L’offre globale dans une DSP allotie se construit sur des incertitudes

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La ville de Marseille a fait le choix à la fois d’allotir sa délégation de service public de la restauration scolaire et d’autoriser les candidats à remettre une offre globale. La commune a attribué la totalité des prestations à une société ayant fait une telle proposition, alors que cette dernière n’avait pas déposé une offre distincte sur le lot B. Un contentieux s’est produit. Le litige s’est cristallisé sur la comparabilité des offres sur le lot précité.

En matière de concession, l’allotissement n’est pas fréquent. Mais laisser la liberté aux candidats de déposer une offre globale dans une procédure allotie l’est encore moins. La ville de Marseille a fait ce choix lors de la passation de sa délégation de service public relative à la restauration scolaire dans ses écoles. L’opération a été scindée en deux lots géographiques. Elior Restauration Enseignement et la Société Marseillaise de Restauration et Service (SMRS) se sont lancées dans cette aventure. Les entreprises ont déposé chacune une offre groupée. Lorsque cette option était choisie, le règlement de la consultation ne contraignait pas les opérateurs à remettre une proposition séparée. La SMRS n’a pas remis de dossier sur le lot B, contrairement à sa concurrente qui a répondu aux deux. La commune a cependant retenu l’offre globale de la SMRS regroupant les deux prestations. Un contentieux a alors éclaté devant le juge marseillais des référés précontractuels, à l’initiative de la société évincée. La principale problématique a été de savoir si l’autorité concédante était en mesure de s’assurer de la comparabilité des propositions sur le lot B afin d’être en mesure de dégager l’offre économiquement la plus avantageuse.

Le concept de l’offre globale est admis en DSP


Le montage réalisé n’est pas propre à la commune phocéenne, avance d'emblée Maître Christophe Cabanes du cabinet Cabanes-Neveu, représentant de l’attributaire dans ce litige. Il a été consacré dernièrement, rappelle l'avocat, par le Conseil d’Etat dans sa décision Compagnie méridionale de navigation (CE, 25 octobre 2017, n°403335) dans laquelle la collectivité Corse avait autorisé le dépôt « d’offres par lignes », « d’offres regroupant plusieurs lignes » ou « d’une offre globale regroupant toutes les lignes », à propos de l’exploitation de services maritimes de transport de passagers et de fret. Le tribunal administratif (TA) a attesté à son tour qu’aucune disposition de l’ordonnance du 29 janvier 2016 et de son décret d’application n’interdisait cette pratique. Toutefois, elle peut complexifier l’analyse si le pouvoir adjudicateur se trouve en présence de nombreux opérateurs, admet l’associé du cabinet Cabanes-Neveu. Néanmoins, cette ouverture présente l’avantage de permettre à l’acheteur d’évaluer le système le plus performant entre une concession allotie et une concession globale. Au passage, ce procédé n’est pas transposable en marché public. Cela serait assimilable à un détournement des règles de l’allotissement, certifie Me Nicolas Lafay.

A défaut, si un candidat omet de déposer une proposition séparée, l’administration est privée de cette comparaison

D’après Me Thierry Dal Farra (UGGC Avocats), défendeur d’Elior, l’objectif qui consiste pour la collectivité publique à se ménager le choix entre un système de conceptions alloties et une concession globale n’est atteignable qu’à la condition que chaque candidat dépose aussi un dossier par concession. « A défaut, si un candidat omet de déposer une proposition séparée pour chaque lot, la comparaison entre les deux dispositifs n’est plus possible », estime le professionnel. De ce fait, le règlement de la consultation de la procédure contestée était, selon l’avocat, irrégulier car « il n’imposait pas clairement une telle exigence ou à tout le moins a t-il été mal appliqué, puisque l’attributaire n’a pas déposé d’offre pour une des deux concessions non alloties ».

Rendre facultatif le dépôt d’offre sur un lot fragilise l’analyse


Le juge des référés a d'abord considéré qu’ « à la suite d’une question posée par la société requérante, la ville de Marseille a d’ailleurs confirmé aux candidats cette possibilité de choix ou de cumul offerte par les stipulations du règlement de la consultation, au demeurant clairement énoncées ». Ensuite, il ne s’est pas focalisé, de son côté, sur cet aspect "d’obligation" de remettre un dossier pour chaque concession. Primo, le magistrat s’est contenté des faits de l’espèce, à savoir que l’acheteur a reçu au moins une offre distincte pour chacune des délégations de service public demandées. Deuzio, il a opéré un contrôle classique (veiller au bon respect des principes d’égalité de traitement et de transparence). Les dires du TA ont été les suivants : « ces différentes possibilités offertes aux candidats ne sont pas de nature à remettre en cause la réalité de la comparabilité des offres dès lors que l’autorité délégante, ainsi qu’elle a en l’obligation, compare et note les offres lot par lot et que le respect du principe d’égalité ne s’apprécie qu’entre les candidats à un même lot ». La juridiction n’a pas retenu l’argumentation de la société requérante. Me Thierry Dal Farra déplore l’absence de raisonnement juridique. Le verdict aurait-il pu être différent si la commune n’avait pas obtenu d’offre spécifique sur un des deux lots ? Le magistrat a botté en touche à ce sujet. Dans un tel scénario, « la collectivité est certes privée de la possibilité d’apprécier ce que serait la gestion individualisée du lot B et de retenir une offre pour ce lot particulier », reconnaît Maître Christophe Cabanes. « Toutefois, la collectivité conserve la possibilité soit de retenir une offre globale, soit  d’attribuer le lot A et de déclarer infructueux pour le lot B et de relancer une consultation pour ce dernier lot. Mais au cas d’espèce, la Ville de Marseille disposait d’au moins une offre sur chacun des lots », nuance celui-ci.

La collectivité conserve la possibilité soit de retenir une offre globale, soit  d’attribuer le lot A et de déclarer infructueux pour le lot B et de relancer une consultation pour ce dernier lot.

 Son confrère du cabinet Lafay s’interroge sur la méthode d’analyse suivie par l’autorité concédante si cette dernière avait disposé uniquement d’une offre pour le lot A, d’une offre pour le lot B et d’une offre groupée. Dans cette hypothèse, les propositions n’auraient pu être comparées entre elles en raison de l'incompatibilité des périmètres. Me Nicolas Lafay conseille les autorités concédantes de contraindre les entreprises à déposer une offre séparée.