Article 10 : le juge contrôle dans les moindres détails

  • 11/09/2009
partager :

La communauté urbaine de Nantes n’a pas suffisamment alloti un marché de télécommunications et n’a pas su justifier suffisamment son choix. Le Conseil d’Etat a sanctionné la procédure le 11 août. Une décision qui suscite l’inquiétude.

Une seule technologie, le GSM, mais deux longueurs d’ondes (900 et 1800 MHz) et finalement deux types de prestations. Pour Nantes Métropole, acheter des cartes SIM, qu’elles soient destinées à des téléphones portables, à des horodateurs ou à des feux de signalisation, constitue un seul et même type d’acquisition (1), donc un seul lot. Dans sa décision du 11 août (2), le Conseil d’Etat a jugé l’inverse. Les prestations faisaient certes appel à la même technologie GSM, mais elles consistaient surtout en, « d'une part, la fourniture d'un service de téléphonie mobile « voix et données », fonctionnant sur les fréquences de 900 et 1800 MHz et, d'autre part, la mise en œuvre de transferts d'informations entre machines (…) fonctionnant dans la seule fréquence de 900 MHz », détaille la haute juridiction dans son arrêt.

Impact financier

Devant les sages du Palais-Royal, la collectivité n’a pas présenté d’arguments suffisamment convaincants pour justifier le recours à un seul lot. Sur le plan technique, elle n’a pas démontré en quoi elle rencontrait des difficultés dans l'organisation et la coordination de ces deux ensembles de prestations, argument qu’elle avait pourtant avancé. Sur le plan financier, elle a juste fait valoir que « le regroupement en un seul lot lui permettrait de réaliser des économies significatives grâce au transfert des temps de communication non utilisés entre les deux ensembles de prestations ». Le Conseil d’Etat a bien réaffirmé que « la réduction significative du coût des prestations [constitue], selon l'article 10, un motif légal de dévolution en marché global ». Mais à Nantes, l'impact financier de cette solution représentait moins de 2 % du budget alloué au lot… Dans ces conditions, le regroupement en un lot unique constitue, pour les juges, « un manquement aux dispositions de l'article 10 du code des marchés publics ». Troisième argument en défaveur de Nantes Métropole : son choix est susceptible de léser un candidat potentiel. La société Bouygues Télécom a développé son réseau de téléphonie mobile dans la région nantaise dans la fréquence de 1800 MHz. Pour pouvoir répondre à ce lot unique, elle aurait été obligée de réaliser des « investissements lourds dans la fréquence de 900 MHz », selon les termes de la haute juridiction. La procédure a donc été  annulée.

Justification

Pour Denis Garreau, avocat de l’entreprise devant le Conseil d’Etat, le juge n’a fait que son travail en contrôlant la justification du recours à un lot unique. « L’allotissement est fait pour préserver la concurrence », rappelle-t-il. Du côté de Nantes Métropole, c’est plutôt l’incompréhension et l’inquiétude qui règnent. La communauté urbaine estimait avoir déjà suffisamment alloti son marché de télécommunications puisqu’il présentait huit lots. Le lot litigieux « « fourniture de téléphonie mobile et terminaux » cohabitait avec d’autres dédiés à la téléphonie fixe, aux services internet, etc. D’un point de vue financier, les services techniques de la collectivité recherchaient des économies issues de la mutualisation des forfaits de téléphonie mobile : ils espéraient que les minutes non utilisées par les transmissions entre les horodateurs et les feux de signalisation seraient reportées sur les forfaits des téléphones mobiles. Idée ingénieuse mais qui n’a pas trouvé sa consécration. Les candidats n’auraient fait aucune proposition en ce sens. Et la communauté urbaine n’a pas pu prouver cet intérêt économique au juge, la procédure ayant été interrompue avant le stade de l’analyse des offres. Suite à cet arrêt du Conseil d’Etat, Karine Chevalier, responsable du service des marchés de Nantes Métropole, s’avoue inquiète : « Le juge rentre dans les détails de chaque lot. J’espère qu’il ne s’agit que d’un arrêt d’espèce qui ne sera pas suivi ». Sinon, les acheteurs publics risquent une remise en cause systématique de leurs stratégies d’achat. « Nous avons défini notre lot par rapport à nos besoins à nous pour réaliser des économies d’échelle, non en fonction de l’intérêt des fournisseurs ». Les vieux horodateurs nantais fonctionnent sur le 900 MHz. Pour que Bouygues Télécom puisse répondre, il fallait soit changer les machines, soit changer la fréquence (L’entreprise n’a pas souhaité apporter de commentaires)… Après avoir soulagé les acheteurs avec l’arrêt SMIRGEOMES, cette nouvelle décision « a, selon Karine Chevalier, placé une nouvelle épée de Damoclès » au dessus de leurs procédures…

(1) Lire notre article Article 10 : comment justifier l'absence d'allotissement ?

(2) Décision du Conseil d’Etat du 11 août 2009, Communauté urbaine Nantes Métropole, requête n°319949  CE 11 août 2009 Nantes Métropole (270.43 kB)