
La suspension d’un marché ne rime pas avec économies
Cet article fait partie du dossier :
Exécution "perturbée" : suspension du marché public
La ville de Marseille pourrait devoir indemniser ses cocontractants pour avoir suspendu pendant deux mois un marché à bons de commande relatif à l’entretien des espaces verts. En faisant cela, la collectivité comptait réaliser des économies. Peine perdue, le rapporteur public du Conseil d’Etat considère qu’elle a commis une faute.

A l’automne, la nature se met au repos. La ville de Marseille voulant sans doute suivre le rythme écologique a ainsi suspendu, par ordre de service, un marché d’entretien des espaces verts lors des mois d’octobre et de novembre 1998. Son objectif était de faire des économies. Mauvais calcul. La reprise en décembre a demandé plus de travail aux cocontractants. A cela s’est ajouté un contentieux avec les titulaires de deux lots qui pourrait l’amener à verser respectivement à chacun 24 612 et 51 914 euros. C’est en tout cas ce qu’a proposé le rapporteur public Bertrand Dacosta aux juges du Conseil d’Etat, lors de l’audience du 31 mars. Selon celui-ci, la ville a commis une « faute contractuelle ». Le marché à bons de commande avait été conclu pour la durée d’un an, renouvelable une fois. Les entreprises avaient donc engagé des dépenses pour cette période de douze mois. Lors de la suspension, les deux cocontractants ont émis des réserves et demandé à être payés sur la même base que la période normale d’exécution du contrat. La ville ayant passé un marché annuel avec un paiement mensuel, le rapporteur public a conclu à l’existence d’une faute de la part de la collectivité et proposé de faire droit aux conclusions indemnitaires des deux entreprises.
Nullité du contrat ?
En appel, les juges avaient choisi un autre chemin en relevant d’office la nullité du contrat avant d’arriver à la même conclusion. Selon eux, la collectivité avait commis une faute en utilisant la procédure de marché à bons de commande car ses besoins n’étaient pas totalement connus dès le départ. Pour justifier leurs dires, les magistrats s’appuyaient sur le fait que la ville avait suspendu le marché pendant deux mois. Or le code des marchés publics de l’époque (art. 272) exigeait que les besoins soient entièrement connus pour passer un tel marché. La collectivité ayant utilisé la mauvaise procédure, le contrat était nul selon la CAA de Marseille. En conséquence, les deux sociétés devaient être indemnisées de leur préjudice. La jurisprudence JC Decaux du 10 avril 2008 permet en effet au cocontractant d’une administration dont le contrat est entaché de nullité de prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Il peut aussi obtenir une indemnisation supplémentaire en cas de nullité du contrat lorsque celle-ci résulte de la faute de l’administration. Cette jurisprudence s’appliquait bien ici.
Seul souci qui a conduit Bertrand Dacosta à proposer l’annulation de l’arrêt, les juges ont dénaturé les faits. Le CCAP du marché prévoyait une clause de travaux exceptionnels en cas d’intempéries. Pour le rapporteur public, l’étendue des besoins ne pouvait être donc totalement connue puisque ce genre d’intervention est par nature « imprévisible ». En d’autres termes, le contrat prévoyait à la fois des travaux prévisibles et des travaux imprévisibles. L’ancien CMP autorisait alors l’usage des marchés à bons de commande dans ce genre de situation (art. 273) : le marché devait être fractionné sous la forme d'un marché à bons de commande ou d'un marché à tranches conditionnelles. En ce sens, la collectivité avait bien respecté le CMP et n’avait pas commis de faute. Autre problème : les magistrats d’appel avaient relevé d’office ce moyen. Or depuis la jurisprudence Béziers du 28 décembre 2009 (même si elle n’est pas directement applicable au litige), le juge doit s’assurer de la « particulière gravité » du vice relevé d’office avant de prononcer la sanction ultime qu’est la nullité d’un contrat. Même si la jurisprudence doit encore préciser ce qu’est un vice de particulière gravité pour Bertrand Dacosta, cela faisait autant d’arguments devant conduire à l’annulation de l’arrêt. Nullité ou contrat valable, les juges de cassation auront à en débattre. L’affaire a été mise en délibéré.
Bénédicte Rallu © achatpublic.info


Envoyer à un collègue
Offres d’emploi
Responsable de la commande publique (f/h)
- 01/07/2025
- Ville de La Teste de Buch
Responsable de la commande publique et des achats (f/h)
- 01/07/2025
- Ville de Chevilly-Larue
Juriste de la commande publique (f/h)
- 01/07/2025
- Ville de Colombes
Nouveaux documents
[Dessine-moi la commande publique] Le référé précontractuel
-
Article réservé aux abonnés
- 07/07/25
- 01h07
TA Grenoble 6 juin 2025 Société Valgo
-
Article réservé aux abonnés
- 07/07/25
- 07h07
TA Nantes 20 mai 2025 Société Carl Zeiss
-
Article réservé aux abonnés
- 07/07/25
- 07h07
Les plus lus
achatpublic invite... Nicolas Groper : «La RFGP ? Un contentieux de l’exemplarité qui sanctionne les fautes particulièrement graves »
-
Article réservé aux abonnés
- 04/07/25 08h07
- Jean-Marc Joannès
Marché public annulé, car «négocier n’est pas favoriser !»
-
Article réservé aux abonnés
- 02/07/25 06h07
- Mathieu Laugier
Accord-cadre à bons de commande : une souplesse dont il faut veiller à ne pas abuser !
-
Article réservé aux abonnés
- 07/07/25 06h07
- Mathieu Laugier
Marché public et conflit d’intérêts : une situation normale… qui doit toutefois être résolue !
-
Article réservé aux abonnés
- 01/07/25 06h07
- Mathieu Laugier
Pas de liquidation des pénalités de retard dans un marché public : agent public condamné !
-
Article réservé aux abonnés
- 01/07/25
- 05h07