Clauses sociales dans les marchés publics : les facilitateurs face à l'environnement ?

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"J'essaie de ne pas vivre en contradiction avec les idées que je ne défends pas"
Pierre Desproges


Le Plan national des achats durables (PNAD) se déploie en deux volets, pour une commande publique environnementale et sociale. Lorsque la rédaction d’achatpublic.info invite Thomas Lesueur (revoir "achatpublic invite… Thomas Lesueur"), elle pose la question sans ambages : le PNAD n’est-il pas déséquilibré ? Ne fait-il pas la part belle à l’environnemental, en laissant un peu de côté le social ? « Le social n’est-il pas le parent pauvre du PNAD ? » avions-nous osé...

Que nenni ! « C’est une fausse impression, avait répondu, avec bonhomie mais vigueur, le Commissaire général au développement durable au sein de ministère de la Transition écologique ; achat social et achat environnemental obéissent à des cadres et des exigences différentes. Les considérations sociales nécessitent plus d’appui, et ne sont peut-être pas adaptées à l’ensemble des achats ».
Il explique alors qu’il s’agit pour le Gouvernement de renforcer l’accompagnement, à travers les facilitateurs de clauses sociales. « Car une clause sociale, cela se travaille avec des acteurs sur le terrain, avec des entreprises d’insertion ». Autrement dit, alors que la clause environnementale est plus "ponctuelle", en s’intégrant dans les différents phases de l’achat, la clause sociale relève d'un travail de fond, et sur le long terme. C’est donc une question de tempo inhérent à leur nature qui justifie le régime de contraintes et d'objectifs différent pour ces deux volets "durables" de la nouvelle commande publique.
Oui, mais le tempo s’accélère.
 

Tempo accéléré

D’abord, le juge financier s’approprie déjà le volet social de l’achat responsable. La CRC Île-de-France, dans son rapport d’observations "Commune de Livry-Gargan" invite la commune à renforcer ses exigences en matière sociale et environnementale en passant aussi des marchés réservés aux entreprises du champ de l’économie sociale et solidaire (lire "La politique achat en matière sociale et environnementale scrutée par la CRC IDF")

Ensuite, les acheteurs publics (et non des moindres !) se lancent dans l’achat social. L’édition 2022 des Trophées de la commande publique, organisés par achatpublic.com en partenariat avec le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires récompense, entre autres, le ministère de la Justice, lequel, dans le Nord, a passé un marché pour mettre en place une boulangerie à l’intérieur de la maison d’arrêt de Douai (relire "Trophées de la commande publique : les lauréats 2022 ? Volontaristes, innovants et pragmatiques !"). Ce marché de services a pour priorité l’insertion par le travail. Avec, d’un côté la formation au métier de boulanger et la délivrance d’une certification professionnelle dans un secteur qui recrute ; de l’autre, une mise en situation réelle de production de pain pour plus de 1000 détenus chaque jour, pour trois établissements pénitentiaires.

Si l’achat social s’ouvre au carcéral, c’est donc que son élargissement tous azimuts est lancé ! Un grand ministère qui joue la carte sociale, voilà qui pourrait agréablement surprendre Lucie Becdelièvre déléguée générale de l’association Alliance Villes Emploi. Elle regrettait récemment dans nos colonnes que, « c'est souvent à l’initiative des collectivités que ces clauses sociales sont intégrées aux appels d’offres (...) » (relire "Une journée avec...Lucie Becdelièvre : « aller plus loin en matière de clauses sociales»").
La Direction des affaires juridiques de Bercy est quant à elle à jour sur la question (lire "Publication du nouveau guide de la DAJ sur les aspects sociaux de la commande publique" et relire "Répondre aux enjeux sociaux par la commande publique : la DAJ annonce la mise à jour de son guide").
Enfin, l’Etat donne l’impulsion par un appel à projets (relire "Un appel à projets pour faire décoller les clauses sociales dans les marchés de l’Etat").
 

Une impulsion, mais des freins... environnementaux ?

C’est devenu un leitmotiv : la commande publique durable repose d’abord sur une impulsion politique (lire "Les élus et la commande publique (1/4) : à chacun son rôle !"). L’achat "social" devrait largement bénéficier de l’impulsion des "politiques", car il est liée aussi à l’achat local, dans sa perception économique : les élus associent d’abord l’achat local aux perspectives de création d’emploi et aux dynamiques économiques.

C'est donc aussi une surprise, voire un risque : le développement de la clause sociale pourrait être freiné par l’opposition environnementale. La lecture de la presse quotidienne régionale, ou des journaux "grand public" sont émaillés ces jours-ci de tensions entre, d’un coté des entrepreneurs qui veulent relocaliser, ici, une fabrique de brioches "made in France" ; là, une extension de porcherie pour contrer les importations chinoises, aux défenseurs du cadre de vie.
L’environnement contre le social ? Ce sera sans doute une tâche imprévue des facilitateurs de clause sociale, dont Thomas Lesueur souligne le rôle fondamental dans la mise en œuvre du PNAD pour, aux côtés des acheteurs publics, gérer cette nouvelle contradiction.
 

Un métier à missions multiples

Cette semaine, nous nous penchons à nouveau (relire "La mission interinstitutionnelle Clause Sociale 34, courroie de transmission des clauses sociales dans l'Hérault") sur ce métier émergent. Alors que pourtant il y a quelques années, on ne pariait guère sur son devenir (relire "Facilitateurs en péril, clauses sociales en danger ?")....

Une nouvelle enquête très serrée (lire "Le facilitateur de clauses sociales, un faiseur de rencontres"), de laquelle il ressort à nouveau une forme de contradiction : si le métier de facilitateur semble devenu incontournable dans la mise en œuvre des clauses sociales, ses contours sont encore flous : les formations, le coût, les financements… En revanche, les enjeux du métier sont connus : « C’est un poste […] qui assure l’interface entre les entreprises, les SIAE, les acheteurs publics et les prescripteurs ». Il « essaye de faire converger les acteurs économiques, sociaux », nous confirme un facilitateur.

L’achat social, c’est donc un pari difficile qui ne doit, et ne peut, être perdu.