
DSP de plages : prolifération de « sapinades » ?
Si le décret relatif aux concessions de plage a le mérite de clarifier leur qualification juridique, il pose cependant de nombreuses difficultés en raison du rattachement très artificiel des activités balnéaires aux DSP. En effet, quelles obligations de service public attribuer à un plagiste qui exerce avant tout une activité commerciale privée ? Pour l’avocat Marc Richer, le texte risque d’engendrer les DSP les plus réduites de France en terme d’obligation de service public et de créer un droit à part pour les plages.

C’est désormais clair comme de l’eau de roche : les concessions de plage sont des délégations de service public. Si l’on peut se féliciter que le décret d’application close enfin le débat qui faisait rage sur la qualification de cette activité, on peut cependant regretter qu’il le conclue de manière trop radicale. En effet, tout exploitant de buvette qui s’installe sur le domaine public est désormais considéré comme délégataire de service public. Dès lors, se pose la question de savoir comment les collectivités locales et les préfets vont appliquer le décret. Marc Richer, avocat au cabinet Richer, espère que les juristes territoriaux ne se lanceront pas à l’avenir, par excès de zèle, dans des contrats de DSP en bonne et due forme avec les loueurs de parasols et autres pourvoyeurs de boissons fraîches et chichis.Et d’ailleurs, si tel est le cas, quelles obligations de service public leur attribuera-t-on ?
Le maintien de la salubrité de la plage et la sécurité des baigneurs, qui avaient été invoqués dans le fameux arrêt « Chez Joseph » (1), relèvent des missions police d’une collectivité locale qui ne peuvent en théorie être déléguées. Certes, un célèbre arrêt du 23 mai 1958 (2) admet qu’un délégataire puisse collaborer aux moyens matériels de la police municipale. Il n’en demeure pas moins que les concessionnaires de plage sont là avant tout pour exercer une activité commerciale privée. Leurs investissements financiers les plus lourds n’ont pas grand chose à voir avec les dépenses d’investissement et d’entretien d’une DSP classique.
Un décret tiré par les cheveux
Pour Marc Richer, le rattachement des concessions de plage au statut des DSP est clairement tiré par les cheveux : « ce décret a été rédigé pour éviter des passations trop libres et les magouilles en matière d’attribution des lots de plage. Le texte a donc été conçu en fonction du résultat attendu. C’est pourquoi on obtient au bout du compte un texte très surprenant qui nous amène à envisager l’installation d’un trampoline comme une DSP », analyse l’avocat. Il y a fort à parier que les activités de baignade, de restauration et de location de matériel installées sur le littoral, parce qu’elles sont qualifiées d’emblée de DSP, n’introduiront pas ou peu d’obligations de service public : « on peut tout à fait conclure une convention dans laquelle il n’y a pas d’obligations de service public. Dans le cas de l’arrêt Chez Joseph, en revanche, le conseil d’Etat avait identifié des obligations de service public pour pouvoir qualifier la convention de DSP », explique le spécialiste. « Concernant les plages, je m’attends à ce que l’on mette sur pied les DSP les plus réduites de France. A moins que la nouvelle réglementation n’incite les collectivités locales à introduire du service public dans ces activités ? En tout cas, cela augure du travail supplémentaire pour les avocats car l’application du décret va engendrer des difficultés, c’est sûr », prédit Marc Richer.
« sapinades » en vue
Autre difficulté qui se profile à l’horizon : l’organisation de la passation qui ne manquera pas de générer des « sapinades », expression ironique employée par les spécialistes des DSP pour désigner les multiples pièges de pure forme qui jalonnent une procédure de passation selon la loi Sapin : « cette loi est très formaliste en matière de passation. Cela ouvre une belle fenêtre de tir pour les avocats spécialistes du référé précontractuel. Il suffit de peu de choses pour faire annuler un marché pour publicité incomplète ou erronée. Des contentieux sont à prévoir », prévient-il. Ce dernier relève, par ailleurs, plusieurs bizarreries dans le décret : « l’article 14 prévoit la possibilité de mise en concurrence d’un sous-traité d’exploitation par une personne privée. Je suppose que cela correspond au cas où un exploitant délègue une partie de son activité qui est elle-même déjà déléguée. Dans une telle situation, le plagiste en question devra diffuser une publicité dans un journal d’annonces légales (JAL). Or, encore une fois, qui dit publication, dit contentieux possible ! Cette mesure me paraît insensée », commente Marc Richer. Autre bizarrerie soulevée par l’avocat : l’application partielle de la loi Sapin pour les sous-traités d’exploitation : « lorsque la commune est concessionnaire, elle délègue l’activité selon les articles L-1411-1 et suivants de la loi Sapin pour la passation et le rapport du délégataire. Mais pas pour le reste. C’est assez étonnant », indique-t-il.
Un droit à part va se constituer
Enfin, le texte maintient le droit de priorité accordée aux communes pour l’attribution des concessions de plage, sans publicité préalable ni mise en concurrence (article L-321-9 du code de l’environnement et L2124-4 du code général de la propriété des personnes publiques). Si ces dernières renoncent à leur priorité, la concession peut alors être accordée à une personne publique ou privée en respectant, en revanche, l’obligation de transparence et de mise en concurrence. Pour l’avocat parisien, ce droit de priorité ne respecte pas le droit communautaire : « l’exploitation d’une plage est une entreprise au regard de ce droit ». Une activité commerciale doit donc être mise en concurrence avec les autres opérateurs économiques (3). « Pour résumé, le décret pose problème à plusieurs niveaux : il ne respecte pas le principe de transparence au regard du droit communautaire, il implique l’application partielle de la loi Sapin codifiée pour les sous-traités l’application et l’obligation d’appliquer un ersatz de cette même loi pour des personnes privées. On est en train de créer pour les plages un droit à part, à l’image du ferroviaire et des casinos », conclut Marc Richer.
(1) CE n° 212100 du 21 juin 2000 « Chez Joseph » http://lexinter.net/JPTXT/delegation_de_service_public1.htm
(2) CE, Consorts Amoudruz, 23 mai 1958, page 301)
(3) CJCE, Steinhauser c. Ville de Biarritz, aff. 197/84, Rec. 1819.
http://europa.eu.int/smartapi/cgi/sga_doc?smartapi!celexplus!prod!CELEXnumdoc&numdoc=61984J0197&lg=fr
- Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques
www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Ajour?nor=FPPX0000145L&num=2001-2&ind=3&laPage=1&demande=ajour
- Loi n°86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (version consolidée au 24 février 2005)
www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Ajour?nor=&num=86-2&ind=2&laPage=1&demande=ajour
- Loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité démocratie et proximité
www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=INTX0100065L


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