
Résiliation partielle : le rétablissement du contrat par le juge n’est pas d’office
Le Conseil d’Etat va-t-il ordonner le rétablissement d’une délégation à la suite de la résiliation partielle par le concédant ? L’entreprise concessionnaire demande d’étendre la jurisprudence « Béziers II » en raison du caractère préjudiciable de cette mesure. Cette affaire a permis au rapporteur public devant le Conseil d’Etat de rappeler l’office du juge en cas de modification et de résiliation unilatérale d’un contrat par l’administration, et de s’attarder à nouveau sur la portée de cet arrêt.

Droit à indemnité du cocontractant
Pour mémoire, l’administration peut mettre fin unilatéralement à une convention en absence de texte (CE, Assemblée, 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval) et ne peut s’engager à y renoncer (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat…). Olivier Henrard a entamé ses conclusions en se référant à l’arrêt Goguelat de la haute juridiction du 20 février 1868 : l’annulation de la décision de résilier un contrat administratif ne peut être a priori prononcée par le juge administratif. La portée de cet arrêt va être étendue à l’ensemble des contrats administratifs et à tous les actes d’exécution du contrat : mesures d’application – mesures de modification – mesures de résiliation. « Le juge des contestations relatives aux marchés administratifs n’a pas le pouvoir de prononcer l’annulation des mesures prises par l’administration à l’encontre de son cocontractant ; qu’il lui appartient seulement de rechercher si ces actes sont intervenus dans des conditions de nature à ouvrir au profit de celui-ci un droit à indemnité » (CE, 24 novembre 1972, 84054, ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau). L’administration doit pouvoir toujours se défaire d’un cocontractant dont elle ne veut plus à condition d’être prête à en payer le prix : telle est l’idée de ces jurisprudences.
Rétablissement antérieur uniquement en cas de résiliation irrégulière
Mais la portée de l’arrêt Goguelat a été réduite avec les décisions « Béziers I et II » qui interviennent dans un contexte où le juge administratif entreprend depuis les années 2000 une refonte des modalités contentieuses pour les parties et les tiers à l’encontre des contrats administratifs. Le rapporteur public rappelle d’abord l’existence d’une exception ancienne à ce principe pour les contrats de concession (CE, 8 février 1878, Pasquet et CE, 20 janvier 1905, Compagnie départementale des eaux et services municipaux), avant d’en venir à Béziers I. Le Conseil d’Etat a redéfini l’office du juge. Dorénavant si la mesure est irrégulière, le juge administratif peut prononcer la résiliation, l’annulation du contrat ou encore la poursuite de l’exécution après régularisation sans toutefois pouvoir annuler la décision de résiliation - sous certaines conditions - (CE, Assemblée, 28 décembre 2009). Si « la sanction d’un usage irrégulier de ce pouvoir ne doit être, en toute hypothèse, que pécuniaire, c’est en réalité reconnaître à l’administration la possibilité de se soustraire au principe de légalité », déclarait Emmanuelle Cortot-Boucher lors de l’audience de l’épisode II. Le Conseil d’Etat dans son arrêt de section du 21 mars 2011 continue sur sa lancée en élargissant l’office du juge. Dorénavant, il peut annuler la décision de résiliation irrégulière et par conséquent faire droit à la demande de reprise du cocontractant. Cette faculté est toutefois encadrée : une telle reprise ne doit pas être de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse. En revanche, les autres mesures de l’administration sont soumises à la jurisprudence Goguelat, a insisté le rapporteur public.
Pas de résiliation partielle
Pour le requérant, la jurisprudence « Béziers II » doit être étendue dans le cadre d’une résiliation partielle irrégulière en raison des conséquences financières de cet acte. Mais la cour administrative d’appel (CAA) de Paris, dans son arrêt du 28 juin 2016, tout comme le tribunal administratif de Paris dans son jugement du 19 juin 2014, répondent par la négative. Ils ne reconnaissent pas la mesure adoptée par le Centre Georges Pompidou comme une résiliation. Olivier Henrard a le même point de vue. Selon lui, il ne peut exister de résiliation partielle. Soit le contrat est résilié, soit il est modifié. Dans ce cas, « le juge saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution du contrat autre qu’une résiliation, peut seulement rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité » avance la CAA de Paris. Olivier Henrard exhume le célèbre arrêt Compagnie générale française des tramways du 11 mars 1910 en rappelant le principe de mutabilité du service public. Il rappelle également les conclusions suivantes du commissaire du gouvernement Léon Blum : « il est évident que les besoins auxquels un service public doit satisfaire, et, par suite, les nécessités de son exploitation, n’ont pas un caractère invariable ». Toutefois, la modification ne doit pas être substantielle et bouleverser l’équilibre financier du contrat. Et si la mesure est illégale, comme le prétend, en l’espèce, la société requérante, Olivier Henrard met en avant le double choix s’offrant au cocontractant : l’accepter ou demander la résiliation de la convention au juge avec une indemnisation. Attention ! Si la convention est illégale, un tiers est recevable à former devant le juge du contrat une requête pour y mettre un terme (s’il est susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision de l’administration refusant de faire droit à sa demande). Olivier Henrard mentionne ainsi la décision CE du 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (commenté dans nos colonnes par Alain Ménéménis, voir article en lien en bas de page). Cependant le rétablissement antérieur du contrat de délégation du service public n’est donc pas possible. Affaire à suivre.
Sur le même sujet


Envoyer à un collègue
Juriste commande publique (h/f)
- 16/07/2025
- CA Saint Germain Boucles de Seine
Responsable affaires juridiques et commande publique (h/f)
- 16/07/2025
- CA Saint Germain Boucles de Seine
Responsable de la commande publique (f/h)
- 01/07/2025
- Ville de La Teste de Buch
CAA Toulouse 15 juillet 2025, req. n° 23TL03072
-
Article réservé aux abonnés
- 18/07/25
- 03h07
TA Marseille 13 juin 2025 Société Provence location
-
Article réservé aux abonnés
- 18/07/25
- 07h07
CE 15 juillet 2025 Société Nouvelle Laiterie de la Montagne
-
Article réservé aux abonnés
- 17/07/25
- 11h07
Commission d’enquête sénatoriale : une révision des procédures "commande publique" pas toujours convaincante
-
Article réservé aux abonnés
- 17/07/25 06h07
- Mathieu Laugier
Les data centers de proximité, ou comment bénéficier d'un totem d'immunité face au cloud américain
-
Article réservé aux abonnés
- 15/07/25 06h07
- Johanna Granat
Comment traduire l’ambition de réemploi dans les marchés publics?
-
Article réservé aux abonnés
- 16/07/25 06h07
- Orianne Dupont
Le « moment de vérité » : le volet commande publique du discours de François Bayrou
- 16/07/25
- 08h07
Marché public : une offre incomplète n’est pas nécessairement irrégulière… juge le Conseil d’Etat
-
Article réservé aux abonnés
- 04/07/25
- 05h07