Indemnisation : le concessionnaire public ne peut consentir des libéralités

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En cas de résiliation anticipée, une autorité concédante peut-elle prévoir dans le contrat une indemnisation inférieure au montant du préjudice subi par le concessionnaire lorsque ce dernier est une personne publique. L’affaire de la concession du port de plaisance de la ville de Croisic a permis aux sages du Palais Royal d’étoffer la portée de leur décision CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan de 2011. Les juridictions du fond ont recherché l’existence d’un déséquilibre aux dépens du cocontractant pour écarter cette clause. Quant au Conseil d’Etat, il l’a exclu en se fondant sur l’interdiction faite aux personnes publique de consentir des libéralités.

« 957 096 euros » ! C’est le montant susceptible d’être versé par le département de Loire-Atlantique à son concessionnaire, la commune de Croisic, en réparation du préjudice subi, à la suite de la résiliation unilatérale de la concession du port de plaisance (CE, 25 octobre 2017, commune du Croisic, n°402921). Le dommage résulte du retour anticipé des biens, encore non amortis par la ville, à titre gratuit dans le patrimoine du département. En l’espèce, ce dernier a décidé de revoir la gestion de ses activités portuaires. A la demande des concessionnaires, par une délibération du 6 mai 2010, il a mis un terme à plusieurs contrats, à compter du 31 décembre de la même année. Il a conclu ensuite une délégation de service public unique.

Le dommage résulte du retour anticipé des biens, encore non amortis par la ville, à titre gratuit dans le patrimoine du département

Seul os : la résiliation pour motif d’intérêt général de la concession du port de plaisance du Croisic. Car la convention avait été conclue pour une durée de cinquante ans dans les années 1970 (date à laquelle l’Etat en avait la compétence, avant le transfert au département après les lois de décentralisation). Dans un courrier du 21 octobre 2011, la ville demande une compensation. Le département lui accorde un dédommagement de 45 367 euros, largement en dessous des revendications de la commune s’élevant à plus d’un million d’euros. L’affaire est portée devant le juge administratif, en première instance par le concessionnaire.

Clause contractuelle d’indemnisation possible


En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, l’autorité concédante peut toujours, pour un motif d’intérêt général, résilier un contrat de concession. Une compensation financière doit être versée au cocontractant, en contrepartie du préjudice causé résultant des dépenses engagés par celui-ci et de la privation du gain. Les modalités de l’indemnisation peuvent être prévues contractuellement. Sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment d’une personne publique, une disproportion manifeste entre l’indemnité fixée et le montant du préjudice (CE, 4 mai 2011, CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, n°334280). A défaut, la disposition est écartée. Dans cette affaire, le département s’est fondé sur l’article 45 du cahier des charges pour déterminer la somme. La réparation ne couvre que la reprise des charges d’emprunt afférentes à l’outillage et les dépenses de fonctionnement. La Loire-Atlantique exclut implicitement toute indemnité au titre des investissements réalisés par le concessionnaire sur ses fonds propres. Les juridictions du fonds ont raisonné de la façon suivante : lorsque le concessionnaire est une personne publique, il ne peut exister à son égard une disproportion manifeste entre l’indemnité fixée et le montant du préjudice (contrairement au cocontractant privé). De ce postulat, elles ont vérifié si le montant du dédommagement de 45 367 euros versé par le département n’était pas sous-évalué afin de savoir si l’article 45 devait être écarté. Le tribunal administratif de Nantes dans son jugement du 21 mai 2014 reconnaît cette démesure et répond favorablement à la demande de la commune du Croisic. Le concédant interjette appel.

Indemnisation des biens de retour non amortis


La cour administrative d’appel de Nantes, dans son arrêt du 28 juin 2016, fait référence à une condition supplémentaire : celle de l’amortissement, dégagée par la haute juridiction dans sa décision d’Assemblée du 21 décembre 2012, commune de Douai. « Lorsque la personne publique résilie la convention avant son terme normal, le délégataire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, dès lors qu’ils n’ont pu être totalement amortis ». La compensation doit correspondre à la valeur réelle résiduelle des biens en tenant compte de la dépréciation du fait notamment de l’usure.

Lorsque la personne publique résilie la convention avant son terme normal, le délégataire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, dès lors qu’ils n’ont pu être totalement amortis

Il existe deux scénarios. Lorsque l’amortissement a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à celle du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. A l’inverse, dans le cas où leur durée d’utilisation est supérieure, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Néanmoins cette compensation ne saurait excéder le montant calculé dans le premier scénario. Or la commune a premièrement fini de rembourser les emprunts contractés pour le financement des biens de la concession durant l’année de la résiliation. Deuxièmement, pour les installations qu’elle aurait financées uniquement avec ses ressources preuves, elle n’apporte aucune preuve d’un tel investissement. Faute d’établir que subsisterait une part non amortie de biens dans lesquels elle aurait investi, la commune du Croisic ne pouvait se prévaloir, pour la CAA, d’un préjudice afférent à la valeur des biens de la concession faisant retour dans le patrimoine du concédant. La juridiction n’écarte pas la disposition du cahier des charges. Elle atteste que le montant du dédommagement de 45 367 euros par le département est exact. Le concessionnaire se pourvoit alors en cassation.

Clause écartée en cas de concessionnaire de droit public


La juridiction du second degré a recherché le préjudice réellement subi par la commune, reconnaît le Conseil d’Etat « dans ce cadre, elle a estimé que l’existence d’un éventuel manque à gagner du fait de la résiliation n’était pas établie, que la commune n’avait pas vocation à récupérer le fonds de trésorerie de la concession, qu’elle ne justifiait pas avoir financé certains des biens de la concessions sur ses ressources propres et qu’à supposer que tel ait été le cas, la valeur nette comptable des biens non amortis s’élèverait à une somme de 200 039,72 euros ; qu’elle en a déduit que le montant versé par le département en application de l’article 45 du cahier des charges n’était pas manifestement disproportionné au préjudice subi par la commune ». La haute juridiction, quant à elle, colle à sa décision CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan. Lorsque le concessionnaire est un organisme de droit privé, il est possible d’insérer une clause contractuelle stipulant une absence ou une réduction de l’indemnité en cas de biens de retour non amortis. En revanche, une telle dérogation ne peut être contractualisée si les deux parties sont des personnes publiques. Le département de Loire-Atlantique, tout comme la commune de Croisic, sont soumis à l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités (CE, 17 mars 1893, Chemins de fer de l’est). Dans cette hypothèse, le juge doit vérifier si « les stipulations contractuelles permettaient d’assurer au concessionnaire l’indemnisation de la part non amortie des biens de retour et, à défaut, de les écarter » conclut la haute juridiction. L’affaire est renvoyée.