Vélib' : JC Decaux perd son contentieux

  • 05/05/2017
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La PME Smoove sort gagnante de la bataille juridique livrée contre JC Decaux pour remporter le nouveau marché Vélib. Par une ordonnance du 4 mai 2017, les trois juges des référés du tribunal administratif de Paris ont rejeté la requête du géant du mobilier urbain demandant l’annulation de la procédure ayant abouti à l’attribution du marché litigieux à son concurrent. Le litige va se poursuivre devant le Conseil d'Etat.

Fin du suspense pour le contentieux opposant la société Smoove à JC Decaux, concernant l’attribution du nouveau marché Vélib (un des plus grands réseaux de vélos en libre-service du monde avec 300 000 abonnés annuels, 18 000 vélos, et 1 200 stations), d'une durée de 15 ans, qui entrera en service à partir du 1er janvier 2018.  Les juges des référés du tribunal administratif de Paris, exceptionnellement réunis en formation collégiale pour cette affaire compte tenu de son importance, ont donné raison à la PME de l’Hérault contre le géant de la publicité et du mobilier urbain. La question de la reprise du personnel et la violation du principe d’impartialité étaient au cœur du litige. Mais ces deux principaux moyens n’ont pas convaincu les trois juges du TA de Paris de faire annuler la procédure.

La reprise des salariés non obligatoire au stade de la consultation

La société JCDecaux (groupé avec la RATP et à la SNCF pour ce marché) reprochait au syndicat Autolib' et Vélib' Métropole d’avoir choisi une offre qui n’intègre pas la reprise du personnel dédié au service Vélib. Invoquant l’article L. 1224-1 du code du travail, le candidat malheureux estimait, en effet, que cette reprise est obligatoire. Selon le requérant, la société Cyclocity, qui emploie 315 agents dont les deux tiers assurent l’entretien et la maintenance du service de vélos en libre-service, est une entité économique autonome, conservant son identité et dont l’activité est poursuivie et reprise par un autre employeur, ce qui la range dans les cas de transfert prévus à l’article L. 1224-1. Les juges des référés ont écarté cet argument en se fondant sur deux considérations : la loi impose à l’attributaire du marché de procéder à la reprise des salariés, si les conditions sont réunies à la date du transfert de l’activité.

La loi n’impose pas de prévoir expressément dans les documents de la consultation la reprise des salariés

 En revanche, la loi n’impose pas de prévoir expressément dans les documents de la consultation la reprise des salariés en cause, ce qui était le cas du contentieux en question : « Il ne résulte ni des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail, ni d’aucune disposition légale ou réglementaire, que le pouvoir adjudicateur aurait dû se prononcer sur l’applicabilité de cet article au marché en cause et prévoir expressément dans les documents de la consultation la reprise des salariés, laquelle constitue, si les conditions sont réunies à la date du transfert de l’activité, une obligation légale pour le nouvel attributaire, dont ce dernier ne saurait, en tout état de cause, s’affranchir du fait du silence du contrat sur ce point »,  énoncent les trois juges.

La non prise en compte de la reprise du personnel ne sous-évalue pas l'offre

Certes, l’offre du groupement Smoovengo  (le mandataire Smoove est associé aux sociétés Marfina SL, Indigo Infra S.A. et Mobivia Groupe) n’intégrait pas le coût du transfert des agents, actuellement employés par Cyclocity. Pour les juges, cela n’implique toutefois pas qu'il méconnaîtrait l’obligation légale de reprise. En effet, aucune règle n’interdit que les salariés de Cyclocity soient, après leur éventuelle reprise par les entreprises composant le groupement Smoovengo, affectés à d’autres tâches au sein de ces sociétés, dans le respect de leurs contrats. S’agissant du montant de l’offre de Smoovengo, qui aurait été, selon JCDecaux, sous-évaluée du fait qu’elle ne prend pas en compte la reprise du personnel, le TA reconnaît que cette reprise, si elle s’applique, constitue bien un élément essentiel du marché, « dont la connaissance peut permettre aux candidats d’apprécier les charges du cocontractant et d’élaborer utilement une offre. »

Le prix de l'offre ne doit pas nécessairement assurer la couverture intégrale de la reprise du personnel

Pour autant, les magistrats considèrent que le prix de cette offre « ne doit pas nécessairement assurer la couverture intégrale de ce coût, compte tenu des possibilités pour l’entreprise lauréate de le compenser, notamment par le redéploiement des effectifs en son sein ou, si l’exécution de ce marché n’assure pas un emploi à l’ensemble des salariés concernés, de la possibilité de leur donner d’autres attributions et donc de n’imputer, pour le calcul du prix de l’offre, qu’un coût salarial correspondant aux heures effectives de travail requises par la seule exécution du marché. »

Pas de violation du principe d'impartialité

La violation du principe d'impartialité, deuxième moyen développé par JC Decaux, tenait au fait que Nicolas Mercat, le frère du président de la société Smoove (Laurent Mercat,) était l’actionnaire et le consultant d'Indigo, une agence qui a participé à la rédaction des documents définissant les prestations attendues des candidats. Après avoir rappelé que la méconnaissance de ce principe général du droit, « est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence », le TA a  rejeté ce moyen en deux temps.

Le président de Smoove a quitté la société Indigo en mars 2008

D'une part, l'instruction a permis de constater que le président de Smoove a quitté la société Indigo en mars 2008, date à laquelle il a cédé l’ensemble de ses actions, « soit plus de sept ans avant l’attribution du marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage à un groupement dont la société Indigo était l’un des trois membres, et plus de huit ans avant le début de la procédure d’attribution du marché portant sur le renouvellement de l’offre de vélos en libre-service « Vélib’ » », avancent les juges.

Le syndicat mixte Autolib’ et Vélib’ Métropole a pris ses précautions

D'autre part, ces derniers relèvent que « le syndicat mixte Autolib’ et Vélib’ Métropole a décidé de ne pas faire participer l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, à la suite de la procédure de dialogue compétitif, et notamment à l’élaboration du programme fonctionnel n° 2 et du programme fonctionnel définitif, lesquels comportaient des évolutions significatives par rapport aux programme fonctionnel n° 1 (ndlr : pour lequel la société Inddigo a participé)».

Nicolas Mercat n'a eu qu'une implication personnelle très limitée

Le TA considère donc que Nicolas Mercat n'a eu qu'une implication personnelle très limitée et qu'il n'a pas pu exercer d'influence sur l'issue de la procédure. Et ce, d'autant plus, qu'il « s’est mis en disponibilité de la société Indigo dès le 4 mars 2016, pour une période d’une année, et qu’il a dès cette date entamé un voyage le menant de la France jusqu’au Japon. ». L'égalité entre les candidats n'a donc pas été rompue. Il n'existe pas, non plus, pour le TA de conflit d'intérêt, le syndicat mixte ayant mis en œuvre toute mesure évitant de laisser craindre un doute légitime, notamment en écartant Nicolas Mercat de la procédure d'analyse des offres. La société Decaux a décidé de saisir le Conseil d'Etat, mais le recours sera très probablement voué à l'échec : la signature du marché rend le pourvoi sans objet.

Sandrine Dyckmans et Romain Cayrey