La théorie des biens de retour au regard des provisions et des biens inachevés

partager :

Les provisions dédiées aux gros entretiens et renouvellement et les investissements engagés par le délégataire pour des biens encore inachevés peuvent-ils être qualifiés de bien de retour ? Le Conseil d’Etat a répondu à cette problématique, au regard de la décision d’assemblée Commune de Douai, à l’occasion de deux litiges distincts.

Le sort des sommes non dépensées à la fin d’une délégation de service public (normale ou anticipée) a de nouveau été sujet à contentieux entre les parties. Les litiges, qui sont remontés jusqu’au Conseil d’Etat, ont porté sur les provisions dites GER (gros entretien et renouvellement) et les investissements engagés par le délégataire pour des biens encore inachevés. Ces fonds entraient-ils dans le périmètre des biens de retour ?

Biens nécessaires au fonctionnement du service public


Pour mémoire, la règle est la suivante depuis la décision d’assemblée Commune de Douai (CE Ass., 21 décembre 2012, n°342788) : « Dans le cadre d’une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique ».

« La circonstance qu’à l’échéance du contrat de délégation de service public le solde des provisions pour renouvellement non utilisé soit restitué par le délégataire au délégant n’est pas de nature à faire regarder ce contrat comme un marché public »

A l’aune de cette jurisprudence, la haute juridiction a ainsi déclaré dans la première affaire : « Les sommes requises pour l’exécution des travaux de renouvellement des biens nécessaires au fonctionnement du service public qui ont seulement donné lieu, à la date d’expiration du contrat, à des provisions, font également retour à la personne publique » (CE, 18 octobre 2018, Société EDT ENGIE, n°420097). Par conséquent : « Il en va de même des sommes qui auraient fait l’objet de provisions en vue de l’exécution des travaux de renouvellement pour des montants excédant ce que ceux-ci exigeaient, l’équilibre économique du contrat ne justifiant pas leur conservation par le concessionnaire », ont poursuivi les conseillers d’Etat. Au passage, ils ont précisé ce point : « la circonstance qu’à l’échéance du contrat de délégation de service public le solde des provisions pour renouvellement non utilisé soit restitué par le délégataire au délégant n’est pas de nature à faire regarder ce contrat comme un marché public ». roland_de_moustier.jpgSelon Maître Roland de Moustier du cabinet Frêche et associés, la solution n’est pas surprenante. Les sages du Palais Royal, dans un arrêt Société des pompes funèbres OGF, avaient déjà considéré que dans le silence du contrat, le solde positif du compte de "fonds de travaux" devait revenir à l’autorité délégante (CE, 23 décembre 2009, n°305478). « Dans la plupart des cas, les sommes abondant les comptes GER étaient versées par la personne publique (propriétaire de l’ouvrage) en vue de la réalisation de travaux de renouvellement », précise l’avocat. En revanche, le présent verdict selon Me Roland de Moustier laisse une certaine ambiguïté : « il ne précise pas expressément si la constitution de ces provisions doit avoir été rendue obligatoire par le contrat pour qu’elles soient qualifiées de biens de retour ».


Un bien encore inachevé par nature ne peut être indispensable


Quant aux investissements engagés par le délégataire pour des biens encore inachevés, le Conseil d’Etat n’a pas admis le pourvoi d’un syndicat mixte qui invoquait comme moyen l’erreur de droit, commise par la cour administrative d’appel (CAA) de Versailles, en ne considérant pas ces sommes comme un bien de retour (CE, 26 octobre 2018, SMCTVPE, n°s 422652 et 423140).

Même si les juges n’ont pas fait référence cette fois-ci à la décision d’assemblée Commune de Douai, par nature ces investissements ne peuvent être indispensables au fonctionnement du service public

Pour les magistrats versaillais, elles étaient insusceptibles, à ce stade, de bénéficier d’une telle qualification. Même si les juges n’ont pas fait référence cette fois-ci à la décision d’assemblée Commune de Douai, par nature ces investissements ne peuvent être indispensables au fonctionnement du service public, souligne Me Roland de Moustier. Toutefois, le rapporteur public avait invité les sages à statuer afin de clarifier cette situation. D’autant qu’à la lecture de l’arrêt de la CAA de Nantes Commune de la Trinité-sur-mer publié le 19 octobre 2018 (soit un jour après l’audience de l’affaire SMCTVPE), ce raisonnement ne coulerait pas de source. Les juges nantais ont en effet considéré que, dans le cadre d’une résiliation pour faute du concessionnaire, la commune concédante devait « être indemnisée de la valeur des biens de retour non réalisés qui devaient être affectés à l’exploitation concédée ». Ils ont ainsi affirmé : « L’entrée dans le patrimoine de la personne publique délégante des biens nécessaires au fonctionnement du service public dès leur construction ou leur acquisition implique la réalisation effective de ces biens et leur utilisation, à un moment donné de l’exécution de la concession, pour le service délégué ». La juridiction s’est-elle inscrite dans la continuité de l’arrêt de section Vallée de l’Ubaye (CE, Sect., 29 juin 2018, n°402251) en faisant une interprétation extensive de la jurisprudence Commune de Douai ? Quoi qu’il en soit, la théorie des biens de retour n’est pas encore entièrement consolidée.