Le Conseil d’Etat enterre le seuil des 20.000 euros !

  • 11/02/2010
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Par un arrêt du 10 février 2010, le Conseil d’Etat a annulé le seuil des 20.000 euros instauré à l’occasion du plan de relance en décembre 2008. Cette annulation ne produira ses effets qu’à compter du 1er mai 2010. Retour sur cette décision qui agite déjà le monde de la commande publique.

Voilà c’est fini. Un an et deux mois après son introduction, le seuil des 20.000 euros n’est plus. C’est ce qu’a décidé le Conseil d’Etat dans sa décision du 10  février 2010. Cet arrêt achève un cycle commencé en juillet 2009 (1) par l’action d’un avocat marseillais, Franck Perez, qui considérait que le relèvement du seuil de 4.000 à 20.000 € était contraire aux grands principes de la commande publique et qu’il entraînait une limitation de l’accès à la commande publique, notamment des jeunes avocats. Début janvier, le rapporteur public, Nicolas Boulouis, avait conclu à l’annulation du décret du 19 décembre 2008 en tant qu’il modifie l’article 28 du code des marchés (2). Le Conseil d’Etat a suivi ses préconisations et rappelé que les marchés passés en application du code des marchés publics sont soumis aux principes fixés à l'article 1er. Il ajoute que ces principes ne font pas obstacle à ce que les marchés puissent être passés sans publicité, voire sans mise en concurrence, dans les seuls cas où il apparaît que de telles formalités sont impossibles ou manifestement inutiles notamment en raison de l’objet du marché, de son montant ou du degré de concurrence dans le secteur considéré. La haute juridiction considère donc qu’« en relevant de 4 000 à 20 000 euros, de manière générale, le montant en deçà duquel tous les marchés entrant dans le champ de l’article 28 du code des marchés publics sont dispensés de toute publicité et mise en concurrence, le pouvoir réglementaire a méconnu les principes d’égalité d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ». Le décret du 19 décembre 2008 est annulé « en tant qu'il relève de 4.000 à 20.000 euros le seuil applicable aux marchés passés selon une procédure adaptée (MAPA) fixée à l'article 28 du même Code ».

Des réactions divergentes

« C’est absolument désastreux ! Je pense que pousser le dogmatisme à ce point c’est consternant, réagit Maître Jérôme Grand d’Esnon, avocat associé au cabinet Carbonnier Lamazé Rasle et associé. Tous les Etats membres ont un seuil « de minimis », ce qui doit permettre aux acheteurs publics de se concentrer sur les grands enjeux ». Au niveau européen les Etats membres ont en effet instauré un seuil en deçà duquel les marchés peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence. Si la commission européenne rappelle que les principes du traité s’appliquent dès le 1er euro, elle tolère ces dérogations, en particulier lorsqu’elles sont adoptées dans le cadre de plan de relance, comme cela a été le cas en France en 2008. D’ailleurs, même à 20.000 euros, la France fait partie des Etats qui ont un seuil « de minimis » le plus bas. « En Irlande, il est de 60.000 euros et de 100.000 euros en Autriche. On est loin du seuil français ! », détaille Maître Grand d’Esnon. Laure Thierry, avocate au cabinet Vedesi, n’est pour sa part pas surprise de cette décision. « Elle va permettre à la direction des affaires juridiques de ne plus avoir à faire des grands écarts pour justifier l’existence de cette dérogation, qui était pour moi insusceptible d’être conforme aux principes de la commande publique, remarque-t-elle. On va revenir à une application plus orthodoxe. Le code est un outil juridique. Quand on cherche à instrumentaliser un outil juridique à des fins économiques, à un moment ou un autre on est rattrapé par des contraintes juridiques, des principes affirmés au niveau communautaire », ajoute l’avocate.

