CE : partage de responsabilité entre le maître d’oeuvre et le maître d’ouvrage

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Le manquement du maître d’œuvre à son devoir de conseil lors de la réception des travaux peut engager sa responsabilité contractuelle. La survenance de désordres de nature structurelle postérieurement à leur réception peut-elle les exonérer d’une partie de leur responsabilité ?

En 2003, la communauté d’agglomération (CA) de Montpellier engage des travaux pour la construction d’un complexe sportif destiné aux compétitions de rugby. La réception du « terrain d’honneur » est prononcée sans réserves, en juillet 2007. Dès le mois d’octobre, des désordres apparaissent. La CA saisit le tribunal administratif d’une demande indemnitaire. Par un jugement du 4 avril 2014, le TA condamne les maîtres d’œuvre à payer près de 500.000 euros à la CA en réparation des désordres affectant la pelouse du stade et le système de drainage. En appel, la cour administrative de Marseille estime que la responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre est engagée à l'égard du maître de l'ouvrage pour manquements à leur devoir de conseil du maître de l'ouvrage au moment de la réception des travaux. En revanche, elle diminue le montant de la condamnation. Selon elle, des manquements ayant contribué à l'apparition des défauts constatés sur la pelouse du terrain de rugby pouvaient être imputés au maître d'ouvrage. Par une décision rendue le 19 avril 2017, le CE annule l’arrêt et renvoie l’affaire à Marseille.

Le devoir de conseil du maître d’oeuvre

Dans son arrêt, la CAA de Marseille rappelle que la réception des travaux ne fait pas obstacle à ce que « la responsabilité contractuelle des maîtres d’oeuvre soit recherchée à raison des manquements à leur obligation de conseil auprès du maître de l’ouvrage au moment de la réception des travaux », c’est-à-dire lorsqu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, de sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves.

Peu importe que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d’oeuvre en avait eu connaissance en cours de chantier.

Et ce peu importe que « les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d’oeuvre en avait eu connaissance en cours de chantier. » Le CE confirme, en l’espèce, le manquement au devoir de conseil. Dans sa décision, il relève que « les défauts affectant la pelouse du stade étaient dus, d'une part, à l'insuffisante perméabilité des matériaux composant le substrat végétal du terrain et, d'autre part, aux nombreux dysfonctionnements du système de drainage, et que les maîtres d'oeuvre n'avaient pas alerté le maître d'ouvrage sur ces vices lors de la réception des travaux. »

L’origine des désordres

Pour le CE, la cour a commis une erreur de droit. Il considère que les désordres, liés à l'insuffisante perméabilité des matériaux composant le substrat végétal du terrain, sont de nature structurelle. « La CAA a entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant qu'était de nature à exonérer ces constructeurs d'une partie de leur responsabilité la circonstance que les conditions d'utilisation du terrain par le maître d'ouvrage aient pu contribuer à la manifestation des défauts constatés sur la pelouse. » De plus, la juridiction marseillaise a exonéré les constructeurs d’une partie de leur responsabilité en raison des manquements commis par le maître d’ouvrage. Ces manquements reposent, pour elle, sur un arrosage excessif et sur une utilisation trop intensive du terrain, en août 2007, par l’équipe de rugby d’Australie. Le maître d’ouvrage soutient que « les conditions d’arrosage étaient conformes aux prescriptions techniques portant sur l'utilisation de l'ouvrage qui ont été élaborées tant par l'entrepreneur principal sous la forme d'un carnet d'entretien que par les maîtres d'oeuvre dans le cahier des clauses techniques particulières. » « L'utilisation, même intensive, du terrain par des joueurs professionnels de rugby était conforme à la destination normale de cet ouvrage », relève le CE. Dès lors, « la cour administrative d'appel de Marseille a inexactement qualifié ces faits en jugeant qu'ils étaient constitutifs d'une faute du maître de l'ouvrage. »