L’accord-cadre : beaucoup d’avantages et quelques effets pervers

  • 05/09/2006

Consultant en achat public, Christian Debiève défend les vertus de l’accord-cadre : qui est capable de décrire parfaitement son besoin durant quatre ans ? L’ancien cadre territorial estime que le nouvel outil du Code 2006, qui permettra de freiner le recours aux pratiques des avenants et des prix en régie, interdira aux entreprises de se reposer sur leurs lauriers une fois le marché remporté.

Ancien cadre territorial et consultant en achat, Christian Debiève est convaincu des avantages qu’apportera le « navire-amiral » du Code 2006. L’accord-cadre a tout pour plaire, lui qui réduit les frais de publicité et de procédures, et accélère les projets. « Identifier les fournisseurs potentiels prend du temps. Mais ce n’est rien comparé à la définition et la rédaction complète du besoin. Or l’accord-cadre permet de les lisser dans le temps. » Pour lui, la formule sera facilement acceptée par tous ceux qui doivent acquérir des fournitures courantes, des prestations intellectuelles ou des services. « Ils vont utiliser cet outil parce qu’ils en ont besoin. » En revanche, l’outil sera sans doute plus difficile à avaler par les services techniques, habitués à rédiger les cahiers des charges jusque dans le moindre détail, et qui verront peut-être dans la procédure, une « perte de crédit ». Et accessoirement par les juristes qui, par déformation professionnelle, préfèrent les procédures qui ne laissent la moindre place à l’inconnu. Christian Debiève distingue principalement quatre avantages à la nouvelle formule, si on la compare aux traditionnels marchés à bons de commande. D’abord sa capacité à s’adapter aux évolutions du marché et du besoin. « Le marché à bon de commande fige un certain nombre d’éléments. Or une collectivité qui envisage un plan informatique avec des investissements étalés sur trois ou quatre ans, aura des difficultés à rédiger son besoin en prenant en compte son évolution. Il sera plus facile d’écrire dans un accord-cadre ce qu’on attend à terme », juge le consultant qui indique par ailleurs que certains pouvoirs adjudicateurs faisaient de l’accord-cadre avant la lettre : le CNFPT signe ainsi des « marchés cadres » avec ses prestataires pour ses besoins en formation.

Ne pas laisser les fournisseurs s’endormir sur ses lauriers

Christian Debiève voit dans l’accord-cadre un dispositif à même d’atténuer ce qu’il appelle l’effet-monopole. Y compris dans le cas d’un accord cadre mono attributaire, insiste le consultant. « Le fait que l’on lui redemande une offre de prix ou un nouveau contenu de l’offre l’oblige à travailler sa proposition même s’il est certain d’être attributaire, ce qu’on ne peut pas faire avec un marché à bon de commande. Dans le secteur de la restauration, cela est important pour améliorer la qualité ou les prix. » Une manière comme une autre d’empêcher son prestataire de s’endormir sur ses lauriers. L’accord-cadre permet ensuite de réduire les risques, notamment en limitant le recours aux avenants. « Ecrire pour une durée de trois ou quatre ans le moindre détail d’un marché, il n’y a pas grand monde qui sache le faire. Et donc on est obligé de faire des avenants avec tout ce que cela comporte : le coût, l’accord de l’entreprise. Dans ces cas là la personne publique n’est pas en position de force. » Autre risque amoindri, celui lié à l’exécution du marché. « Il s’agit des marchés à bon de commande avec des lignes de prix qui n’ont pas été prévues. Un sujet sur lequel on se voile la face. On triche un peu en s’arrangeant avec le fournisseur qui facture du X en livrant du Y. » Autre intérêt : celui de limiter le recours aux prix « en régie », autrement dit « la dernière ligne du bordereau qui permet de facturer au temps passé l’entreprise pour une prestation qui n’a pas été prévue. » Un dispositif très coûteux qui en général déclenche des débats interminables entre la personne publique et l’entreprise pour savoir si l’intervention peut être classée dans cette catégorie. Enfin, l’accord-cadre, outre la prise en compte de l’évolution des produits, notamment en informatique où le matériel est rapidement obsolète, recèle des avantages économiques : « quelle que soit l’ingéniosité d’un système de révision des prix, il ne sera jamais aussi efficace que l’accord-cadre ».

Incertitudes et effets pervers

Tout n’est pourtant pas paradisiaque. Et l’accord-cadre n’est certainement pas la panacée. On peut se demander ce qui se passera si le détail de la commande connu (prix, délais et lieux de livraison, volume) lors de la mise en concurrence effective met finalement les entreprises retenues dans l’embarras, ou si une entreprise est retenue systématiquement. Christian Debiève balaie la critique : les marchés à bon de commande avaient aussi leur part d’incertitude : « lorsque les entreprises devaient se prononcer et avancer un prix, elles prenaient là aussi un risque. Et lorsqu’elles devaient répondre en fonction de tranches, elles faisaient forcément des hypothèses sur lesquelles la personne publique devait choisir. Il n’est pas certain que l’entreprise la plus performante ait été retenue si l’on prend comme critères les volumes réels à l’issue du marché. » C’est pourquoi il défend l’accord-cadre qui pourra remédier à cet effet indésirable : « quand le besoin pourra être finement exprimé, on pourra remettre en concurrence très rapidement les fournisseurs qui répondront sur des bases plus concrètes. » Christian Debiève préfère être optimiste : « comme il y a plusieurs tours, l’entreprise qui a échoué aura la capacité de mieux faire et de rectifier son offre la fois suivante. » Naturellement tout dépendra de l’acheteur et de ses explications. Mais l’accord-cadre pourrait aussi être utilisé comme une couverture légale au système des devis « bidons » pour simuler une mise en concurrence. Le nouvel outil peut être aussi, effet pervers, un pis-aller à la programmation des achats. Qu’est-ce qui pourra désormais empêcher un élu d’aller voir son directeur de la communication et lui demander de monter un événement pour la semaine suivante, si un accord-cadre a été passé avec des agences spécialisées en début d’année ? Un cas de figure qui ne sera pas exceptionnel lorsque les échéances électorales se rapprochent…