Le conseil d'Etat ne pouvait faire autrement

« Je regrette la décision du Conseil d’Etat, car le décret de 2008 avait l’avantage d’introduire de la liberté et de la flexibilité dans la gestion de la commande publique, considère pour sa part Raphaël Apelbaum, avocat au cabinet Yves-René Guillou Avocats. Le seuil des 20.000 était un bon seuil. Le guide de bonne pratique de la DAJ de décembre 2009 avait apporté un modus operandi très fonctionnel, équilibré, pragmatique permettant la mise en œuvre de cette liberté permettant de répondre également aux objectifs d’efficacité de la commande publique et de bonne utilisation des deniers publics», détaille le publiciste. Selon lui, les critiques formulées à l’égard de ce montant viennent de la précipitation avec laquelle le décret a été introduit dans le cadre du code des marchés publics. « Il aurait fallu modifier l’article 1er du code pour permettre à ce rehaussement de s’intégrer pleinement dans les principes de la commande publique. Malgré tout il faut admettre que la décision est conforme au CMP et à son article 1er. Je pense que le Conseil  d'Etat ne pouvait, malheureusement et difficilement, faire autrement », poursuit-il. Pour Maître Apelbaum « il est urgent de renforcer l’efficacité de la commande publique et d’accorder plus de liberté aux acheteurs publics dans la mesure où on leur octroi toujours plus de responsabilités ».

Un retour probable aux 4.000 euros

Quid des effets ? L’annulation rétroactive aurait été risquée sur le plan juridique, eu égard au grand nombre de contrats en cause et à leur nature. Le Conseil d'Etat a donc précisé que l’annulation ne prendrait effet qu’à compter du 1er mai 2010, sous réserve des actions engagées contre des actes pris sur leur fondement. Cette date marquera-t-elle le retour au seuil des 4.000 euros ? Catherine Bergeal, suite aux conclusions du rapporteur public, avait admis que la conséquence mécanique de l’annulation serait le retour au seuil de 4.000 euros (3). « L’annulation du décret conduit à un retour en arrière et donc au précédent seuil. On voit là tout l’hypocrisie du Conseil d’Etat, qui s’est toujours farouchement opposé à ce seuil. Finalement, ce seuil ne serait plus contraire aux grands principes de la commande publique, alors que c’était le cas lors de la réforme du code en 2005 », constate l’avocat.

Une décision hypocrite 

Dans les collectivités publiques, on parle aussi d’hypocrisie, à l’image de Vincent Heid, de la CA de Chambéry « Je ne vois pas ce qui pourrait justifier intellectuellement un seuil à 4 000 et ne pas le justifier à 20 000. Si s'exonérer d'une mise en concurrence est contraire aux principes de la commande publique, alors cela est contraire à moins de 4 000 comme à moins de 20 000 ! Si mise en concurrence il doit y avoir, alors elle doit avoir lieu quel que soit le montant du marché. C'est là toute l'hypocrisie du Code des marchés publics. L’article 28 alinéa 5 nous autorise à ne pas faire de mise en concurrence sous un certain seuil mais il faut quand même respecter les principes de l'article 1 sous ce seuil », observe-t-il. « Le seuil des 4.000 euros ne devrait concerner que des achats marginaux. En effet, avec les effets de la computation des seuils, seules les situations ayant un faible impact économique devraient être concernées. De ce point de vue, on peut s’affranchir des règles de publicité et de mise en concurrence », remarque Maître Thierry. Le mot de la fin revient à l’ancien patron de la DAJ : « Le Conseil d’Etat fait du droit pour se faire plaisir et non du droit utile à la commande publique ! »

CE, 10 février 2010, M. Perez, 329100

(1) Seuil de 20.000 € : pendez le haut et court !

(2) Décret moins de 20 000 : l'annulation est demandée

(3) Le retour au seuil des 4.000 euros ?

Lire aussi :
Disparition des 20 000 € : les réactions sont contrastées


Emmanuelle Maupin © achatpublic.info