’irrecevabilité du référé précontractuel. La notification vise à palier la lenteur de la transmission administrative. Dès qu’elle est informée d’un référé, la personne publique ne doit plus signer, sinon elle joue gros. Les articles L.551-4 et L.551-9 du CJA, la suspension de la signature court à compter de la saisine du TA et non quand le pouvoir adjudicateur est informé de la saisine du juge. Mais la signature après la saisine du tribunal ouvre-t-elle également la voie du contractuel si la collectivité est tenue dans l’ignorance de cette signature ? » s’interroge Bertrand Da Costa. Le concurrent ayant fait usage du référé précontractuel, ne peut plus faire de référé contractuel quand les dispositions de l’article L.551-4 du CJA ont été respectées. Toutefois, cela ne joue pas quand la signature est intervenue avant que le juge du référé précontractuel ne statue. « La collectivité ne méconnaît la suspension qu’à partir du moment où elle a été informée du référé précontractuel. Si elle signe sans savoir qu’il y a un recours, on peut considérer que l’article L.551-4 du CJA est respecté. Cette approche est justifiée, l’auteur d’un recours doit faire preuve de diligence en informant le pouvoir adjudicateur », développe le rapporteur public. Peut-on sanctionner une collectivité pour méconnaissance du délai de suspension, alors qu’elle n’a commis aucune faute ? « Le candidat évincé qui ne notifie pas doit en supporter les conséquences éventuelles. L’auteur d’un référé peut par une notification même distincte geler la signature », souligne Bertrand Da Costa. Ce dernier considère qu’en admettant le référé contractuel, le juge a commis une erreur de droit. Le rapporteur public propose donc au Conseil d’Etat d’annuler l’ordonnance. La haute juridiction se prononcera très prochainement.

(1) Un référé précontractuel transformé en référé contractuel

(2) TA Strasbourg, 1er juin 2011, société SDI extraction, 1102214

(3)article L.551-4 du CJA : « Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle. »