Une entreprise classée 4ème peut faire annuler un marché

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Une entreprise, classée 4ème sur 8 candidats, a obtenu l’annulation d’un marché et l’indemnisation intégrale du manque à gagner résultant de son éviction d’un appel d’offres. Pour Me Nicolas Lafay, avocat au barreau de Paris, il s’agit là d’une nouvelle interprétation de la chance sérieuse d’obtenir un marché.

achatpublic.info : Quelles sont vos premières impressions à la lecture de cet arrêt de la CAA de Nantes ?
Me Lafay : « Nous sommes face à un arrêt important. Il me semble dans un premier temps que la défense n’a pas été la meilleure. Je veux dire par là que les moyens invoqués par le syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU) du Centre aquatique de Basse-Goulaine et de Saint-Sébastien-sur-Loire n’étaient pas suffisants. Alors qu’en première instance, l’entreprise requérante a invoqué une sous-évaluation de ses notes techniques et inversement pour l’attributaire, le SIVU n’a pas estimé devoir revenir sur ce fait. Il n’a demandé à la Cour que d’annuler sa condamnation à verser des dommages et intérêts, et n’a pas fait appel sur l’annulation du marché. Il a considéré en effet que le candidat classé en 4ème position était dépourvu de chance de remporter le marché, et que donc cette demande indemnitaire n’était pas fondée. Malheureusement pour la personne publique, la Cour a validé l’appréciation du TA de Nantes, sans s’attarder sur cette notation. On peut déjà tirer une première leçon de cette expérience malheureuse de la part du SIVU :  un requérant, qui plus est en appel, a toujours intérêt à multiplier les demandes. »

achatpublic.info  : Pour autant la Cour donne bien son avis sur la question de la notation qui faisait débat en première instance. Pour quelle raison ?

Me Lafay : « Oui en effet, la Cour, dans son considérant 4, revient sur cette évaluation du TA. Elle confirme le fait que l’entreprise requérante avait des chances sérieuses de remporter le marché. Mais nous sommes ici face à une situation particulière. En effet, l’entreprise requérante a été classée 1ère sur le critère prix alors qu’il n’y avait que deux critères. Par ailleurs, lorsqu’on regarde le décompte final, on s’aperçoit qu’il y a un écart infime entre l’attributaire et le requérant (ndlr : 87/100 pour le requérant, contre 89/100 et 88,2/100 pour les entreprise classée respectivement 2ème et 3ème).

L'entreprise requérante a été classée 1ère sur le critère prix alors qu’il n’y avait que deux critères

Et c’est bien la réunion de ces deux facteurs qui fait que le juge estime la chance sérieuse de remporter le marché pour l’entreprise. C’est cet aspect-là que le SIVU n’a pas anticipé dans sa requête. On peut aussi s’interroger sur le fait de savoir si le jugement aurait été différent s’il y avait eu plus de critères et pas seulement deux. Personnellement, je pense qu’il y avait des chances pour que cela soit le cas. »

achatpublic.info : Justement concernant les critères, pensez-vous qu’ils ont bien été choisis par la personne publique ? Sont-ils tous pertinents ?

Me Lafay : « Je pense de façon globale que les critères et les sous-critères étaient bien choisis. On sent qu’il y a eu un effort de clarification et de précision de la part de la personne publique. A part peut être le sous critère numéro 8 « copie de l’offre sur CD-Rom » qui, pour moi, n’est pas un critère mais plutôt une modalité de remise de l’offre. Et en ce sens il pourrait être qualifié d’irrégulier. En effet, si l’entreprise remet son offre sur CD ROM elle obtient la totalité des points, dans le cas contraire, elle obtient zéro. Il n’y a donc pas d’évaluation de la personne publique sur ce critère. Alors, certes il ne s’agit que de deux points mais quand on voit l’écart au final entre les candidats, on peut se questionner sur la pertinence de ce critère.  Après, il est toujours très difficile pour une collectivité de choisir les bons critères, et surtout le nombre : le curseur est dur à placer. Plus la collectivité choisira de critères, plus sa marge de choix sera discrétionnaire et donc critiquable. Et, a contrario, moins elle en retient, plus il prête le flanc à la critique, comme on le constate dans le cas en question. Il faut trouver le juste milieu en justifiant bien ses choix. »

achatpublic.info : Finalement quelle est la portée majeure de cet arrêt ?

Me Lafay : « Ce qui est important dans cet arrêt c’est de constater qu’une entreprise qui ne termine que 4ème sur 8 candidats peut, devant le juge du fond, faire annuler un marché et même obtenir indemnisation intégrale de son préjudice.

Même s’il y a des circonstances particulières dans ce cas d’espèce, cela ouvre une nouvelle voie pour les entreprises évincées

Encore une fois, même s’il y a des circonstances particulières dans ce cas d’espèce, cela ouvre une nouvelle voie pour les entreprises évincées. Cet arrêt prend également de l’importance au regard de la jurisprudence du Conseil d’Etat du 18 Juin 2003 (CE, groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe) et l’interprétation de la chance sérieuse de remporter un marché. Maintenant face à un client qui finit 4ème, je vais m’attarder et regarder les circonstances de cette place et notamment la notation des critères. Alors que jusqu’ici il était déjà difficile d’obtenir quoi que ce soit avec un candidat 3ème. »