Attribution des lots : éviter l’arbitraire

  • 02/03/2010
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Lors d’une consultation pour des prestations de nettoyage, l’OPH Paris Habitat souhaitait limiter le nombre de lots attribués en fonction des capacités des candidats et obligeait à la reprise du personnel du prestataire sortant. Le TA de Paris a sanctionné la méthode peu transparente et portant atteinte au principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires. Le Conseil d’Etat a confirmé cette position.

Avec un patrimoine de plus de 120 000 logements, l’office public d’habitat Paris Habitat ne voulait pas qu’un même prestataire de nettoyage puisse se charger d’un trop grand nombre. Pour son appel d’offres lancé en 2009 alloti en 27 lots géographiques, le plafond était fixé à 30 000 logements par prestataire, assorti d’un second plafond de 10 000 logements au sein d’une même direction territoriale. Si le principe paraît tout à fait judicieux, la méthode utilisée semble l’être un peu moins. Après la censure prononcée à son encontre par le TA de Paris le 29 juin dernier (1), le Conseil d’Etat n’a pas admis le pourvoi en cassation de l’OPH, et a suivi le rapporteur public Bertrand Dacosta qui avait conclu au rejet de la requête lors de l’audience du 29 janvier 2010. En cause, l’opacité dans la méthode d’attribution des lots et l’information des candidats. Selon les documents de la consultation, les candidats devaient être départagés sur le prix (40%), la valeur technique de l’offre (40%) et les délais d’intervention et de réactivité (20%).  La note attribuée aux candidats en matière de prix devait être calculée à partir du rapport : prix le plus bas/prix proposé par le candidat, le tout multiplié par 40. Mais à aucun moment, le pouvoir adjudicateur n’a précisé comment il ferait pour retirer certains lots dans le cas où une entreprise dépasserait les quotas des 30 000 et 10000 logements.

Retrait de lots

Sur les 14 candidatures admises, la CAO a classé les offres au regard des trois critères de jugement annoncés, puis les choses se sont corsées. Une société arrivée première sur 18 lots ne pouvait se voir attribuer l’ensemble des lots car ils totalisaient 32 504 logements (au-delà du plafond des 30 000). La CAO lui a retiré 2 lots désignés à partir d’un savant calcul fondé sur une « clé » tenant à « l’écart de prix avec le deuxième du classement général », précise l’ordonnance du TA. Le résultat a bouleversé les classements précédents. Certaines entreprises pour lesquelles les capacités financières avaient été déclarées insuffisantes sont ainsi revenues dans la course. A partir des documents de consultation, selon le TA, les candidats ne pouvaient savoir comment serait opérée la limitation du nombre de lots au regard de leurs capacités financières et donc à quel nombre de lots ils pouvaient utilement soumissionner. Ils ne connaissaient pas non plus le processus utilisé pour retirer les lots correspondant aux logements dépassant les limites de 30 000 et de 10 000. Sur ces deux points, le pouvoir adjudicateur « devait, afin d’éviter tout risque d’arbitraire, préciser, comme il l’a fait s’agissant du mode de calcul de la note attribuée au candidat en matière de prix, les modalités d’application des limitations annoncées ». Autrement dit, « l’insuffisance de précisions sur la méthode d’attribution des lots et l’utilisation opaque des critères est susceptible d’avoir faussé le jeu de la concurrence ». Devant le Conseil d’Etat, le rapporteur public a estimé qu’il n’avait pas commis d’erreur dans son jugement.

Gommer l’asymétrie entre les « entrants » et les « sortants »

L’autre motif d’annulation de la procédure tient à la reprise du personnel (une pratique usuelle dans le domaine du nettoyage) (2). Les entreprises sortantes (titulaires des marchés précédents) disposaient, selon le juge de première instance, « de renseignements plus précis leur permettant de soumissionner efficacement » par rapport aux entreprises entrantes (celles qui n’ont jamais exécuté ce type de marchés pour l’OPH). D’où l’atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats. Or il incombe au pouvoir adjudicateur, « de gommer l’asymétrie dans l’information dont disposent les uns et les autres », a confirmé Bertrand Dacosta devant le Conseil d’Etat pour entériner l’ordonnance du TA. Parmi ces informations figurent notamment, selon le premier juge, le nombre de salariés à reprendre (et non pas seulement leur équivalent temps plein), la nature des contrats à reprendre, les avantages dont disposent les personnels, leur expérience, leur ancienneté et leur qualification. Finalement, le Conseil d’Etat a retoqué le pourvoi de l’OPH et a donné raison au TA.

 CE 22 février Paris Habitat (1.16 MB)

(1) TA de Paris 29 juin 2009 n°0909822/6-1, Société Perfect Nettoyage,  TA de Paris, 2 juin 2009, Société Perfect Nettoyage, n°0907878 (574.64 kB)
(2) Reprise des personnels : la fin des fraudes à l’achat public ?