Une prestation chiffrée à zéro euro = OAB ?

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Un candidat a chiffré à zéro euro la partie à bon de commande d’un marché forfaitaire de collecte de déchets. La proposition a été considérée par l'acheteur puis par le juge du référé précontractuel comme étant une offre anormalement basse (OAB). Or en tenant compte de la globalité des offres, l'opérateur avait déposé un dossier plus onéreux par rapport à celui de l’attributaire.

Un candidat remet-il de facto une offre anormalement basse (OAB) lorsqu’il propose de ne pas facturer une des prestations demandées par l’acheteur ? Le juge du référé précontractuel dijonnais s’est emparé de cette question à l’occasion d’un contentieux. La communauté d’agglomération du Grand Sénonais a lancé un marché forfaitaire de collecte des déchets. Une partie à bon de commande était néanmoins prévue dans le cas où l’acheteur demanderait la réalisation de levées supplémentaires. L’entreprise à l'origine du recours avait chiffré cette mission hors forfait à zéro euro. Son explication était la suivante : « Les levées de bacs complémentaires sur les gros producteurs n’impliqueront pas de sortir des camions-bennes à ordure ménagères supplémentaires dès lors qu’elles seront effectuées en début ou en fin de tournée, que ces prestations n’auront pas d’impact sur les charges salariales en raison d’un lissage des heures résultant d’une modulation du temps de travail et d’un gain de temps grâce à une optimisation des circuits de collecte ». D’après l’établissement public, ces éléments ne justifiaient pas de la gratuité du service car ils ne tenaient pas compte notamment d’un allongement des plannings, de l’allongement du temps de travail des agents collecteurs, de la consommation d’essence… L’intercommunalité a donc écartée la proposition au motif qu’elle était une OAB. Elle fut suivie par le tribunal administratif (TA). La juridiction a rejeté la requête de la société évincée.

Le prix proposé ne doit pas compromettre l’exécution du marché


me_benjamin_bail.jpgIl ressort de la jurisprudence ministre de l’Intérieur c/ société Artéis cette règle, en la matière : « si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre » (CE, 29 mai 2013, req n° 366606)

« Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre »

, avance Maître Benjamin Bail du cabinet Drai Avocats, défenseur de l’entreprise requérante. A noter qu’il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire, souligne celui-ci, interdisant à un soumissionnaire de faire une offre à zéro euro pour certaines prestations prévues dans le document financier du marché. Ainsi, selon l’avocat, une telle pratique serait envisageable « sous la double réserve que le soumissionnaire ne soit pas privé d’une rémunération d’une part (TA Paris, 20 janvier 2014, n°373157), et que cette offre ne puisse pas être de nature à compromettre la bonne exécution du marché d’autre part ». Par conséquent, l’ordonnance commentée serait entachée d’une erreur de droit, affirme l’avocat du cabinet Drai, dans la mesure où le juge des référés n’a pas recherché si l’offre financière globale de la société évincée était susceptible de porter atteinte à la bonne réalisation du contrat. D’autant que la valeur de la mission hors forfait était très faible et que les charges y afférentes étaient négligeables, met en avant Me Benjamin Bail.

Un prix zéro ne couvre pas les frais liés à l’utilisation des camions


me_vincent_corneloup_0.jpgToutefois, le TA a pu reconnaître que le pli litigieux était une OAB bien que l’offre pressentie s’avérait moins chère dans la globalité car « en l’espèce, il existait cette dichotomie entre le forfait et la prestation supplémentaire », constate Me Vincent Corneloup du cabinet DSC, avocat de la communauté d’agglomération. Le verdict aurait pu être différent dans l’hypothèse où l’opérateur n’aurait pas facturé, cette fois-ci, une prestation forfaitaire minime, reconnaît l’associé. Or, dans ce litige « le débat portait sur le sous-critère relatif à la tournée supplémentaire. Il ne pouvait être dirigé sur le forfait », ajoute Me Vincent Corneloup. En effet, le coût unitaire faisait l’objet d’une notation distincte dont la pondération représentait un quart du critère prix, soit 10% de la note totale. De surcroît, le marché stipulait de son côté cette exigence : le prix devait comprendre tous les frais. Il est évident qu’une évaluation à zéro euro ne pouvait les couvrir en totalité. « Même si le candidat pouvait mettre en avant qu’il disposait de personnel supplémentaire pour justifier de l’absorption de la charge salariale, l’utilisation de camions entraine en soi et automatiquement un coût : carburant, usure des pneus… », soulève le professionnel. Pour le magistrat, l’offre n’aurait pas été sincère, contrairement à celle de l’attributaire.

« Une offre commerciale c’est une remise c’est-à-dire que c’est une réduction de la marge bénéficiaire. Elle devient une OAB lorsque le candidat ne couvre plus ses frais »

 L’heureux lauréat avait quant à lui su justifier la prise en charge de ces coûts alors que son prix semblait dérisoire (2,30 euros). Au passage, le TA n’a pas assimilé la mention du zéro à une offre incomplète, c’est-à-dire irrégulière.
La proposition de la société évincée pouvait-elle être interprétée comme un geste commercial ? L'associé de DSC répond par la négative : « Une offre commerciale c’est une remise c’est-à-dire une réduction de la marge bénéficiaire. Elle devient une OAB lorsque le candidat ne couvre plus ses frais ». Le TA aurait sanctionné dans cette affaire le risque de dumping, conclut Me Vincent Corneloup.